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lundi, 12 novembre 2018

Jeux de maux…

Bon, ça n’est pas pire aujourd’hui qu’hier, alors est revenue l’envie de faire mon devoir...

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Je l’ai entendu frapper.
Frapper fort comme d’habitude, comme si le courrier allait s’envoler s’il frappait doucement.
Comme tous les matins j’ai fait l’étonnée « Ah ! C’est vous facteur ? »
Comme tous les matins il a haussé les épaules en disant « Lucienne ! Bon sang ! C’est moi tous les matins à c’t’heure ! »
Il est entré dans la loge et s’est assis.
Je l’ai regardé puis j’ai regardé autour de moi. J’avais un peu honte.
J’aurais pu depuis le temps jeter ces chromos hors d’âge mais ma mère me les avait donnés.
Je les avais accrochés au mur.
Ça mettait un peu de couleur, des taches de gaîté, dans cette « cagna » sombre qui me sortait par les yeux.
J’étais contente d’avoir trouvé cette loge. On me l’avait attribuée quand mon vieux bonhomme était mort.
Comme on disait dans les années trente « il était parti de la poitrine ».
Il avait « respiré les gaz » vers Ypres. Mais bon, il était revenu vivant, il n’y avait plus tant d’hommes alors on prenait c’qu’on trouvait…
Il était gentil alors j’avais pris.
Mon dieu qu’il a pu tousser…
Mais il a  quand même pu me faire un fils, c’est déjà ça qu’en plus pendant la deuxième ils ne l’ont pas pris.
Heureusement parce que « Le Ministère » n’aurait pas fait une affaire et sa petite pension nous aidait bien.
Tous les ans, « mon facteur » m’apportait le calendrier des « PTT ».
Il me disait chaque fois «  Tiens Lucienne, ton calendrier ! J’te fais pas payer mais sers moi donc un p’tit verre de pousse-au-crime ».
Je sais bien que pour l’occasion j’aurais dû jeter celui de l’année d’avant.
Mais non, il venait s’entasser sur l’énorme clou que mon fiston avait planté dans le mur un jour où il avait bien voulu passer me voir.
J’aimais bien le facteur,  c’est le seul homme qui entrait dans ma loge.
De temps en temps, je comptais les calendriers en soupirant un peu et je me disais « Tiens, cette année c’est 1955, ça fait le dix-huitième calendrier qu’il m’apporte.
Quant à « mon facteur » je sais qu’il s’appelait  Ernest car le bougnat l’appelait « Nénesse » et l’alpaguait quand il sortait de la loge.
Il m’aurait bien dit, de temps en temps, « Nénesse ». Il avait le regard doux, un regard que je ne voyais plus souvent.
Mais faut être raisonnable, c’était pas facile, n’importe qui pouvait frapper si on avait essayé de…
J’étais sûre que si on s’était simplement mis sur le lit, c’est là que la petite peste du quatrième aurait frappé en piaillant « Mââme D. je viens juste pour les lettres. »
En plus cette petite garce, c’est de la graine de petite garce, aurait pris un ton pincé et ajouté « Et pas d’embrassades, hein, maman elle ne veut pas ! »
Et si je changeais de robe de chambre ?
Et si je faisais les carreaux ?
Et si je m’apprêtais un peu ?
Peut-être qu’Ernest tenterait quelque chose.
Peut-être même que je finirais par l’appeler « Nénesse »…