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samedi, 30 août 2014

La tectonique des claques.

Comme vous le subodoriez peut-être, lectrices chéries, le couple de mes parents allait cahin-caha. Cahin quand l’un voyait bien l’autre dans le rôle d’Abel. Rôle assez bref si vous vous rappelez cette sombre histoire qui survint dans la Genèse. Caha car il était rare que tout allât bien dans un logement exigu où six personnes devaient cohabiter. Là où ça se passait le moins bien, c’était les samedis et les dimanches d’hiver. Ma mère était frileuse comme une vieille chatte. Mon père supportait mal que l’appartement « sentît la loutre » selon son expression. Ça entraînait immanquablement de nombreuses disputes que ma mère savait lancer plutôt astucieusement. Elle savait pouvoir compter sur la réflexion désagréable qui le lancerait. Elle oubliait souvent que sa réflexion permettrait à mon père de faire montre de l’humour détestable dont il savait faire preuve quand ma mère le titillait un peu trop. Ça marchait à tous les coups, elle sortait perdante de la joute et ils se disputaient jusqu’à ce que le soufflé retombe et qu’arrive l’heure de préparer le repas ou celle des informations à la radio.
Un de ces samedis de février me revient où ma mère s’était levée du pied gauche. Il faisait froid dans la maison, le poêle s’était, comme toujours, éteint vers le milieu de la nuit. Mon père, qui travaillait comme un esclave, devait encore aller faire « des heures sup’ » histoire d’allonger la dose de margarine dans les pâtes –personne n’aimait les épinards et le beurre était trop cher- et ma mère lui demanda d’allumer le poêle avant de partir.
Il aurait dû se méfier, mes sœurs et moi avions depuis longtemps remarqué que, quand notre mère était en forme, elle appelait mon père « Lemmy », quand tout semblait aller pour le mieux entre eux, elle l’appelait « Chéri » et quand elle était « mal virée » elle l’appelait « Gaby ».
C’était un jour néfaste. Il commença par :
- Gaby !
 Mon père, qui la connaissait aussi bien que nous, savait que « Gaby » ça voulait dire emmerdements à brève échéance. Il en profitait parce qu’il savait aussi que quand il l’appelait « ma poule », elle détestait ça et le piétinerait volontiers.
- Oui ma poule ?
Ça ne rata pas. Profitant d’heureuses dispositions pour la chamaillerie elle jeta :
- Hoouuuu ! Je te giflerais quand tu m'appelles « ma poule » je déteste ça ! Il faut rallumer le poêle, les enfants vont attraper la crève !
Il s’y mit, froissa deux ou trois feuilles de « Paris Presse-L’intransigeant », mit une poignée de petit bois par-dessus et la séance commença :
- Fais attention en retirant le bac à cendres, Gaby ! Tu vas en mettre partout.
Silence paternel. Pas même un soupir. Il prit le bac à cendre et le versa dans la poubelle en ne soulevant qu’un peu de poussière. Je le regardais attentivement car, comme tous les petits garçons, j’aimais bien l’idée de jouer avec le feu. Il remit le bac à cendre à sa place, ouvrit la gueule du poêle, prit le seau à charbon et en versa un peu sur le petit bois.
«  Aaaaattttentiooonnn !!! » Cria ma mère, « tu va tout salir !!! »
- Mais non ma poule…
- Je te connais comme si je t’avais fait ! Tu ne sais pas faire le feu !
- Ouais, ben à propos de feu, il y a des jours où je comprends le docteur Petiot…
- Justement, si tu étais docteur, on ne serait pas là, dans ce taudis.
Quand on en arrivait là, nous savions tous que ma mère avait perdu la bagarre qu’elle avait elle-même lancée. Quelques années plus tard, nous saurions même exactement quand elle lancerait la mauvaise réflexion, celle qu’attendait mon père, confiant dans le caractère routinier de ma mère.
- Si j’avais été médecin, je ne t’aurais pas croisée, ma poule…
Et il se mit à chantonner l’air de « Comment épouser un millionnaire ».
Ma mère est partie, vexée, vers le boyau qui servait de cuisine en pestant « j’aurais dû me marier avec un gendarme, au moins ils sont bien logés ! »
Puis mon père est parti travailler…
Il savait, en dehors de chercher des histoires à ma mère, faire des tas de choses qui intéressaient les enfants.
Je vous en raconterai quelques unes, si vous voulez, lectrices chéries.

Commentaires

Tu remues les cendres des souvenirs de matins froids et du bruit de tisonnier.

Écrit par : mab | samedi, 30 août 2014

une ambiance très méditerranéenne je trouve

Écrit par : maevina | samedi, 30 août 2014

Mais quelle mémoire !!!

Écrit par : moune | samedi, 30 août 2014

Tes parents avaient sans doute besoin "d'allumer le feu pour voir briller la flamme dans leurs yeux". Ah que Jaunie.

Écrit par : Ckan | samedi, 30 août 2014

en fait ils s'adoraient...ces petites disputes entretiennent l'amour on le sait bien...par contre c'était pas gentil ce qu'elle lui disait, lui ne faisait que répondre...c'est vrai que ça en remue des souvenirs pour nous les soixante huitard...mais j'adore quand tu nous fais entrer dans cette série souvenirs d'enfances. Kiss! C'est triste pour Léontine.

Écrit par : Joëlle | samedi, 30 août 2014

On comprend très bien d'où te vient l'art des joutes oratoires !...

Écrit par : lakevio | samedi, 30 août 2014

Je n'ai jamais entendu ta mère appeler ton père "Chéri", le temps avait passé...

Écrit par : heure-bleue | samedi, 30 août 2014

> Heure-Bleue : p'tête "mon amour" alors... :)
Oui tu peux raconter, moi je ne le fais pas, c'est du Zola...
Mais comme dit Joëlle, ils s'adoraient... à leur façon !

Écrit par : Praline | samedi, 30 août 2014

oh!!! oui !!! racontes...racontes...de nouveaux souvenirs!

Ils ont vécus combien de temps ensemble tes parents! A part de savoir qu'elle n'a pas voulu vraiment accepter ton épouse (pauvre HB!) c'est un couple qui ma plait bien à travers tes diverses notes!

Écrit par : emiliacelina | samedi, 30 août 2014

Les commentaires sont fermés.