mercredi, 18 juillet 2012
Confiteor...
Vous savez maintenant mon goût pour la chimie et les déboires qu’il peut engendrer.
Je songeai donc à me livrer désormais à d’autres activités qui, quoique moins risquées m’emmenaient parfois bénéficier des talents qu’on rencontre à l’AP-HP.
J’eus malgré tout la chance de ne connaître de l’hôpital que les services de traumatologie.
Cette année scolaire 1960-1961 fut une année qui me dévoila la duplicité de l’âme professorale dès le premier trimestre.
J’en garde le souvenir d’un trimestre qui se solda de façon désastreuse en français. Le latin, comme les mathématiques, oblige à un travail soutenu, ne serait-ce que pour savoir de quoi on parle, le français en revanche peut se satisfaire d’un travail de dilettante –au sens noble du terme- quand on a bénéficié d’un entraînement chez les Frères.
Je vous rappelle qu’il ne manquait guère chez eux que des miradors aux quatre coins de la salle pour parfaire l’illusion d’un camp de travaux forcés.
Les choses arrivèrent insidieusement.
Mon nom me classait à peu près au début du dernier tiers de la liste d’appel. J’échappais la plupart du temps à l’invitation d’aller sur l’estrade pour montrer à mes petits camarades comme je savais bien telle fable de La Fontaine ou telle scène de Corneille.
Comme il fallait bien dispenser le cours, la vérification s’arrêtait rapidement, huit ou dix élèves au plus étaient interrogés.
Si j’étais interrogé le deuxième ou troisième, je m’en sortais bien car doté d’une assez bonne mémoire, j’arrivais à faire parfaitement illusion.
Un matin toutefois, la malchance fit que le stylo de la prof de lettres tomba en premier lieu sur mon nom.
Je fis la brillante démonstration que, contrairement à une légende répandue par le corps enseignant, un élève est capable d’observer un silence total en classe.
J’écopai d’une bulle, d’un droit de visite pour le jeudi et d’une mercuriale de ma mère « Si tu crois qu’on se saigne aux quatre veines pour que tu te conduises comme ces voyous de la Porte de Clignancourt ! ».
Oui, pour ma mère, l’archétype du Mal était, selon qu’elle s’en prenait à mes sœurs ou à moi, « ces filles de la Porte de Clignancourt » ou « ces voyous de la Porte de Clignancourt ».
Bref, la guigne de la semaine.
Ça ne m’empêcha d’aller voir « Hiroshima mon amour » à l’Ornano 43.
Contre toute attente, attiré par les mots « mon amour » dans le titre, alors qu’à la vue des premières images je pensais être déçu, le film me passionna.
Les choses reprirent un cours normal mais un peu cahotant tout de même, la prof de lettres se méfiant de moi et de mon goût marqué pour le moindre effort.
De temps en temps, elle m’interrogeait le premier, histoire d’être sûre que j’étais ce qu’elle pensait que j’étais : Doué peut-être, flemmard sûrement.
J’appris mes leçons quelque temps pour échapper au mauvais sort, elle se calma, pensant que la leçon avait porté.
Peu de semaines avant la période dite « des compos », une avalanche de zéros m’emporta, surpris brutalement que je fus par la reprise des hostilités.
Le jour de la composition de récitation, mon tour survint.
Elle commença par « Le cheval et le loup », impeccable.
Et c’est là que sa duplicité s’exposa.
Pour tous les autres, les bégayeurs, les cancres avérés –très rares, un oubli de l’administration sans doute, ou des parents redoutablement efficaces dans leur plaidoiries- et les « bons élèves », les « Agnan », une seule tentative de les coincer suffisait, sans illusion qu’elle était sur le résultat.
En revanche, quand mon récit s’acheva, elle demanda « et si vous nous disiez, avec les mots de Corneille, comment Rodrigue subvertit les arabes ? », je gagnai donc le droit de réciter le Cid, « sous moi donc cette troupe s’avance ».
Je ne portais pas « sur le front cette mâle assurance » mais je m’exécutai.
Puis, « Le loup et le chien », puis « Les animaux malades de la peste ».
Je me demandai ce qu’elle cherchait exactement.
Je savais toutes, oui toutes, absolument toutes les récitations du trimestre.
Je le savais bien, j’avais travaillé d’arrache pieds pendant les trois derniers jours !
Et à la fin elle m’annonça « Zéro, monsieur Le-Goût ! »
Je la regardai, effaré, « Mais pourquoi ?».
« Pourquoi ? Eh bien parce que je sais maintenant que vous n’avez jamais appris vos leçons pendant tout le trimestre et que vous avez été capable en moins d’une semaine –comment le savait-elle ?- d’apprendre tous les textes du trimestre, un scandale ! Un gaspillage ! »
Et elle persista, « Vous êtes ici pour apprendre à apprendre, pas pour ingurgiter bêtement les textes qu’on vous désigne ! En deux mots vous êtes ici pour travailler, pas pour m’accorder une vague attention quand ce que je dis vous intéresse !»
Je ne m’étais jamais fait sermonner de cette façon.
Je me le tins pour dit, au moins jusqu’à la fin de l’année.
Il n’empêche qu’en pensant à cette compo de récitation, j’ai encore la honte au front.
Un autre épisode l’année suivante me fit encore plus honte, rien que d’y penser.
Et je ne pense pas avoir le courage de le raconter.
La cruauté des enfants est effroyable. Je n’étais pas seul en cause mais j’ai encore honte à chaque fois que j’y pense.
Heureusement, pour adoucir ma peine, il y eut Nicole K. une des copines de ma sœur.
Pour occuper les jeudis désormais sans visite au lycée, j’en tombai immédiatement amoureux fou.
Pour au moins un mois et demi…
Les grandes vacances arrivaient.
La Bourgogne était prévue.
Ce ne sera pas encore cette fois que Mab sera satisfaite...
Mais si ce n'est l'année prochaine, ce sera l'année suivante.
21:26 | Commentaires (7)
Commentaires
quand même te mettre zéro alors que tu connaissais les poêmes par coeur !
Écrit par : liliplume | mercredi, 18 juillet 2012
la prof (on en fait plus des comme ça) avait senti la forte tête.
Écrit par : mab | jeudi, 19 juillet 2012
elle y a été un peu fort cette prof quand--même! Du'n autre côté elle a su te percer à jour!!!Peut-etre t'a-t-elle rendu service!
Écrit par : emiliacelina | jeudi, 19 juillet 2012
Souvent j'entends les gens de ma génération (celle qui a connu les dinosaures), regretter leur jeunesse. Pas moi ! Oh que non, je ne regrette pas le temps des examens, des résultats (toujours calamiteux) du retour des notes sur des devoirs faits sans le secours de l'internet. La seule chose que je regrette de ces années là : la souplesse de mes articulations. Pour le reste ce n'était pas la gloire !
Écrit par : Jeanmi | vendredi, 20 juillet 2012
Dur le zéro mais dans le fond, tu as bien compris le message qu'elle voulait transmettre. Rien de plus énervant qu'un élève intelligent mais feignant. Je le sais, c'est passé de mère en fils !...
Écrit par : lakevio | vendredi, 20 juillet 2012
tu sais très bien nous mettre l'eau à la bouche!!! tu écrit bien,avec un bon Français, ça me fait du bien de te lire, je m'aperçois de toutes les fautes que je fais"d'expression"bonne soirée!
Écrit par : mialjo | vendredi, 20 juillet 2012
Il faudrait pas qu'un prof s'avise de faire ça de nos jours car je ne te dis pas le sandale de parents !!!!
Écrit par : ange-etrange | lundi, 06 août 2012
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