Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 22 février 2013

Les mains dans les mains restons face à face

Le lundi fut, suite à cette découverte, encore plus triste.
Elle avait, elle aussi, des obligations familiales.
Il paraît qu’il est bon que les filles et les fils passent quelque temps avec leurs parents.
Au moins ça permettait, malgré un syndrome de sevrage cruel,  de reposer des lèvres soumises à rude épreuve.
Mes parents étaient partis ce matin vers cinq heures, ce qui allongeait considérablement une journée qui promettait déjà d’être interminable.
Je mis donc à profit ce temps de torture pour, en premier lieu mettre un peu d’ordre et en second lieu, écouter de la musique. Mais non, pas Tristan et Isolde ni Don Giovanni, pfff…
Parmi mon fouillis audio il y avait un « tuner FM » – à tubes, s’il vous plaît ! Si je l’avais gardé, je pourrais tirer une fortune de ce truc « vintage »- ce « tuner », bidouillé à partir de kits et toujours tripes à l’air permettait d’écouter France Inter, France Culture et France Musique, les trois seules stations disponibles en 1966.
France Musique avait un énorme avantage sur le « France Musiques » d’aujourd’hui : On y diffusait les œuvres plutôt qu’en parler continûment pour n’en diffuser que des extraits à titre d’illustration du discours…
Il n’empêche que, malgré un peu de commissions et un passage devant « l’Ornano 43 » pour voir ce qu’on y projetait, la journée était longue comme un jour sans pain.
Je repassai sur France Inter qui passait un truc genre Rolling Stones ou Beatles.
A la fin de la chanson, j’éteignis tout et pris un livre auquel je ne réussis pas à m’intéresser.
Dieu n’existe pas mais il y en a quand même un pour les adolescents que l’absence de l’autre noie sous le spleen.
Il commença par réveiller la faim qui, chez moi avait le sommeil léger.
Le dîner avalé et la vaisselle faite, ce même dieu me permit de m’endormir profondément au bout d’une vingtaine de pages.
Le matin me réveilla avec son soleil éblouissant et un ciel qui, avec cette avalanche de lumière, ressemblait déjà à une tôle de fer.
Devinez quelle fut ma première pensée ? Ouiii !!! J’allais « la » voir !
Tout à l’heure était déjà trop lointain mais, comme disait le comte de Bussy-Rabutin, « quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a… ».
Je partis lentement pour la rue d’Hauteville, j’y allai en traînant nonchalamment le long des trois boulevards qui m’amenaient au bas de son immeuble. Je m’arrêtai dans un café pour y manger un sandwich et boire un verre d’eau.
Plus loin, j’achetai un paquet de chewing-gum à la menthe.
C’est ça le tact, ne pas oublier que la menthe c’est mieux que le saucisson sec pour embrasser l’élue de son cœur…
 J’avais beau marcher lentement, mon pas était encore trop long et j’arrivai avec près d’une heure d’avance au bas de chez elle. D’ailleurs, j’étais idiot de l’attendre déjà. Il n’était pas treize heures.
Mais il y a des jours où la chance vous sourit. J’entendis dans son immeuble claquer précipitamment des semelles. Une heure de gagnée ! Après qu’elle m’eût dit que derrière le rideau elle surveillait la rue, nous refîmes une prise de « la fille du shérif et le héros » et nous partîmes pour le jardin du Luxembourg.
Après avoir rejoint les grands boulevards, nous descendîmes le boulevard de Sébastopol jusqu’à la Seine que nous traversâmes via l’île de la Cité.
Toujours flânant, nous avons remonté le boulevard Saint-Michel jusqu’au jardin du Luxembourg où nous nous sommes assis, face au kiosque à musique. Nous étions très en avance mais nous avions tant de jours à rattraper que nous avons su mettre ce temps à profit. Que n’avons-nous pas dit comme bêtises, ri sous cape à dire des méchancetés sur les promeneurs –c’est quelque chose où je suis très fort et il est heureux que je parle doucement- et évidemment échangé des serments où cette histoire d’éternité revenait souvent.
L’orchestre est arrivé et a commencé à s’installer, la cacophonie de l’accord des instruments nous a passionné un moment, les gens ont commencé à affluer à leur tour.
Le chef a présenté l’orchestre et l’oeuvre que vous connaissez sans doute.
Mais si, lectrices chéries, vous connaissez toutes, j’en suis sûr, ce concerto pour clarinette de Mozart. L’adagio de ce concerto accompagne merveilleusement la scène où Robert Redford lave les cheveux de Meryl Streep dans « Out of Africa » probablement la scène la plus érotique du cinéma américain. Quoique je me demande si la partie d’échecs entre Faye Dunaway et Steeve Mc Queen dans « L’Affaire Thomas Crown », ne l'est pas autant qui, elle aussi, réveillerait un mort…
Inutile de vous décrire l’état dans lequel ce concert nous mit. Nous sommes restés assis un temps fou après la fin du concert, ne voyant pas pourquoi nous devrions nous lever et regagner nos pénates.
D’autant qu’il faisait doux et que nous étions si bien, nos chaises presqu’aussi collées que nous. 
En fait, je me demande encore comment nous sommes parvenus en bas de chez elle car parcourir une telle distance en se tenant par la taille n’est pas si aisé. Surtout qu’il n’était pas question une seconde de nous séparer en traversant les rues ou les boulevards.
Ah si ! A un moment, nous nous sommes arrêtés pour boire un café. Il a fallu que je lâche sa main au moment de régler le cafetier. On ne dira jamais assez la cruauté des cafetiers.
Avec bien du mal, nous nous résolûmes à nous séparer jusqu’au lendemain.
C'est fou comme les lèvres ont des propriétés adhérentes qui ne sont pas sans rappeler le gekko...

jeudi, 21 février 2013

Un petit baiser, comme une folle araignée, Te courra par le cou...

Non, ce détail affreux n’avait rien à voir avec des drames épouvantables comme le travail, la peau grêlée, la solitude ou pire, les cours d’Histoire. Non, c’était bien plus grave.
Et non, lectrices chéries qui ne pensez qu’à ça, il ne s’agissait pas de « ça ».
Je dois vous rappeler qu’en 1966, à part les bourrins qui se faisaient envoyer aux pelotes neuf fois sur dix, on ne « parlait pas de ça », « ça » arrivait, c’est tout, et seulement des fois, et le plus souvent  « ça » n'arrivait pas…
Bon, revenons à notre histoire.
En effet, dans notre programme dominical, il n’y avait pas que l’échange de bisous, il y avait aussi un déjeuner. Déjeuner que avions prévu dans un de ces petits restaurants, nombreux dans les rues avoisinant les grands boulevards.
Bien que nous nous soyons retrouvés assez tôt, nos nombreux arrêts firent que la matinée était bien avancée quand nous atteignîmes le boulevard de Bonne-Nouvelle.
Plus nous avancions, plus il apparaissait, malheureusement pour la capacité d’absorption phénoménale des estomacs adolescents, que tous les petits restaurants qui nourrissaient le travailleur parisien pendant la semaine étaient fermés le dimanche.
Les restaurants ouverts sur les boulevards étaient hors de notre portée. Tous affichaient des prix qui allaient d’inabordable à exorbitant. Malgré la chappe de désespoir qui s’abattit alors sur les épaules de votre serviteur et de sa camarade, nous tînmes bon.
Nous avons donc continué jusqu’à la rue Montmartre que nous avons descendue jusqu’aux Halles.
Je voyais venir le moment où, tels « Carmen et La Hurlette », nous serions sur un banc à manger un paquet de gâteau « acheté chez un Arabe », un vrai repas de clochards.
Heureusement, pas très loin de l’Hôtel de Ville, un café du bas de la rue des Archives nous accueillit.
Enfin… Nous accueillit surtout d’un « non, non, non les enfants ! Là devant, il y a une table, pas la banquette là-bas ! »
Je tentai un « mais… Madame… » que j’eus à peine le temps de finir.
Elle continua, plus gentiment cette fois « je sais ce que c’est ! Vous allez vous mettre là-bas et vous bécoter jusqu’à pas d’heure ! Et moi, demain j’ouvre de bonne heure, alors je ferme tôt ! Qu’est-ce que vous voulez ? »
Je regardai Anne-Marie et lui dis « un sandwich ? », elle acquiesça, j’allai demander deux sandwiches quand la dame soupira et haussa les épaules.
« Un sandwich… J’vous demande un peu… A votre âge, ça mange…Vous ne voulez pas plutôt une omelette ? », elle sourit et ajouta « au jambon, pas aux oignons… » d’un air entendu.
Les dernières bouchées furent mangées froides parce que déjeuner les yeux dans les yeux nécessite un minimum de précautions qui ralentissent considérablement le rythme prandial.
Après deux cafés, « un normal et un serré s’il vous plaît madame » nous partîmes bras dessus bras dessous vers la Seine. Nous nous promenâmes sur le quai de l’Hôtel de Ville, jusqu’au quai Henri IV. C’était bien, il n’y avait pas encore la voie Georges Pompidou.
Nous revînmes vers l’Hôtel de Ville et remontâmes la rue du Temple. En ces temps reculés, la rue était totalement vide le dimanche, ce qui est bien pratique pour échanger des baisers sans être l’objet de la réprobation des bien-pensants.
Au bout d’un bon millier de mètres et d’environ trois cent mille bisous, nous nous arrêtâmes au square du Temple et nous assîmes. A part quelques rares « vieux » -autant dire des gens de plus de trente ans-  le square était désert.
Nous étions assis sur un banc, les pieds sur une chaise –je sais, ça ne se fait pas mais nous étions si peu dans ce square…- et nous papotions car nos lèvres servaient parfois à parler quand elle me demanda « au fait, vous préférez « tu » ou « vous » ? »
- Je ne me suis pas posé la question, nous nous voussoyons depuis le début et je n’y ai rien vu de gênant ou de distant.
- Et maintenant ?
Je réfléchis un instant –ne ricanez pas, ça m’arrive quand même-.
- Je crois que je préfère « vous », c’est bien plus doux que « tu ».
- Ah bon ?
- Absolument, « je vous aime » est nettement plus doux que « je t’aime ».
Un silence profond s’installa. Au bout de plus sieurs secondes, elle demanda :
- C’est vrai ?
- Quoi donc ?
- Les deux.
- Que c’est plus doux ?
- « Je vous aime ».
- C’est vrai ?
- Oui.
- Depuis quand ?
- Le premier soir, quand j’ai trébuché sur « Ophélie », j’avais perdu le fil et vous m’avez soufflé
« C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux! »,
j’ai failli vous embrasser, et vous ?
- Le premier soir, sous le réverbère, quand vous m’avez dit
« Vous avez trouvé un prétexte ? », vous étiez si belle, avec un tel regard, j’ai eu un mal fou à me retenir.
J’attirai sa tête contre ma poitrine et lui demandai de répéter.
Elle redit doucement  « je vous aime » et affirma « c’est vrai, ça bat plus vite ».
Je lui demandai « et vous », elle écarta les pans de sa veste, un je ne sais quoi –enfin si, je sais- dans mon regard la fit s’écrier « ne touchez pas ! » puis elle attira ma tête contre elle. Son cœur battait vite.
- Redites moi « je vous aime … S’il vous plaît… Redites le…».
Je redis  « je vous aime » et effectivement, son coeur eut un raté et accéléra mais je fus victime d’un brusque accès de tachycardie quand elle posa doucement sa main sur ma joue et me pressa contre sa poitrine plus longtemps que nécessaire.
C’est là qu’on s’est aperçu qu’on avait quand même plusieurs jours à rattraper…
Mon dieu qu’on est niais à cet âge.

 

mercredi, 20 février 2013

Avec ivresse et lente gourmandise

Le reste de la promenade fut agréable et beaucoup plus détendu que les jours précédents.
Nous flottions au dessus du macadam.
À vue de nez, je dirais environ à trente centimètres du sol…
A croire que chacun avait attendu de l’autre le geste qu’il n’osait lui-même.
Nous retournâmes d’un pas tranquille jusque chez « elle » et là, de nouveau, nous sentîmes empruntés.
Aucun d’entre nous n’osait réitérer de son propre chef cette si intéressante expérience.
Nous passâmes encore quelques minutes en bas, elle me tendit sa joue, je lui tendis la mienne.
Elle se dirigea vers la porte puis se retourna.
Tandis qu’elle me regardait je partis, j’entendis la porte de l’immeuble s’ouvrir.
Je me retournai puis revins sur mes pas, elle s’arrêta, nous repartîmes.
Nous fîmes quelques pas pour nous rapprocher puis je dis « à demain » et on recommença ce ballet plusieurs fois.
Nous nous étions peut-être transformés en douce en « Jokary ».
Mais si, vous savez bien, ce jeu où une balle est liée à son support par un élastique, de sorte que quelle que soit la force qui l’en a éloignée elle y revienne toujours …
Après nous être embrassés une fois de plus sur la joue, elle se dirigea enfin vers la porte tandis que j’attendais que la porte se referme.
Au bout de quelques pas, elle s’arrêta, se retourna vers moi et referma les yeux en disant doucement  « vous ne voulez pas recommencer ? Pour être sûre… ».
Et je me demandai ce qu’une fille aussi jolie pouvait bien trouver à un garçon comme moi mais je m’exécutai.
Je n’avais aucune idée de ce que nous ferions dimanche mais ça n’avait plus aucune importance.
Tout ce que je savais, c’est que nous serions ensemble dès le matin car elle était seule et que nous déjeunerions dans un café.
Ce dimanche arriva trop lentement à mon gré, pourtant la soirée avec les parents avait été agréable et, pour une fois, le dîner consistait en « vraie cuisine », pas le sempiternel  « pâtes-jambon » ou pommes de terre sautées-omelette. L’humour paternel, celui qui faisait bondir ma mère et lui donnait envie de lui donner des coups de poêle, faisait ses dégâts habituels. Cette fois, je faisais partie de ses cibles.
« Tu devrais y aller doucement, fiston, à force d’astiquer tes chaussures, on commence à voir tes chaussettes au travers… » ou « Fais quand même attention, un poteau est si vite arrivé quand on rêvasse en marchant. »
Ma mère, qui appréciait modérément l’humour paternel le supportait mieux quand il m’égratignait.
Surtout quand il moquait ma préparation à un rendez-vous galant.
Pour ma mère, qu’il s’agît d’un grand amour –pour elle d'ailleurs, aucun ne pouvait exister qui lui enlevât son fils- ou d’un flirt, j’avais droit à « tu vas encore retrouver cette fille ?! ». 
Je me rappelle vous avoir dit que Freud s’est lamentablement planté, et que ce n’est pas le père qu’il faut tuer.
Je confirme.
Je quittai la maison joyeusement après avoir extorqué un supplément de plusieurs dizaines de francs à mon père qui n’était pas tenaillé, lui, par une envie furieuse de contrarier mes buts et savait bien l’importance du nerf de la guerre.
Et il savait combien les guerres de conquêtes sont dispendieuses…
Pour éviter d’empoussiérer mes chaussures, je pris le métro. J’attendis avec impatience le vacarme de ces rames vertes avec leur wagon rouge dans le milieu.
Vous souvenez-vous de ces plaques émaillées de couleur « blanc cassé » sur les flancs intérieurs des wagons ? Avec leur grecque tarabiscotée et difficile à suivre du doigt ? Ces merveilleuses créations de la société « Le Verre Etiré » faites exprès, j'en suis sûr, pour calmer l'impatience de ceux qui se rendaient à un rendez-vous.
Le dimanche, cette ligne était encombrée mais j’avais peu de stations à parcourir entre Simplon et Gare du Nord et ça m’éviterait une séance d’astiquage de mocassins poussiéreux.
Après avoir descendu la rue Lafayette, avant même d’avoir atteint la place Franz Liszt je la vis.
Hé hé… Cette fois c’est elle qui était en avance.
Nous nous commençâmes par échanger, alors que l’ai su plus tard, pas plus que moi elle ne songeait à ça, un baiser sur chaque joue.
Plus jeune, comme beaucoup de garçons, j’avais rêvé parfois vivre entouré de filles nues, livrées à ma curiosité sans limites et satisfaisant avec plaisir des caprices qui n’avaient rien à voir avec les bonbons.
Apparemment, la vie semblait un peu plus compliquée que ça…
Je fus même surpris à cette époque de constater que je n’avais pas qu’un zizi mais aussi un cœur et que l’un n’allait pas sans l’autre.
Ce qui ne va pas sans causer bien des problèmes, surtout dans ce monde plein de bellâtres blonds à deux yeux pour vous faire concurrence.
Nous avons commencé à remonter sa rue en direction des grands boulevards puis nous nous sommes regardés et nous avons « fait comme hier ».
Nous y avons pris goût et réitéré la chose avec assiduité.
Nous tentâmes même avec succès la « version The End » mais il n’était pas pour autant question d’amour, hein...
Elle fut éblouissante dans le rôle de la fille du shérif.
Je tins honorablement celui du héros qui gagne à la fin.
Au lieu de nous enlacer nous aurions mieux fait de réfléchir à un détail affreux.
Enfin, affreux pour des adolescents…

mardi, 19 février 2013

« Soulève ta paupière close ».

Notre café bu, la première gorgée chaude, la seconde tiède et la troisième froide nous reprîmes notre route, toujours lentement. Le temps fraîchissait avec la fin d’après-midi aussi je lui remis mon pull sur les épaules. Nous papotions de choses et d’autres, de nos goûts, de ce que nous ferions après nos études.
Elle ne semblait pas reprocher au petit vent frais de l’avoir fait frissonner au point d’occuper illégalement mon pull et se serrer contre mon côté.
Le chemin nous parut court, occupés que nous étions à nous écouter mutuellement. Arrivés au pied de son immeuble, nous eûmes un peu plus de mal à nous séparer que les jours précédents et nous serrâmes l’un contre l’autre plus affectueusement en nous embrassant sur les joues.
Le lendemain matin je ramassai le désordre raisonnable de la maison.
Ce n’était pas que je sois particulièrement ordonné mais je passais peu de temps à la maison où je ne faisais que lire, écouter la radio ou de la musique en dînant et dormir.
Si bien, qu’à part faire mon lit et faire la vaisselle du petit-déjeuner, je n’avais pas beaucoup d’efforts à faire pour rendre la maison présentable. J’allais donc éviter une mercuriale parentale, c’était déjà ça de pris.
De plus, je savais que mes parents allaient amener avec eux quelques victuailles –il était temps- et refinancer la semaine qui venait. Cette façon de faire me convenait parfaitement. Je mangeais « utile et économique » de façon à garder le plus de sous possible dans la poche car un « Vittel-menthe » et un diabolo-fraise en terrasse avec « elle » trouaient plus férocement  mon budget qu’un repas à la maison, composé de deux œufs, de coquillettes et de pain.
Donc, les parents arrivés, les histoires de la semaine narrées, ma mère se montra un peu déçue de me voir partir si vite qu’elle me fit des adieux en cinémascope, comme si je partais aux Indes.
Mon père posa sa cigarette sur le bord de l’assiette pour m’embrasser.
Se fit engueuler par ma mère parce que « franchement ! Lemmy ! Les cendres dans les assiettes, ça ne se fait pas ! » et tous deux me libérèrent.
Mon père en me souhaitant un bon après-midi.
Ma mère en pestant « et tu vois encore « cette fille » demain !? »
Je redonnai un coup de brosse à mes chaussures sous un œil paternel goguenard.
A ce train, j’aurais usé le dessus de l’empeigne avant les semelles...
Et je partis joyeux vers ma probable gamelle.
Arrivé en bas de chez « elle », je commençai par faire, non pas « les cent pas » mais seulement « un cent pas » pour éviter de salir mes mocassins.
Ça m’apprendrait à être en avance. Elle arriva enfin.
Comme à chaque fois, j’eus le cœur qui accéléra lorsque j’embrassai sa joue.
Puis qui s’emballa lorsqu’elle me prit le bras et se serra.
Elle avait mis sa veste et elle avait bien fait car il y avait encore ce léger vent frais qui lui rosissait délicieusement les joues.
C’est en arrivant boulevard des Italiens, à la hauteur de la rue de Richelieu qu’il faillit arriver une catastrophe, « the » catastrophe. Une brusque saute de vent sortant de la rue de Richelieu lui arracha un « ssshhh ! ».
Elle se tourna vers moi, les yeux fermés une fine mèche de cheveux lui barrait le front.
Comme elle levait son visage moi et que je repoussai cette mèche de la main pour épargner ses yeux, ses paupières closes  et l’éclat de ses dents à travers ses lèvres entrouvertes furent trop tentants.
La catastrophe se profilait, je la voyais venir. Et ce serait entièrement ma faute.
Il y a des moments où la meilleure éducation du monde ne peut vous retenir.
D’ailleurs elle n’y parvint pas…
 Après avoir contemplé un bref, très bref, trop bref instant son visage, j’embrassai ces lèvres comme si elles m’avaient été offertes gracieusement par le sort.
Mais doucement quand même.
Ce ne fut pas un baiser de cinéma, non, un baiser léger, et je regrettai, trop tard bien sûr, mon impatience.
J’attendais une tarte.
Je n’ai pas reçu de gifle.
Il y a des jours comme ça.
« Je suis désolé, je n’ai pu résister. »
Elle rouvrit les yeux, me jeta un regard malicieux et me dit « Hon, hon… j’ai vu ça… », sourit et me reprit le bras. Comme s’il était à elle, cette fois-ci.
Sans le faire exprès, je venais de trouver une bonne raison de nous revoir dimanche.
Il n’empêche qu’une fois de plus, elle m’avait bien eu…
Non, Emilia-Celina, ce n’est pas pour te satisfaire, c’est simplement que c’est à ce moment que c’est arrivé.
Et je sais bien que ce n’est pas « le vif du sujet » mais il te faut attendre…

lundi, 18 février 2013

Toujours l'impatience à l'amour est mêlée.

Lectrices chéries, mes amours, du moins les plus pressées d’entre vous.
Vous qui souhaitez entrer rapidement « dans le vif du sujet », méditez sagement ce vers de Corneille.
Avez-vous remarqué quelques détails qui m’empêchent de répondre à votre hâte avec la diligence qui sied à l'esclave bien dressé ?
Avez-vous vu que vous êtes en train de lire l’histoire de deux jeunes gens qui ont dix-sept ans en l’an de grâce 1966 ?
Vous rappelez-vous qu’à ce stade de l’histoire, ils ne se connaissent que depuis trois jours ?
Avez-vous remarqué aussi que l’une est réservée car ne sachant pas à quoi s’attendre, tandis que l’autre est prudent, ne pouvant compter sur l’œil de velours de Rudolf Valentino, et que les deux sont finalement assez timides ?
Rappelez-vous qu’en 1966, et Emilia-Celina ne me contredira pas, un garçon « bien élevé », contrairement au « voyou de la Porte de Clignancourt » ne se jette pas voracement le jour même et pas plus le lendemain, sur une jeune fille, « bien élevée » elle aussi, pour lui plaquer un baiser genre « The End » comme fait le héros à la fille du sherif à la fin du film en technicolor.
Ouaip ! En 1966, on ne disait pas « rouler un patin » –sauf peut-être dans les romans de San-Antonio, car ce commissaire était un grand rouleur de patins-, ni « rouler une galoche » et encore moins « rouler une pelle », sauf peut-être « les voyous de la Porte de Clignancourt ».
De plus, les lectrices chéries qui me connaissent savent que si elles croisent Apollon et votre serviteur dans le même couloir au même instant, il y a peu de chances qu’on les prenne pour des jumeaux monozygotes.
Donc, vous êtes bien obligées, lectrices chéries d’attendre que les évènements se produisent.
Au mieux, vous pourriez supputer leur déroulement.
Mais vous êtes obligées d’attendre pour savoir si vous aviez raison…