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lundi, 06 janvier 2020

Devoir de Lakevio du Goût N° 21

Lectrices chéries !
Je ne relèverai les copies qu’en fin d’après-midi car je dois aujourd’hui aller à l’hôpital voir « mon éreinteur » et les transports en commun, ces temps-ci, hein...

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Je reconnais ce banc.
Je me suis souvent assis dessus.
Je respirais lentement à l’époque, la poitrine polluée seulement par les fumées des poêles qui chauffaient la ville et les voitures en nombre raisonnable qui sillonnaient les rues.
Je respirais alors lentement et profondément.
Je ne reprenais pas mon souffle, non, j’étais simplement bien.
Et sur ce banc devant lequel je suis si souvent passé, j’en ai vu des gens assis.
Des hommes à l’air triste, faisant semblant de s’intéresser à un journal, le chagrin débordant parfois de leurs yeux.
Des femmes à l’air triste, les yeux pleins de toute la misère du monde.
Des garçons attendant que des filles passassent.
Des filles, faisant semblant de ne pas entendre les compliments des garçons qui passaient.
Je me suis assis sur ce banc.
Il était juste à l’endroit qui convenait.
J’avais si souvent traversé le boulevard de Rochechouart, remonté la rue de Steinkerque, pris sur la droite et traînassé dans le jardin du Sacré Cœur…
Ce banc près de la sortie dans cette allée sinueuse parallèle à la rue Ronsard était là depuis les années 1930.
Il était juste de l’autre côté de la grille et du ravin de fausse roche tapissé de lierre et de d’arbustes qui s’accrochaient là je ne sais comment.
Je m’y suis assis souvent, parfois mon cartable entre les jambes, parfois rien du tout, me contentant d’écouter les oiseaux.
Toujours attendant quelque chose mais ne sachant jamais quoi avec certitude…
Je suis sûr que vous avez, toutes et tous, dans la tête une allée comme ça, où vous avez attendu quelque chose sans même savoir quoi.
Regardez le bien, ce banc, vous y êtes.
Vous ne le savez pas mais vous y êtes.
Peut-être pas celui là mais un semblable.
Il est sous vos fesses et dans vos rêves depuis tant d’années
Il a quel âge, ce gamin assis que je connais depuis toujours ? Dix ans ? Onze ans peut-être ?
Je le vois, il a encore sa culotte courte de velours côtelé.
Une de ces culottes d’enfant qu’il troquera bientôt contre un pantalon de garçon.
Je m’assois à sa place et prends le journal abandonné là par un autre rêveur sans doute.
Je le feuillette et constate avec désespoir que le monde n’a que peu changé en plus d’un demi-siècle.
Alors je me dis que je vais me lever bientôt et remonter l’allée d’un pas lent, l’œil curieux dirigé vers les buissons qui bordent l’allée.
Puis je sais qu’arrivé au bout de l’allée je ne pousserai pas la petite porte de grillage qui retomberait bruyamment et lourdement car la cale de caoutchouc est usée depuis toujours, depuis avant mon entrée au lycée.
Cette petite porte qui donne sur « la vraie rue », la rue Muller, celle qui est pavée et qui sent le pipi dès qu’il fait soleil.
Je ne vais pas cette fois descendre la rue Muller jusqu’à la rue de Clignancourt que je parcourais jusqu’à tourner à gauche dans ce passage horrible qui menait jusqu’à celui où j’habitais.
Je vais au contraire continuer l’allée jusqu’à la sortie sur la rue Lamarck, avec la même petite porte qui retombera aussi bruyamment et pour la même raison.
Et je la descendrai jusque chez moi, lentement, chaque regard vers la rue des Saules ou dans les escaliers de la rue de la Fontaine du But faisant revivre d’autres promenades, d’autres flâneries.
Revivre d’autres sentiments dont je ne sais s’ils regardent l’esprit ou l’âme.
Enfin si, je le sais, plus exactement je le saurai selon qu’ils me serreront ou dilateront la poitrine, s’ils font naître un sourire ou mouiller ma paupière.
Voilà tout ce que je vois dans cette vue proposée par Jackie Knott.
Des années d’attente.
Des années de peine.
Des années de chance.
Des années de bonheur, émaillées parfois de chagrin.
Jamais des années de malheur.
Peut-être que je suis plus doué pour le chagrin que pour le malheur, allez savoir…
Ou je ne les ai pas remarquées mais ça m’étonnerait, j’ai toujours fait très attention à ce qui vit autour de moi.
Il n’empêche, cette rue Muller, sentait quand même grave la pisse alors je suis bien content d’être passé par la rue Lamarck !