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mercredi, 05 septembre 2018

Le petit cahier.

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Je vous ai déjà parlé de ma mère, psy gratos chéries ?
Comme tous ceux qui ne gèrent pas trop bien les sous, surtout le manque de sous, ma mère avait une liste de préceptes inépuisable en la matière.
Surtout un qu’elle nous jeta à la figure avec une régularité métronomique.
Le secret pour atteindre la fin du mois ?
Le cahier.
Cahier qui n’a jamais empêché la fin du mois d’arriver avec une semaine d’avance.
Le cahier ?
Un cahier d’écolier, celui qui restait de l’année scolaire précédente et dans lequel seules les trois ou quatre premières pages étaient couvertes de l’écriture de l’un ou l’autre des quatre enfants que ma mère avait fabriqués.
Jusqu’à un âge avancé, jusqu’à ce que les rhumatismes ne lui déforment les doigts, ma mère écrivait plutôt bien.
Mieux qu’elle ne comptait, hélas…
Ce n’est pas qu’elle faisait des erreurs de calcul, non.
C’est qu’elle faisait des erreurs d’appréciation.
D’où des mois qui finissaient une semaine trop tôt.
Les seules choses qui ne manquaient pas étaient le pain, celui d’hier et le sel car « plus de sel, plus de sou ! »
Elle n’avait pas intégré le fait que ça ne signifiait pas forcément « Il y a du sel, il y a des sous ! »
Elle notait donc scrupuleusement le moindre franc dépensé dans le cahier du moment.
Plus tard, elle procéda de même avec les €uros, avec moins de succès encore car tant qu’il y eut les francs, elle comptait en « anciens francs ».
Malheureusement, quand l’€uro arriva dans son porte-monnaie, elle se mit à compter en « nouveaux francs », avec les dégâts qu’on imagine…
Cette affaire de « petit cahier » nous pourrit à tous les débuts de notre vie d’adulte.
Oui, psy gratos chéries ! Que celle qui n’a jamais tapé sa mère pour cause de manque de thune me jette la première pierre !
Quand l’un de nous allait taper ma mère pour finir la semaine, elle hochait la tête en lui jetant un regard désespéré.
Genre « Moi qui vous ai élevé en futur adulte respectueux de l’équilibre des comptes… » alors que l’équilibre des siens est resté instable jusqu’à la fin.
Elle commençait par soupirer.
- Je ne sais pas si je peux…
- …
- Tu as besoin de combien ?
Instruits par l’expérience, nous aurions dû savoir qu’il fallait en demander le double pour obtenir –peut-être- la somme nécessaire.
Hélas, élevés à peu près correctement, nous annoncions :
- Mille francs, maman… C’est juste pour quelques jours, je te les rends lundi prochain.
- Mille francs !!!! Mais tu me prends pour Rotschild !
- Ben…
Elle prenait son carnet de chèques, le même numéro de compte à la Poste depuis 1947, et remplissait.
Elle grommelait entre ses dents en écrivant « deuuuuxxx… cents… Francs… », signait le chèque et commençait :
- Alors écoute bien, mon petit garçon…
Silence éloquent de « mon ptit garçon » ou de « ma petite fille »…
- Et ne soupire pas ou tu n’as rien !!!
- Bon…
- Tu prends un petit cahier…
Nous savons tous les quatre qu’avec ses « petits cahiers » on aurait une vue imprenable sur l’inflation des cinquante dernières années mais en aucun cas une méthode de gestion efficace…