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lundi, 11 novembre 2019

Devoir de Lakevio du Goût N° 15

Vous m’avez forcé à travailler, lectrices chéries, et je déteste ça.
Mais bon... Au boulot, donc ...

*
***

Degas_toilette_Met.jpg

J’admirais cette beauté.
Avec envie je la contemplais, jaloux aussi de sa souplesse.
Pas seulement de sa souplesse et pas seulement parce qu’à mon âge j’aurais été bien en peine, assis sur le pouf du cabinet de toilette,  de poser le pied sur le bord du meuble.
Je regardais ébloui, ce dos, et ce sein hélas en partie masqué par une jambe dont la peau pâle donnait envie de croquer dedans.
Enfin… Croquer… Oh ! Pas mordre, oh non !
Seulement croquer à la façon dont les chats vous mordillent pour vous montrer qu’ils vous aiment.
Je l’admirais donc, trouvant la suggestion plus excitante elle-même que la vision de ce qu’on devine…
C’est à ce moment qu’elle m’a dit :
- Ah ! Au fait, je m’en vais ! 
- Mêêêê…
Bêlai-je, abasourdi.
Tout en finissant calmement d’essuyer son pied, bon sang que de beauté, elle a ajouté :
- Ah ! Au fait, tu sais, le garçon avec qui tu m’as vue au café…
- Euh… Non.
Je ne l’avais pas remarqué, tout occupé en la regardant à rêver à des choses qu’on ne dit pas mais qu’on fait et qui me semblaient tout à coup compromises.
- Eh bien, c’est lui que j’aime !
J’ai sursauté :
- Mais enfin ! Cette nuit… Tout de même… 
- Eh bien c’était la dernière !
- Mais pourquoi ?
- Parce que lui au moins il est jeune ! 
Elle me l’a expliqué, se cachant vaguement cette fois-ci en se relevant du pouf, contrairement aux autres matins où elle prenait un malin plaisir à me tenter de ce qui me serait interdit jusqu’au soir.
J’en ai retiré que non seulement je craquais du dos la nuit, ronflais mais que lui au moins se préoccupait de protéger la Terre.
En plus il l’avait convaincue que non seulement manger de la viande c’était mal mais que même porter des chaussures cuir ne se faisait pas.
J’ai surtout compris qu’il avait un futur que je n’avais plus et que mon avenir, contrairement au sien, était derrière moi…
Quand elle fut habillée, elle me planta deux baisers sur les joues, remplit ses deux sacs et, avec un culot de commissaire  me dit « Tu m’accompagnes à la gare ? Il habite la campagne… »
Je suis donc descendu, « bien élevé » malgré tout.
J’ai même porté les sacs…
Pendant le trajet j’eus droit à tous les poncifs sur l’exploitation des animaux, le confort des chaussures à semelles de bois et autres billevesées comme les loups qui devraient discuter avec les agneaux plutôt que sauter dessus pour les bouffer...
Je l’ai abandonnée sur le quai et ai une dernière fois admiré sa démarche et le balancement de hanches que je savais si accueillantes…

Rembrandt,_bue_squartato,_1655,_02.jpg

Je suis ressorti de la gare, plutôt triste mais la surprise du lever et la beauté à sa toilette m’avaient empêché de prendre mon petit déjeuner.
La vie ne perdant jamais ses droits, je fus tiré de ce cauchemar par la faim.
Rien que la constatation de mon appétit me consola de la perte de ma camarade de jeux.
Peu porté au sentiment élégiaque, au lieu d’un immense chagrin j’éprouvai soudain un sentiment de liberté qui me gonfla aussitôt la poitrine.
Je me rendis compte alors que j’étais non seulement un peu vexé de m’être fait jeter mais surtout affamé.
Mon estomac commençait à gronder et je me mis à rêvasser à quelque repas pantagruélique.
Je me suis rappelé qu’il y avait une excellente boucherie sur le boulevard.
Je m’y suis arrêté et j’ai bien fait.
Derrière la vitrine, un bœuf était accroché qu’on venait de livrer et qui attendait d’être débité avant de rejoindre l’armoire réfrigérée.
Cette grande carcasse que je voyais, pleine de filet, de côtes, d’entrecôtes, de poire, d’aloyau, de merlan, de bavette, me faisait saliver d’avance.
Même, en haut de la carcasse, je discernais un morceau oublié là par le boucher.
De l’araignée que je n’appréciais que modérément car j’en trouvais le goût trop marqué.
Tout en maugréant quand même après ce jeanfoutre jeune, plein de dents blanches, de muscles et de cheveux, j’ai poussé la porte.
En entrant m’échappa « Je t’en foutrais, moi du véganisme ! Connard ! »
Je pensais avoir dit ça in petto aussi je fus surpris d’entendre le boucher me dire « Bonjour Monsieur ! Ah vous avez bien raison Monsieur ! » 
Je me suis rappelé alors que pour le boucher j’étais censé être un intellectuel alors j’ai tempéré mon propos d’un sentencieux :
- Tout de même, ce n’est pas parce qu’on les bouffe qu’on doit en plus maltraiter les animaux… 
- Vous avez bien raison, Monsieur, vous savez que je viens de recevoir du veau de Galice ? Une pure merveille…
- Il est comment ?
- Parfait, une maturation de trente jours pile !
- Une côte alors, s’il vous plaît.
- Une dizaine de minute au gril à pas plus de 55°C à cœur.
Le boucher m’a délesté d’une fortune…
Plein d’enthousiasme, je me suis alors lancé à la recherche de quelqu’une qui partagerait mon goût pour la vie à deux, les crus de Bourgogne et le veau de Galice…