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lundi, 04 octobre 2021

Devoir de Lakevio du Goût N°99

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Aujourd’hui c’est pour faire plaisir, du moins je l’espère, à Adrienne que je vous soumets cette toile peinte vers 1680 de Job Berckeyde.
Il y est question de pain, celui qu’on doit pétrir pour le vendre ou gagner à la sueur de son front.
Si vous me disiez lundi ce que vous avez retiré de cette toile ?
Hmmm ?

Un détail me reste ancré qui me pousse à ennuyer chacun des boulangers chez qui je vais au hasard de mes pérégrinations déménageuses.
Ce détail accroché comme un réflexe qui me pousse à demander « une baguette s’il vous plaît, plutôt cuite et chaude. »
Pourquoi ? Parce que ma mère savait bien ce qui fait un « enfant bien élevé ».
Celui à l’heureux caractère de l’homme dont l’intestin fonctionne bien.
Elle avait une idée précise de ce qui faisait des enfants en bonne santé.
Moins gênante que l’idée encore plus précise de qui était digne d’être aimée de son fils, c’est-à-dire personne à part elle,
Pour assurer notre santé, elle nous envoyait chercher immuablement le pain qui, à ses yeux, représentait le nec plus ultra de la nourriture bourgeoise : le pain blanc.
Trop blanc…
Pour elle, le pain idéal était « un pain parisien bien blanc » nettement moins tentant que la baguette dorée qui vous tendait ses croûtons comme le diable ses tentations.
Ce « pain parisien bien blanc », insuffisamment cuit, aurait fini de cuire dans l’estomac s’il n’était mis à l’abri de nos mains avides à peine arrivé à la maison.
Pour nous éviter disait-elle « ces lourdeurs d’estomac qui arrivent quand on mange du pain frais ! » et ses « Ça fait mal au ventre quand on mange du pain chaud ! », elle le mettait à l’abri dans la huche.
Dès qu’on approchait du buffet, on entendait un « Pas le pain frais ! Il en reste d’hier soir ! » lancé d’un ton sans réplique.
Le pain d’hier offrait d’énormes avantages à ses yeux.
Rassis, il était moins tentant et nous en mangions moins.
Ce « Il en reste d’hier soir, il est encore bon ! » reste ainsi accroché à ma mémoire.
À cette époque bénie où les enfants étaient presque sages, on ne se servait pas de pain entre les repas et il fallait le demander à table.
Tout manquement à la règle entraînant immanquablement une taloche, on y regardait à deux fois avant de piquer le croûton du pain.
Et il n’était pas question de baguette, ni même de « bâtard ».
Non, non, seul trouvait grâce à ses yeux le « pain parisien de 400 grammes » le pain d’ouvrier, celui qui se garde trois jours.
Le pain qui finit en « pain perdu » et pas perdu pour tout le monde.
Même trempé dans le lait un bon moment avant d’être saupoudré de sucre et de cacao, le pain du fond de la huche avait bien du mal à ramollir…
Grâce à ce « Il en reste d’hier soir, il est encore bon ! » je suis encore aujourd’hui en mesure de digérer des briques sans grande difficulté.
Heure-Bleue ne peut pas en dire autant, amollie qu’elle est par une éducation qui la fit passer de la batiste à la soie.
Ma mère réussit donc, à nous assurer, à défaut d’une cervelle sans névroses, à nous doter d’un estomac qui ne bronchait pas devant un repas de briques.
Ce fut sans doute le seul avantage pour mes sœurs et moi du « pain d’hier », servi  de l’âge où l’on abandonne le biberon à celui d’entrer en troisième...