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lundi, 14 janvier 2019

la bombe algérienne.

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Ça faisait longtemps.
Très longtemps…
J’étais sûr qu’au sol il y avait des tomettes, de grandes tomettes rouges.
Quelqu’un avait dû faire des travaux car ces grandes tomettes avaient été remplacées par du plancher.
Un plancher usé, qui grinçait sous mes pas tandis que j’arpentais lentement ce qui fut la chambre dans laquelle nous dormions, mes petites sœurs et moi pendant les vacances de Noël ou de Pâques.
Une petite boule blanche était restée dans le coin gauche.
Je me suis approché, étonné je l’ai regardée et l’ai ramassée.
Une « bombe algérienne » ! C’était une « bombe algérienne » !
Je me demandais encore par quel miracle elle était restée là, après des décennies, coincée dans la plinthe.
Je la tournai doucement dans mes doigts, le papier pelure qui enveloppait ces graviers magiques avait tenu.
J’ai ouvert la fenêtre et jeté sur la route cette « bombe algérienne ».
Une explosion sèche retentit dans le silence de l’après-midi.
Je m’attendais presque à voir sortir « la mère Guillaumat », une louche ou une cuiller à pot à la main, regardant comme toujours la rue d’un air méfiant, le sourcil froncé et la bouche amère.
D’aussi loin que je me la rappelle, je ne lui ai jamais connu que cet air revêche.
Même quand ma grand’ mère allait boire le café chez elle, elle gardait cet air coléreux.
Plus tard, j’appris qu’elle avait une fille et je me suis demandé qui avait été assez téméraire pour lui faire un enfant…
Encore plus tard, je me suis dit que peut-être elle avait un jour su sourire et s’était laissé aimer.
Je ne sais pas ce qui s’était passé, je l’avais toujours connue seule, dans la maison tout juste de l’autre côté de la rue.
Tout le monde que je connaissais était mort.
Marie-Louise qui vendait les « illustrés » et les « bombes algériennes ».
« La mère Guillaumat » aussi « avait passé » comme on disait. Elle était sûrement allongée sous les cyprès du cimetière.
Ce qui me vient à l’esprit en regardant cette chambre d’un rose écœurant, c’est le numéro « 1 » de Kiwi, avec « Roddy, le petit trappeur » et Blek le Roc collant des raclées aux « Tuniques rouges » en soutien « aux patriotes de Portland ».
Je n’allais certainement pas venir vivre ici.
Vivre ici c’est déjà être mort.
Ça m’a convaincu de partir sans me retourner.
Alors je suis parti sans me retourner, finalement convaincu de ce que je pensais depuis longtemps.
Convaincu de la seule chose que j’ai apprise au cours de toutes ces années :
Tant que, jours et nuits, on peut toucher du regard et du bout des doigts une autre peau que la sienne, on fait partie des vivants.
Le reste n’est que littérature…