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dimanche, 10 mars 2019

Z'avez pas vu ma soeur ?


Hier j’ai appelé ma grande sœur.
Hier ma grande sœur a eu soixante-dix-sept ans.
Elle eut la malchance de naître en 1942.
L’année 1942 fut un mauvais plan pour beaucoup.
D’abord pour son père qui avait eu non seulement l’idée de résister à l’occupant mais pour un de mes oncles qui avait eu l’idée de le faire avec lui.
Ce fut pour notre oncle et son père une idée d’autant plus funeste qu’ils y laissèrent tous deux leur peau.
Ce fut funeste aussi pour les relations entre ma mère et une de mes tantes, l’épouse de l’oncle tué par les Allemands.
Pourquoi ça ?
Parce que de 1946 à 1995 ma mère détesta sa sœur pour une des raisons les plus bêtes qui soient.
Je vous explique : La ville d’Aubervilliers décida, peu après la Libération, d’honorer ses « Résistants morts pour la France » et donna à la rue où furent abattus le père de ma grande sœur et mon oncle le nom de… mon oncle.
Oncle inconnu car je n’étais pas né quand il est mort et dont j’eus connaissance par ma grande sœur car c’est elle l’archiviste de la famille.
Ma grande sœur a donc atteint hier l’âge respectable de soixante-dix-sept ans.
Elle vit dans un village minuscule du Gers et bien que je l’appelle régulièrement, je ne l’ai pas vue depuis 2005, à l’enterrement de notre mère.
En raccrochant, j’ai eu de la peine pour elle.
Elle me déchire le cœur.
J’en parle peu mais j’ai mal au cœur pour elle.
Je l’ai vu rire, bien sûr, mais je crois bien que je n’ai pas vu ma grande sœur vraiment heureuse depuis qu’elle s’est mariée la première fois.
Je l’ai vue plus ou moins joyeuse quelques fois mais jamais plus aussi heureuse qu’elle l’était avant 1963.
Ma grande sœur va d’ennuis en malheurs depuis la naissance de sa première fille.
Elle est maintenant partie pour enterrer sa première fille et son mari.
L’incertitude ne porte que sur le fait de savoir qui mourra avant l’autre et à quelle date.
Vous vous rendez compte, lectrices chéries ?
N’avoir jamais connu autre chose que de « bons moments » depuis cinquante-six ans !
Ma grande sœur était une jolie fille douée pour le bonheur jusqu’à l’âge de vingt ans.
Ce don pour le bonheur a été tué par son premier mari.
C’est le dernier type avec qui j’ai failli me battre passé vingt ans.
Il a brisé là car il s’était soudain aperçu que je n’étais plus un petit garçon d'une douzaine d’années et étais devenu plus grand que lui.
Il fut trompé parce que ma sœur est si petite qu’il avait oublié qu’il y avait des gens plus grands que lui et moins gentils qu’elle…
Bref, elle est partie pour être malheureuse et seule.
Le pire ?
Mon père, qui savait reconnaître le « faisan » de loin, avait pressenti ce qu’était le premier mari et avait prévenu ma mère et ma grande sœur.
Ma mère hélas n’avait été sensible qu’au fait qu’il avait une dent en or, signe indubitable de réussite, et surtout qu’il y aurait un peu plus de place à la maison…
À quoi tient le malheur d’une vie…