jeudi, 07 mars 2024
Mon prénom
Vous savez quoi, lectrices chéries et vous aussi lecteurs chéris ?
Gamin, mon prénom ne me plaisait pas.
Mais alors pas du tout.
Vous vous en foutez, je le sais…
Maintenant je me suis habitué mais mettez-vous à ma place, deux secondes.
À part un copain de pension qui s’appelait « Loïc » et qui me tannait avec sa Bretagne natale, j’étais entouré dans mon quartier d’une foule de Michel, André, Roger, Jean-Pierre, Jean-Jacques et pire, de Philippe.
Je n’avais évidemment pas le droit de parler à la foule des Mohammed, Mouloud et autres Rachid, des fois qu’être arabe, ça soit contagieux…
D’ailleurs ils ne cherchaient pas non plus à me parler.
Depuis ma rencontre de la maternelle avec Malika, celle aux yeux si bleus qui me donnait la main, la méfiance s’était installée, aggravée par le fait que ma grande sœur avait été embêtée par « un Arabe » qui voulait absolument « lui faire des trucs qu’elle aurait peut-être bien voulu mais pas avec lui »…
Pour les « Philippe », nés juste après la guerre, je me demande à quoi avaient bien pu penser leurs parents pour les appeler « Philippe », parce que franchement…
Ma mère m’avoua bien plus tard avoir choisi mon prénom parce qu’elle était tombée amoureuse, avec un manque de clairvoyance désastreux, de Jean Marais dans « L’éternel retour »…
Elle fut séduite au point de m’appeler « Patrice ».
N'étant pas encore le snob devenu après des années dans un lycée de bourges, je n’aimais pas sortir du lot des prénoms qui couraient dans le quartier.
Ah ! Lectrices chéries, et oui, vous aussi lecteurs chéris !
Si vous saviez comme j’aurais aimé que des « potes » et pas des « copains », m’appelassent « Dédé », « Gégé » ou « Nanard » en me donnant des claques sur l’épaule.
« Nénesse » et « Bébert » étaient déjà passés de mode, tant pis…
En foi de quoi, j’ai détesté mon prénom jusqu’à ce que je devienne copain avec un garçon de la rue Championnet.
Je vous ai déjà parlé de Bernard R. à propos du square Saint-Lambert quand nous étions plus vieux.
J’avais fait sa connaissance quelques années auparavant, alors que je faisais les courses dans le coin avec ma mère et que je regardais les photos du cinéma « Ornano Palace », là où j’avais vu « Les dix commandements ».
Bernard était un garçon brun et mat, comme votre serviteur mais en plus timide.
Nous avions engagé la conversation timidement sur Stewart Granger car évidemment, « l’Ornano Palace » proposait un vieux western.
Tout aussi évidemment nous ne fûmes « pas d’acc’ » parce que « Robert Vaughn, quand même, y tire mieux ! »
Un peu qu’il tirait mieux, d’ailleurs « Les sept mercenaires » le prouvaient…
Quand sa mère vint le prendre, on se donna rendez-vous pour le jeudi.
Ma mère ne dit rien mais n’agréa pas franchement jusqu’à ce que Bernard lui dise poliment « Au revoir madame ».
Ma mère, dans sa hantise de « l’accent faubourien des voyous de la Porte de Clignancourt » ne déteignît sur « mon fils, mon sang », fut satisfaite de mon nouveau copain, bien qu’elle n’appréciât pas vraiment que je devinsse copain avec un garçon du quartier.
Quelques années plus tard, il quitta l’école pour un travail d’apprenti mécanicien à la RATP toute proche mais nous restâmes copains.
Et c’est lui qui, un après-midi d’été de sa dernière année d’école me confia quelque chose qui me fit considérer autrement mon prénom.
Bernard me confia tristement un jour qu’on était assis sur un banc du square Clignancourt, ce havre de paix quasiment bourgeois :
- Pfff… T’as du pot, toi.
C’était bien la première fois qu’on me disait que j’avais du pot.
J’allais au lycée, j’avais des devoirs, j’avais perdu un œil avec une fusée et ma mère m’achetait des habits choisis rien que pour me faire honte.
- Pourquoi j’ai du pot ?
- Ben tu t’appelles pas Bernard…
- C’est chouette Bernard ! Yen a plein !
- Ben justement… Toi au moins…
- Quoi moi ?
- Toi, ton nom « y fait classe », d’abord y en a pas beaucoup…
- Ah ?
- Ben t’es le seul que je connais…
Il est vrai que dans le coin, on croisait plus de Jeannot et d’Abdel que d’Alexandre ou Ismaïl…
Depuis, j’aime bien mon prénom. Il n’était devenu courant que vers les années soixante et a recommencé à se raréfier à partir des années soixante-dix.
J’aurais donc passé ma vie dans la rareté…
08:44 | Commentaires (13)
Commentaires
Ben tes potes auraient pu t'appeler familièrement Patou, Patounet, Papate... bon ok ça l'fait pas :-)
Ah, l'éternel retour, rien que lire ce titre, j'ai une bouffée d'émotion, j'ai regardé ce film j'avais 16 ans, j'ai pleuré, mais pleuré !
Écrit par : Praline | jeudi, 07 mars 2024
Moi aussi, j'ai un problème avec un prénom d'origine espagnole totalement inconnu en France !! Au point que ma mère m'appelait ...Nina (petite fille) qui est devenu mon surnom...pour toute la famille et mon mari !!! Avec les nouveaux prénoms qui fleurissent, on me dit gentiment que ce prénom est joli !!! alors qu'avant il était bizarre :))
Écrit par : Nina | jeudi, 07 mars 2024
Ah non que je ne m'en fous pas...Au contraire, je compatis sincèrement. Ayant détesté toute ma vie mon prénom et en ayant été très complexée, je sais ce que tu as dû ressentir..Je pense que ma vie aurait été plus réussie avec un autre prénom, comme Juliette par exemple. Va savoir si mon Roméo ne se serait pas mis à mon balcon et ne m'aurait pas déclamé sa flamme tout en poème. Au lieu de ça, mon mari déteste lire, alors, encore moins déclamer des poèmes. Mais, toi, Patrice, c'est un prénom sympath. J'ai un frère plus jeune que toi qui s'appelle ainsi, enfin, tout comme, il s'appelle Patrick...Et, c'est nous, les ainés de la fratrie qui avaient eu le droit de choisir les prénoms des plus jeunes, Patrick, Thierry, Béa..
Écrit par : julie | jeudi, 07 mars 2024
Il avait bien raison ton pote Bernard. Patrice c'était original et ça l'est toujours. Et en plus un de mes bons amis s'appelle Patrice. C'est tellement un mec chouette que personne ne l'appellerait Pat ou Patoche en lui faisant une bourrade sur l'épaule ou un truc du genre chat–bite !
Ché pas moi, mais un prénom comme ça… ça se respecte à Paris comme en province.
Chanceux va ! T'as raison de l'aimer ce prénom désormais. Il s'origine quand même dans la noblesse romaine. C'est vrai que c'est class' !
Écrit par : alainx | jeudi, 07 mars 2024
Vous en connaissez beaucoup des "Blanche" ?
J'ai porté ce prénom comme un boulet pendant toute mon enfance.
J'étais la seule à des kilomètres à la ronde. Pour tout vous dire, je n'en ai jamais croisé une autre jusqu"à mon âge adulte. Bien sûr, j'étais (vous l'avez peut-être deviné) la pièce de rechange pour remplacer une seule Blanche morte à 16 ans de la tuberculose
Bien plus tard, j'ai fini par m'y faire mais j'ai adopté Gwen (blanc/blanche en breton)
Écrit par : Gwen | jeudi, 07 mars 2024
Ah oui, je ne me serais pas manifestée ici, pour ne pas en rajouter sur mon vrai prénom que tu connais je crois, si, il y a quelques minutes, je n'avais pas consulté l'avis d'obsèques d'une tante qui vient de décéder....Je l'ai toujours connue Monique, mais, en réalité, elle s'appelait Juliette de son 1er prénom, ce que je ne savais pas. Mais si c'est l'avis d'obsèques qui le dit, ça doit être vrai. Je vais essayer d'éclaircir ça le jour des obsèques avec mes cousines. Tu te rends compte, Juliette, ce prénom que j'aurais tant aimé avoir. Le plus drôle dans l'histoire, c'est que mon 3e prénom est Monique, le 2e, n'en parlons pas, il est pire que le 1er....Comme quoi, nos parents sont toujours à côté de la plaque..A 'époque, il était de bon ton de donner le prénom d'une personne décédée...Brr..D'où l'importance de choisir un prénom qui ne sort pas des clous....Gabriel, mon petit fils, depuis plusieurs années est en tête des prénoms garçons. Au moins, il est dans la norme. Quand nous avons choisi le prénom de nos enfants, enfin, surtout moi, j'ai fait en sorte qu'ils soient dits "normaux"....
Écrit par : julie | jeudi, 07 mars 2024
Oui je connais ton vrai prénom.
Tu me l'as confié un jour que tu étais en veine de confidences.
Écrit par : le-gout-des-autres | vendredi, 08 mars 2024
Juliette, ma grand mère maternelle s'appelait Juliette mais j'ai toujours cru que c'était Marie !
Une de mes grand tante se faisait appeler Thérèse alors qu'en réalité elle s'appelait Florence.
Tu vois c'est une question de ressenti, parce que Juliette et Florence c'était pas si mal !
C'est vrai que d'avoir un prénom "original" ce n'est pas toujours facile, Patrice maintenant ça ne choque pas, mais je comprends qu'à ton époque cela t'ait "choqué" :)
Lorsque ma nièce est née (elle a 41 ans) et que ma sœur m'a dit qu'elle l'avait appelée Orphée, cela m'a fait tout drôle !
Elle est tellement agréable, qu'elle perte très bien son prénom !
Je n'ai guère rencontré de Fabienne dans la jeunesse, mais cela ne m'a pas perturbée.
Puis je suis arrivée dans la Drôme, le deuxième prénom de mon ex est Fabien, son fils aîné s'appelle Fabien, et une de ses nièces s'appelle Fabienne, c'est d'un banal dans cette famille ! ;)
Écrit par : Fabie | vendredi, 08 mars 2024
En tout cas, j'aime bien ton humour...et ta façon de parler de ta mère....Si toutes les mères des quartiers dit sensibles faisaient attention aux fréquentations de leurs enfants et ne les laissaient pas trainer dans les rues, ma foi, y'aurait sûrement moins de jeunes qui tournent mal, qui penseraient que vendre de la drogue, c'est la meilleure façon de réussir dans la vie....
Écrit par : julie | jeudi, 07 mars 2024
Allez, un dernier mot et je ferme boutique. Beaucoup d'enfants n'ont pas l'image d'un père, sont issus de familles monoparentales..Ma fille me disait que la moitié de ses élèves étaient élevés par leur mère....Finalement, un homme, c'est bien utile à la maison..Je me demande pourquoi ça ne "colle" plus entre les couples et pourquoi les couples se séparent à la moindre dispute. Comme avait dit un prêtre lors d'un mariage..."si vous sentez que vous allez vous énerver, vous taper dessus, mettez vous à genoux et récitez ensemble 3 paters et 2 avés...J'avais dit à mon mari "on aurait dû faire ça avant de venir, ça nous aurait évité de nous "engueuler"...Ca avait fait rire ma voisine de rangée qui m'avait entendue...
Écrit par : julie | jeudi, 07 mars 2024
Il me semble que peu de gens sont vraiment heureux de leur prénom...
Écrit par : Adrienne | jeudi, 07 mars 2024
et rassure-toi je ne crois pas que nous soyons nombreux à aimer nos prénoms. Tiens les miens par exemple mon deuxième était mon prénom usuel une horreur pour moi surtout que choisi par mon père (mais c'est une autres histoire) Ghislaine puis est venu le temps où j'ai découvert que mon première était Frédérique pas courant non plus mais un prénom qui claque qui rime avec bourrique que j'ai pourtant choisi de reprendre. Mais le jour ou j'ai découvert mon troisième fut une désolation Bluette ! Mais que faire avec ce boulet.
Mais pour avoir été enseignante je n'ai jamais eu de Patrice dans ma classe mais beaucoup de Brandon, de Kévin et Brenda Kelly etc.
allez mes filles aussi me reprochent leurs prénoms
Ta prouesse est d'avoir écrit un texte plein d'humour sur ce prénom.
Avec le sourire
Écrit par : Lilousoleil | vendredi, 08 mars 2024
Moi je dis qu'on devrait pouvoir choisir son prénom vers l'âge de 10 ou 15 ans, comme les Indiens d'Amérique. C'est fou le nombre de gens qui n'aiment pas leur prénom, bien plus que ce que l'on croit... En tout cas, j'ai aimé ton récit. C'est délicieux.
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Écrit par : Célestine | dimanche, 10 mars 2024
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