mardi, 19 novembre 2013
Joli moi de mai...
Les choses se passèrent plutôt bien jusqu’à la période de Pâques.
J’apprenais à chanter le jeudi, je chantais le vendredi, je me relavais les pieds le samedi et je restais collé le dimanche.
Ce n’était pas encore l’année néfaste, la dernière que je passerai chez les Frères, celle où je passerai les week-end et toutes les petites vacances à la pension.
Ma grande sœur, qui aurait alors seize ans, passerait ses jeudis à venir me voir pendant une partie de l’après-midi. Elle y rencontrerait un jeune homme, un « des grandes classes » que je ne connus que sous l’appellation de « Poussin », que ce soit par sa mère ou par ma sœur. Un jeune homme gentil -surtout avec ma grande sœur- qui serait tué en Algérie quelques années plus tard par une balle perdue. Quarante minutes après le cessez-le-feu… Ma sœur s’en remit, la mère de « Poussin » certainement pas. Je sais maintenant qu’on ne se remet pas de la perte d’un enfant.
Je passai la période de Pâques, comme d’habitude, chez mes grands-parents maternels. J’aimais beaucoup cette période chez eux. Le jardin y embaumait alors le lilas et, si le vendredi saint « il ne fallait surtout pas se couper les ongles car c’était couper du pain béni au diable », le dimanche matin c’était fête.
Mes petites sœurs et moi cherchions les œufs de sucre et les petits poissons en chocolat dans les massifs de giroflées et de narcisses . Même grand-père s’y mettait aussi, l’air de rien et n’hésitait pas à engloutir sur le champ ses trouvailles sous le regard scandalisé de ma grand-mère, les moqueries de mon père et les reproches de ma mère.
C’était vraiment bien.
Je retournai alors à la pension pour le troisième trimestre, les yeux pleins de tous les « illustrés » dont j’avais fait une énorme consommation, profitant honteusement de la gratuité offerte par « la cousine marchande ».
Je fis connaissance avec des « illustrés » comme « Sidéral » ou « Météor » dont j’ai lu plus tard les romans qui les avaient inspirés, écrits par les auteurs de « Astounding Stories » ou « Amazing Science Fiction ».
C’était décidé, je serai écrivain. Il suffisait de savoir lire, écrire et d’un peu d’imagination. En plus ce n’était pas épuisant, on gagnait beaucoup de sous et on était célèbre.
Ben oui, je ne savais pas encore qu’il faut surtout avoir quelque chose à dire…
Cette affaire de célèbrité m’intéressait beaucoup car le copain que je m’étais fait, Loïc, le seul qui m’appelait par mon prénom et que j’appelais par le sien, avait une sœur.
Et quand on est célèbre, c’est bien connu, les filles ne vous résistent pas. Je ne savait rien de ce qu’on pouvait en faire. Seulement « qu’il paraît que c’est vachement bien ».
Je revins donc à la pension, heureux de la place que j’avais au dortoir qui me permettait de voir « mon » coin de ciel et cette branche d’acacia dont je vous ai déjà parlé et qui embaumait le soir.
Hélas, il y avait une surprise dont je me serait bien passé. Et mes compagnons de géhenne aussi. Le moi de mai, dit « Mois de Marie » voyait venir chez mes cinglés un des leurs envoyé en Afrique pour apprendre « aux petits nègres qu’ils étaient des créatures de Dieu et que Dieu les aimait aussi ».
J’avais pu constater que si dieu les aimait, il ne m’aimait pas et que ce « Père blanc » était là pour me le faire sentir ainsi qu’à mes camarades.
Je doutais déjà de l’existence d’un dieu d’amour et de bonté vu ce que je subissais ici.
Le « Père blanc » qui venait nous engueuler à longueur de messe nous prouvait surtout que ce dieu-là était un préfet de police, un véritable Fouché de l’univers qui était plus prompt à la malédiction qu’à la consolation.
Les plus sensibles de mes camarades - si, si il y en avait de sensibles, on les repérait à leurs coquards…- en étaient effrayés et se réveillaient la nuit en proie à des cauchemars pleins des flammes de l’enfer qui les grillaient à cœur.
« Vous êtes des méchants ! Vous êtes méchants ! Très méchants, mes enfants ! Et le Diable vous arrachera des mains de Dieu pour vous plonger dans les affres de l’enfer pour l’éternité ! » hurlait-il en chaire. Comme ma mère avait déjà usé libéralement de taloches pour supprimer mon mauvais accent, l’idée d’enfer et de diable dont on m’avait déjà abondamment parlé ne me troublait pas plus que ça.
07:24 | Commentaires (6)
Commentaires
Toi encore tu pouvais faire la part des choses, tu imagines l'effet de cette éducation sur un gamin moins bien pourvu côté QI?
Écrit par : mab | mardi, 19 novembre 2013
Ta mère t'a laissé te martyriser par ces sadiques ?
Écrit par : Brigitte | mardi, 19 novembre 2013
j'ai été traumatisée (j'étais hypersensible peut être) par ce que l'on nous disait au catéchisme.
Écrit par : liliplume | mardi, 19 novembre 2013
si c'est ainsi que ce père blanc prêchait en Afrique , j'imagine l'effet produit sur ceux qu'il voulait convertir!
Tu as quand-même vécu une partie de ton enfance de façon pas très gaie, heureusement que ton amour des études et ton intelligence t'ont aidé!
Écrit par : emiliacelina | mardi, 19 novembre 2013
hé bé...vraiment quand j'entendais parler des Jésuites, je ne m'attendais pas à cette manipulation monstrueuse et méchante, en fait c'était eux les diables! moi j'ai appris la religion autrement et je n'en ai gardé que des bons souvenirs, comme quoi...il y a Dieu et de l'autre côté, les hommes...c'est ça qui va pas...lol...pourquoi t'as pas fait chanteur? tu devais bien chanter, tu aurais pu aux temps des yéyés...c'était facile! kiss
Écrit par : mialjo | mercredi, 20 novembre 2013
Ah Sidéral, Météor, Blek le roc !!
Moi aussi j'ai commencé par là.
Écrit par : clodoweg | dimanche, 24 novembre 2013
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