mardi, 15 décembre 2020
Les lettres de mon moulin...
Ambre-Neige, avec ses histoires de café a ramené à la surface de ma mémoire une histoire.
Pas tant de café que de moulin à café.
Dans l’immeuble de mon enfance, qui tenait plus de « L’immeuble Yacoubian » de Alaa-Al-Aswany que de « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » de Georges Perec, le moulin à café était mécanique sauf chez le bougnat du rez-de-chaussée.
Toutefois, un moi de mai, la modernité entra à la maison à l’occasion de la Fête des Mères.
Lemmy, finança le complément en francs de la mise de fonds en centimes de votre serviteur et de ses petites sœurs et celle de quelques francs de ma grande sœur.
Celle-ci se vit chargée d’aller acheter au mieux des intérêts de tous le cadeau de notre mère.
Outre les colliers de nouilles et la coquille Saint-Jacques peinte, il fut offert à ma mère un moulin à café électrique.
Oui ! Un vrai moulin moderne ! Un vrai « Moulinex ».
Ce moulin éblouit tout le monde et donna entière satisfaction jusqu’au jour où mon père, passant illico de « Lemmy » à « Gaby », décida d’aider ma mère.
Or, ma mère, ignorant délibérément notre peu d’appétence pour les pois cassés décida d’en faire ce dimanche-là, probablement un de ces jours où la relative fortune nous épargnait pour une fois le choix cornélien entre les pâtes et les pommes de terre.
Elle fit cuire les « pois cassés » et commença à les écraser à l’aide du presse-légume que ma grand’mère lui avait donné.
Mon père, pressé de se faire pardonner une ânerie quelconque, lui proposa de l’aider.
Hélas, ce jour-là elle accepta avec un soupir de soulagement , la main douloureuse à force de manier le presse-légume et peu satisfaite du résultat.
« Merci Lemmy ! C’est gentil ! » dit-elle en lui tendant la casserole et le presse-légume.
Il prit la casserole, alla dans le fond du boyau où se trouvait l’évier, rinça le presse-purée et le posa sur l’égouttoir.
- Mais qu’est-ce que tu fais Lemmy ?
- Tu vas voir, ma poule…
Ah ça, on a vu…
Et entendu…
Mon père ouvrit le buffet de l’entrée, prit le moulin à café encore neuf sous l’œil inquiet de ma mère et vint poser le tout sur la table de « la grande pièce » qui n’était pas bien grande mais bon…
La prise était trop loin de la table aussi il remplit le moulin d’une louche de poids dégoulinants d’eau tiède et alla jusqu’à la prise près du coffre où on s’asseyait.
Il tint le moulin à la main, mit la fiche dans la prise.
Trop pressé de faire admirer le résultat à « Ma poule », il pressa le bouton alors qu’il enfonçait la fiche.
Il aurait été judicieux de tenir plutôt le couvercle du moulin.
Le moulin se mit à tourner à la vitesse folle habituelle, soulevant un tourbillon de pois-cassés qui firent rapidement sauter le couvercle.
On a ri.
Ma mère a hurlé « Oh non ! » et s’est précipitée.
Mon père dit « Oh merde ! » et a échappé le moulin qui alors a cessé de tourner.
Mon père était constellé de points verts de la taille aux cheveux.
Il y avait pire.
Des trainées de purée verte tapissaient le plafond, les murs, les meubles et les rideaux.
Bref, on n’a pas mangé de purée de pois-cassés.
Mais tout le monde a eu droit à la « soupe à la grimace »…
12:21 | Commentaires (9)