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lundi, 09 mai 2022

Devoir de Lakevio du Goût N°122

Rue-plus-courte-de-Paris.jpg

À la demande générale de deux personnes, je vous propose donc un « devoir de Lakevio du Goût ».
Et je remercie Alainx et Pivoine de leur intérêt pour ces « devoirs ».
Vous est-il arrivé d’emprunter une rue aussi courte que la « Rue des Degrés » ?
J’espère que vous avez une histoire pas trop brève à raconter sur une rue brève.
J’aimerais aussi que cette histoire commençât par :
« Hier, il ramassait les miettes de pain tombées sur son pantalon, par terre, en faisant des efforts énormes. »
Et qu’elle finît par :
« Nous étions debout sous la pluie, parmi les provisions de bouche. »
À lundi donc, si vous voulez…


Hier, il ramassait les miettes de pain tombées sur son pantalon, par terre, en faisant des efforts énormes. 
C’est cette phrase de Marguerite Duras qui m’est venue à l’esprit quand j’ai vu ce clochard assis sur les marches de la rue des Degrés.
Nous sortions du Rex et, après un passage dans la librairie Boulinier, riche en occasions, nous remontions la rue de Cléry en direction du Sentier.
Je me demandais en avançant lentement dans la rue comment pouvaient vivre toutes ces boutiques, essentiellement « de gros » qui flanquaient chaque entrée d’immeuble.
La circulation y avait toujours été infernale et songer s’arrêter pour mettre dans sa voiture un réassortiment quelconque devait être un cauchemar.
Nous marchions tranquillement et je rêvais d’aller jusqu’à la Bourse et peut-être tenter, si j’arrivais à la convaincre, de dîner chez Gallopin.
J’avais aussi bien d’autres idées en tête en la regardant marcher devant moi.
Cette robe verte, qui la déshabillait plus qu’elle ne l’habillait m’attachait à ses pas plus efficacement qu’une laisse.
Un moment, elle s’est retournée, m’a regardé d’un air innocent et dit « on mange à la maison ? »
J’ai cru comprendre à son sourire qu’elle me proposait quelque chose de plus délicieux qu’un dîner chez Gallopin, alors j’ai dit « Oui mais il faut faire des courses… »
Nous avons donc tourné à gauche dans la rue des Petits Carreaux jusqu’à la rue Montorgueil et fait quelques achats chez les traiteurs de la rue.
Nous sommes repartis, elle marchait toujours devant et ne tenait à la main, serré contre elle, que son petit sac à main.
Je la suivais, les anses de ficelle des sacs de papier me coupant les doigts.
De temps à autres, elle s’arrêtait, regardait une vitrine, se tournait devant moi et me souriait.
Nous étions si occupés l’un de l’autre que nous descendions la rue Réaumur sans nous préoccuper du temps.
Il faisait doux, même un peu chaud.
Nous n’avons pas fait un instant attention à l’assombrissement du ciel.
Un moment nous nous sommes arrêtés, elle s’est approchée de moi et a profité du chargement qui m’empêcherait de l’enlacer pour m’embrasser légèrement.
Un brusque coup de vent frais la fit se serrer contre moi.
Suivi d’une douche si soudaine qu’elle nous laissa trempés, les sacs de papiers éventrés, nos achats répandus sur le trottoir.
Ce serait donc Gallopin…
Comme disait Romain Gary dans « Clair de femme », nous étions debout sous la pluie, parmi les provisions de bouche…