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mardi, 11 février 2014

De macula rerum…

Deux semaines passèrent, traversées seulement par cinq minutes de lumière pendant lesquelles je me faisait engueuler chaque fois que je bougeais les yeux.
Pendant un long moment, le sulfate d’atropine et le chlorhydrate de cocaïne me donnaient l’impression délicieuse que mes yeux allaient jaillir de leurs orbites pour s’écraser sur le mur de la chambre.
Chaque jour néanmoins « mon œil », l’œil esquinté, était un peu plus noyé de lumière.
Chaque jour aussi, le professeur semblait un peu plus inquiet.
Il me caressait la joue en partant mais je le sentais pensif.
Vint enfin le jour où le retrait des « boules à thé » me combla de joie.
Le professeur Blancard était venu avec l’infirmière chef, un adjudant plutôt hargneux.
Du moins les premières secondes…
J’avais récupéré plein de lumière !
Je pouvais bouger les yeux sans me faire disputer !
Le professeur Blancard était néanmoins prudent et tâtillon.
Avant de m’éblouir avec son ophtalmoscope et de m’arracher les yeux avec l’atropine il me dit :
- Cache ton œil droit mon garçon.
- Oui monsieur.
- Regarde la fenêtre.
- Oui monsieur.
- Comment sont la première et la deuxième vitre de droite en partant du bas ?
- La première est dépolie, celle au-dessus est transparente mais fendue de haut en bas tout droit.
- Bien, très bien ! Cache l’œil gauche maintenant et regarde la même fenêtre.
Ce fut épouvantable, j’eus bien du mal, la gorge serrée par l’inquiétude, à avouer :
- C’est pareil mais toutes les lignes sont en zig-zag !
- Aucune n’est droite, c’est ça ?
- Oui monsieur.
- Je te l’avais dit, ce que tu risquais ! Tu as gagné mon garçon, tu as un décollement de la rétine, mais bon, tu es jeune, je vais essayer de réparer ça…
Je lui faisais confiance mais je me mis à pleurer.
L’adjudant ne put s’empêcher de dire « ah ça ! C’est bien la peine de pleurer maintenant ! Il fallait y penser avant de faire une bêtise ! »
Le professeur dit à l’adjudant « voyons, ce n’est qu’un enfant curieux ! » et ils partirent.
Geneviève vint me consoler et dit plein de mal de l’infirmière chef, prétendant même qu’il n’était pas étonnant qu’elle n’ait pas trouvé de mari…
En attendant, j’avais au moins gagné de ne plus porter les « boules à thé » jusqu’à ce que le professeur ait décidé de m’opérer de nouveau.
On me conseilla de ne pas courir partout mais on me laissa libre d’aller et venir dans le couloir.
Je fus rejoint quelques jours plus tard par un autre gamin un peu plus grand que moi, Jean-Pierre, qu’un ballon de foot avait frappé si fort au visage qu’il avait lui aussi la rétine de l’œil droit décollée.
Nous étions deux dans la chambre, nos camarades de lycée passaient une ou deux fois par semaine mais nous apportaient des potins et des illustrés plutôt que nos devoirs…
Nous nous fîmes souvent engueuler par Geneviève qui trouvait que nous mettions un bord… épouvantable dans la chambre.
Peu de temps avant que je ne « repasse sur le billard », mon père vint me voir et se disputa avec le père de Jean-Pierre. Un pied-noir et un gaulliste ne pouvaient pas s’entendre.
Surtout que le père de Jean-Pierre était un gaulliste assez calme tandis que mon père est le seul communiste que j’ai vu voter Tixier-Vignancourt.
Un communiste d’extrême droite, en somme…
Une courte période de froid s’ensuivit entre J.P. et moi qui cessa rapidement car on s’ennuyait ferme quand même et nous n’avions rien à faire de ces histoires.
Avec Jean-Pierre on a essayé une partie de balle au prisonnier avec une balle de papier, mais on nous a disputés…

Commentaires

Quelle expérience pour un si petit garçon!

Écrit par : mab | mardi, 11 février 2014

Ç'aurait été con que vous vous fichiez la balle en papier dans l'autre œil.

Écrit par : Berthoise | mardi, 11 février 2014

quelle histoire décidément.. que je lis le coeur un peu serré!

Écrit par : Coumarine | mardi, 11 février 2014

Brr, on frémit à la lecture de ces lignes.

Écrit par : Alliérine | mardi, 11 février 2014

D'accord avec Coumarine : ça serre le cœur.

Écrit par : lakevio | mardi, 11 février 2014

J'imagine l'inquiétude de tes parents , toi , je ne sais pas si tu réalisais ?

Écrit par : Brigitte | mardi, 11 février 2014

non comme dit Brigitte je ne pense pas que tu réalisais dans quelle situation tu te trouvais! mais le pire c'est que tu ais enlevé les boules pour monter le train électrique, il aurait sauvé ton oeil! vraiment les mômes c'est d'une inconcience effroyable. j'adore le terme, communiste d'extrème droite!!! lol...je sais maintenant pourquoi tu es si gentil avec ce gouvernement...kiss.

Écrit par : mialjo | mardi, 11 février 2014

tu as bien gardé en mémoire tous les détails de cette (idiotie) aventure! Avec des gamins tels que toi, on a des cheveux blancs avant l'âge!!!! Et (j'ai lu HB) ça ne t'a pas servi de leçon ?

Écrit par : emiliacelina | mardi, 11 février 2014

Marrant quand même
Ce même mois de décembre 1959 j'étais aussi à l'Hosto.
Mais entièrement paralysé depuis le 11 novembre (faut savoir choisir ses dates !)
Et quasiment au même âge que toi....

Écrit par : alainx | mardi, 11 février 2014

hé ben quelle histoire !

Écrit par : lili plume | mardi, 11 février 2014

Les commentaires sont fermés.