mardi, 23 avril 2024
Réhabilitation.
Il y a peu, nous avons pris le 80 boulevard Haussmann avec l’idée d’aller rue Caulaincourt dans une boulangerie qui fait un feuilleté au jambon « à tomber ».
Il passe rue de Saint Pétersbourg que j’ai connue sous le nom de rue de Leningrad jusqu’en 1991.
Pourquoi je vous parle de ça alors que vous n’avez rien à faire du trajet du 80 ?
C’est parce que le 80 après avoir fait le tour de la place de l’Europe, avance rue de Saint Pétersbourg, passe devant le bureau de Poste puis devant un immeuble qui me serre le cœur chaque fois.
Je vous en ai déjà parlé.
Je le regardais attentivement depuis la vitre du bus.
Le premier étage me faisait ressentir cette impression étrange du souvenir.
Cette impression bizarre du souvenir simple qui, pour une raison inconnue devient soudain un souvenir poignant.
Pourtant je ne connais rien de cet immeuble.
Il m’était totalement inconnu.
Sauf qu’il est en moi depuis des décennies.
Cet immeuble est ancien, un immeuble haussmannien mais contrairement aux autres immeubles de la rue il était resté noir de crasse.
Il était comme ces immeubles des années soixante, avant que Malraux n’ait décidé que Paris serait une vitrine aux immeubles propres et sans linge aux fenêtres.
Hélas, trois fois hélas, ce qui devait arriver arriva.
L’immeuble fut « réhabilité » !
En d’autres termes, ça a pris plus de soixante ans mais on lui a retiré son âme
Cet immeuble qui me ramenait chez mon ami B. cet ami du lycée, celui qui disparut et qui précéda mon ami J. quelques années plus tard.
B. était totalement à l’opposé de moi.
Il avait une peau blanche pleine de taches de rousseur et des cheveux roux perpétuellement en désordre.
B. est venu une ou deux fois chez moi.
Je suis allé plus souvent chez lui.
Il habitait rue Gérando, cette petite rue qui va de la place du Delta qui n’existe plus au square d’Anvers qui est défiguré.
Je ne sais plus exactement à quoi nous jouions mais nous jouions.
Assez tranquillement je dois dire, nous n’étions ni coureurs ni batailleurs alors le salon restait calme.
Le salon ? Il était grand et me semblait luxueux.
Dans mon esprit, les parents de B. étaient « riches », et un piano dont on m’apprit qu’il n’était que « demi-queue » occupait un large coin du salon et une vraie bibliothèque occupait tout un mur.
La mère de B. me semblait très belle et jouait du piano.
Elle m’en a joué quelques fois les jeudis où j’étais chez B.
Peut-être parce qu’elle savait que je l’écoutais.
J’écoutais bouche née et plein d’admiration tandis que B., sans doute parce qu’il voyait sa mère tous les jours, lisait sans prêter attention à la musique.
Ils habitaient au premier étage et un lustre éclairait la pièce toute la journée car la rue Gérando n’est pas très large.
Je crois que c’est ce qui me saute à l’esprit quand le 80 passait devant cet immeuble de la rue de Saint-Pétersbourg.
Il y a quelques jours je l’ai revu, plus exactement j’ai rêvé de le revoir.
Il est pétant de propreté, la pierre de taille est redevenue blonde.
Le premier étage n’a plus de rideaux et est éclairé « a giorno »
Adieu les années qui habillaient les murs.
Adieu les fenêtres aux rideaux mal tirés, gris de crasse et d’années qui laissaient entrevoir un salon à peine éclairé par un lustre à cinq ou sept ampoules misérables et jaunes.
Maintenant on en voit les murs.
Propres, sans un livre, sans une étagère.
Je sais qu’en entrant dans cet immeuble je ne croiserai plus personne.
Pas un enfant d’une dizaine d’années qui vient juste de descendre l’escalier qui mène chez son copain B.
Aujourd’hui, à passer le porche, j’aurai toujours mal à ce genou, je ne reverrais pas de mes deux yeux.
Ils ont fait disparaître un monde peut-être sale et noir mais si beau…
19:33 | Commentaires (4)
Commentaires
Venant d'Alger la blanche, que Paris était noir! Quant aux décors d'antan et à la mode d'alors (ah, le papier peint) c'est 'vieux': invendable pour Stéphane Plaza.
Écrit par : Nina | mercredi, 24 avril 2024
on pourrait aussi se réjouir que l'immeuble soit toujours là et même qu'il reprenne vie et abrite d'autres familles, avec ou sans piano :-)
Écrit par : Adrienne | mercredi, 24 avril 2024
Le 80, ça me parle à moi, pas les mêmes histoires qu'à toi, mais quand même de belles histoires. Bonne journée.
Écrit par : delia | mercredi, 24 avril 2024
Même propre, je trouve qu'il a quand même de la gueule, ce bel immeuble... ;-)
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Écrit par : Célestine | mercredi, 24 avril 2024
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