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lundi, 13 janvier 2020

Devoir de Lakevio du Goût No 22

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L’après-midi s’éteignait doucement tandis que je regardais la voiture s’éloigner vers le sud.
Je savais que c’était le sud.
Quand c’est le début de l’été et que la lumière de fin d’après-midi « à la Monet » frappe la maison en face, je sais qu’elle vient de l’ouest  et que la route mène vers le sud.
Et ça ne me console pas car « elle » s’en va.
Pour une fois qu’elle avait bien voulu venir déjeuner chez moi, j’avais tout fichu par terre.
Encore un de ces mots débiles et malvenus qui m’échappent toujours au moment où je devrais me taire.
La journée était pourtant une de ces journées ou tout semble prévu pour donner une idée du paradis.
L’apéritif que j’avais préparé fut léger, d’autant plus léger qu’elle aimait plutôt les sirops à l’eau que les alcools.
Je n’avais pas même osé boire le « baby » dont je me délectais par avance.
J’avais reposé dans le placard la bouteille de « Lagavulin » avec quelque regret mais je m’étais même senti gêné et il m’aurait semblé audacieux,  presque déplacé, de boire de l’alcool alors qu’elle semblait si sage avec son envie discrète d’une simple menthe à l’eau.
Elle avait, m’avait-elle dit « peur des alcools qui risquaient de lui faire perdre de la retenue ».
En homme bien élevé, du moins le pensais-je, j’avais obéi et lui avait servi la menthe qu’elle avait réclamée.
Une chance qu’il y en ait eu, réservée aux rares enfants de la famille qui venaient parfois me rendre visite.
Je l’avais servie, puis étais retourné vers le placard et j’avais trouvé une bouteille de sirop de grenadine.
Je préférais nettement ça à la menthe…
Je la regardais un peu à la dérobée tandis que nous parlions à bâtons rompus, de choses et d’autres.
Surtout d’autres pour ne pas avoir à aborder de sujet trop personnels.
Quand j’ai dit « On passe à table ? » elle a souri, détendue puis s’est levée d’un mouvement élégant de danseuse.
J’ai fait semblant de ne pas voir l’éclair pâle de sa jambe découverte un instant et l’ai précédée pour tirer sa chaise, troublé au-delà du raisonnable.
Au moment du dessert il y eut un bref instant de gêne dans la conversation quand je l’ai fait rire et qu’à pouffer elle a échappé une miette de gâteau qui s’est envolée par-dessus la table.
Je l’ai rattrapée au vol et la lui ai rendue posée sur le bout de l’index.
« Vous pouvez la reprendre, si vous voulez… »
Elle m’a seulement jeté un regard indécis puis s’est lancée et m’a pris le doigt d’une main douce et récupérée « sa » miette d’un petit coup de langue tout en me regardant.
C’est exactement là que j’aurais dû chuchoter un « merci » discret puis me taire et simplement goûter l’instant, profiter de son charme et de la douceur du moment.
Mais non… J’ai dit bêtement « c’est tout ? » avec un petit rire assez vulgaire je le reconnais.
Elle a lâché ma main, jeté sa serviette sur son assiette, s’est levée, a attrapé sa veste et s’est enfuie sans un mot.
Et je suis là, comme une andouille, à regarder sa voiture s’en aller vers le sud…