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dimanche, 14 mai 2023

Devoir de mémoire...

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D’abord remercier Adrienne qui réussit si souvent à accrocher par inadvertance un fil qui dépassait à peine et sur lequel je tire.
La note d’Adrienne aujourd’hui m’a ramené brutalement à la dure réalité des choses.
J’allais écrire « la dure réalité de la vie » quand soudain c’est surtout le fait qu’elle est brève et s’enfuit de façon impromptue qui est important.
Léontine donc…
Léontine était cette vieille dame née au mois d’avril 1925 et qui avait un goût marqué pour les escales au café car elle aimait beaucoup « traîner » dans les rues.
Elle aimait beaucoup aussi les tartes fines qu’elle faisait à merveille et qu’elle partageait avec nous et arrosait « d’une petite coupette ».
Bon, les « coupettes » étaient certes petites mais nombreuses et nous sommes parfois revenus à la maison d’un pas trop lent pour être normal et en la laissant avec un sévère « coup dans le nez »…
Léontine est morte en 2020.
Et ce n’est pas le Covid qui l’a emportée, elle était trop solide pour se laisser avoir par un virus, fut-il chinois.
Léontine est morte parce qu’on a voulu lui sauver la vie…
On a défendu à sa fille et les amies qui lui restaient de la voir.
Alors elle s’est laissé mourir.
La solitude l’a tuée plus sûrement que n’importe quelle affection.
Ce matin déjà, Heure-Bleue et moi qui avons parfois au réveil des conversations étranges, nous faisions la remarque qu’à partir d’un certain âge, nous étions plus accompagnés par nos morts que par nos vivants.
Nous avons commencé à battre le rappel ce ceux qui nous avions connus.
C’est là que je me suis aperçu que trois des jeunes filles que j’ai connues étaient mortes, certaines assez tôt.
Deux copains aussi sont allés se faire poser des fleurs sur le ventre.
Un autre, que j’ai connu en 1973 et qui m’a téléphoné l’an dernier ne donne aucun signe de vie.
Ses trois numéros de téléphone restent désespérément muets.
Un copain de lycée, celui qui m’a amené à « La Casita » en 1966, est lui aussi parti demander à Adonaï si par hasard il avait « une bonne signature ».
Je ne sais pourquoi c’est le mois de mai qui, chez moi ravive ces souvenirs…
Quelque chose qui me fait penser que la mémoire est comme une bibliothèque.
À la naissance, bien que pleine d’étagères, elle est vide.
Presque vide.
Sur une étagère du bas il n’y a qu’un micro-dictionnaire.
« Ouiinn », « Maman », « Papa »
Il y a aussi un mini-Bescherelle.
« Manger », « Dormir », « Toucher », « Entendre », « Sentir », « Voir ».
La bibliothèque se remplit chaque jour.
Pendant longtemps, elle est bien rangée.
Hélas comme toutes les bibliothèques de grands lecteurs, le bordel s’y installe.
Les années passent, les rayonnages se remplissent.
Puis, quand il n’y a plus de place sur les étagères, « on fait des piles ».
Les piles se multiplient avec les années.
Plus il y a d’années, plus il y a de tas informes à côté des piles.
Vient un moment où on a besoin d’une information dont on sait qu’elle est là, cachée au milieu du balagan.
Mais où ?
Tant que c’était rangé sur les étagères, ça allait.
Quand c’est dans les piles, ça va encore, suffit de trouver la pile.
Alors on fouine, on sait que ce n’est pas sur les étagères mais dans les piles.
Peut-être même dans les tas qu’on se met alors à fouiller.
Assez drôlement, on tombe sur un souvenir en cherchant dans un tas et, par je ne sais quel miracle il y a « une table des matières du tas » bien pratique qui permet de retrouver le déroulement de moments de vie…
Aujourd’hui, j’ai fait écrouler un tas par inadvertance.
En me penchant pour le relever, mon regard est passé sur une étagère.
J’ai vu un souvenir compressé et sur les pages collées par les ans, je ne peux lire que « rue Turgot »…
Un jour ça va sécher, il s’ouvrira et je saurai…

Commentaires

j'adore ton texte d'aujourd'hui... bon dimanche!

Écrit par : Emiliacelina | dimanche, 14 mai 2023

Je suis venue... te visiter... confirmant ce ressenti pour nos aînés que nous avons tous mal vécu face à la pandémie et cette grande solitude humaine qu'ils vivent dans la vieillesse et la dépendance... en ces temps où même plus jeunes, beaucoup la supportent... les êtres chers nous manquent ! Merci pour ton article. Bises dominicales à tous

Écrit par : Emma | dimanche, 14 mai 2023

"confirmant ce ressenti pour nos aînés"
Dans ce cas précis, "nos aînés" n'étaient pas des gens des générations précédentes, mais de jeunes gens et jeunes filles que j'ai côtoyés dans ma jeunesse et qui sont allés voir l'autre côté des fleurs bien trop tôt à mon goût...

Écrit par : le-gout-des-autres | dimanche, 14 mai 2023

Dans cet ordre des choses, je serais plutôt du genre Jacques Brel :
« Six pieds sous terre, Jojo, tu n'es pas mort ».
D'ailleurs, je me déleste de plus en plus. Anciens livres, boîtes- archives que je n'ouvrirai plus, vieilles lettres que je gardais précieusement en me disant « je relirai tout cela plus tard », mais en réalité je n'ai nulle intention désormais de relire quoi que ce soit. Je ne le souhaite plus. Le souvenir de chaque relation est vivant à l'intérieur et tel qu'il est actuellement, je ne veux pas faire en sorte qu'il pourrait être abîmé par un retour dans un passé réel mais fossilisé.
Cela dit je comprends très bien ce qui transparaît de tes sentiments à ce sujet par le billet que tu nous livres.

Écrit par : Alainx | dimanche, 14 mai 2023

Ce doit être un jour de communion aujourd'hui. Parmi les choses étranges, il y a celle dont je fais état ici http://delia63980.canalblog.com/.

Écrit par : delia | dimanche, 14 mai 2023

Ah cette solitude qui a fait "partir" tant de gens durant les "restrictions sanitaires" ...

Pour savoir si une personne est décédée, il y a ce site : https://arbre.app/insee

Écrit par : Fabie | dimanche, 14 mai 2023

Mourir à 95 ans en aimant encore la vie, c'est plutôt réussi, non? Toujours mieux que de finir sous respirateur artificiel, entourée de soignants épuisés, me semble-t-il.
Évidemment la peine est là pour ceux qui restent, mais la mort restant indissociable de la vie, quand elle arrive tard, et en douceur, je trouve ça plutôt apaisant. Seule la mort prématurée m'est révoltante.
J'aime bien ce que dit AlainX. Le passé existe en nous, c'est là qu'il est vivant, il a fait de nous ce que nous sommes, et plutôt que le revisiter en boucle, ce qui risque fort de nous conduire tout droit aux désillusions, je préfère désirer demain. Les morts sont morts, je suis vivante, "allante", légère...
Reste que ta photo interpelle (en voilà des morts révoltantes), en rapport j'imagine avec la rue que tu nommes ♥

Écrit par : La Baladine | dimanche, 14 mai 2023

C'est ce que je disais à Delia en commentant son lien : " "tant qu'il reste quelqu'un pour penser à eux, ceux qu'on a aimés ne sont pas morts"."

"Toujours mieux que de finir sous respirateur artificiel, entourée de soignants épuisés"
Et même si les soignants ne sont pas épuisés...
J'aime bien l'idée d'une chandelle arrivée au bout et soufflée par un dernier ciourant d'air.
HB et moi avons l'expérience d'une agonie de 11 mois, le truc qui fait que l'impression ressentie est du soulagement et pas du chagrin...
(la rue Turgot n'a pas à voir avec la photo qui elle est une photo du mémorial de la rue François Miron, la rue Turgot est une espèce de petit truc qui me titille la mémoire régulièrement, un peu comme les anniversaires arrivent une fois l'an.)
Quant à être "délesté" comme dit Alain, nous avons été délesté de quasiment tout par les évènements, nous nous soommes dit "Bah... ce ne sont que des choses..." et nous avons recommencé, la vraie vie, quoi...

Écrit par : le-gout-des-autres | dimanche, 14 mai 2023

Je parlais aussi des plus jeunes que nous avons perdus, beaucoup trop vite, beaucoup trop tôt !

Écrit par : Emma | dimanche, 14 mai 2023

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