lundi, 04 mai 2020
Devoir de Lakevio du Goût N° 37
On n’avait pas l’air trop malin, la tête enveloppée dans ce tissu.
C’était obligatoire, la soirée était « bal masqué sans contact » et devait l’être ainsi, c’était tout.
Bien que le tissu absorbât énormément de lumière, il en restait suffisamment pour que dans l’assistance clairsemée je la distinguasse.
Ce n’était évidemment pas la joliesse de son visage qui avait attiré mon regard.
Je n’en distinguais pas un trait, je ne pouvais qu’en supputer une beauté dont je tirais la certitude de l’élégance de ses mouvements.
Ce confinement commençait à peser sur tout le monde au point que malgré quelques assouplissements nous en étions réduits à inventer de ces soirées où tous devaient être masqués de la façon la plus voyante qui soit.
Il n’était pas question que nous nous touchassions les uns les autres, nous devions errer et nous saluer, nous reconnaître à la voix.
Pourtant, je me suis approché d’elle puis je l’ai croisée et saluée.
Ma voix dut lui plaire car elle me répondit d’une voix douce.
Plus douce qu’elle n’était censée l’être dans ces circonstances.
Délicate et légèrement rauque, comme si elle avait été soudain troublée par une pensée qui sur l’instant lui avait traversé l’esprit et l’avait surprise.
Charmé par ce salut délicieusement trouble, je ne pus me retenir de tendre la main, contrevenant à la règle qui nous frappait tous depuis près de deux mois.
Elle s’arrêta et, mue elle aussi par je ne sais quelle inclination, la prit.
Elle avait une main tiède, la peau en était douce et sèche et elle serrait la mienne avec le soin qu’on prend pour tenir un bibelot fragile.
Nous étions face à face et ne nous voyions pas.
Sûrs pourtant que nous tenterions sous peu d’échapper aux regards des autres, regards rendus incertains par ces masques.
La sensation était étrange, de celles qu’on ressent probablement à avancer quasiment en aveugle dans un brouillard épais.
Nous nous sommes rapprochés, toujours nous tenant pas la main droite, nos mains se tenant entre nous deux, coincées rapidement contre nous.
Je craignais qu’elle ne constate l’effet de la situation, sa main coincée là, au bas de mon ventre, alors j’ai lâché sa main et me suis un peu éloigné. .
Il y a des moments comme ça où il vaut mieux que la vivacité des sentiments ne soit pas trop évidente…
Elle se tint néanmoins devant moi, tout près, trop près.
Apparemment, comme moi elle avait envie de ce baiser.
Le plus étonnant fut cet accord immédiat quand elle se mit dans mes bras.
Un peu comme quand la dernière pièce d’un puzzle prend sa place en un « emboîtement » parfait.
Puis je me suis penché, elle a levé légèrement la tête et tendu ce que je savais être ses lèvres.
Là, hélas, le trouble a disparu.
Malgré nos efforts, le contact du tissu, désagréablement moite à cause de nos souffles m’a fait l’effet horrible qu’il m’arrive parfois de ressentir en dormant.
Quand vous rêvez que vous embrassez quelqu’un et vous avez l’impression d’avoir d’un coup la bouche pleine de coton hydrophile au lieu de la caresse de lèvres aimées et le goût d’un souffle échangé.
Quand vous vous réveillez, au moins vous savez que ce n’était qu’un rêve gâché par le goût de l’oreiller.
Mais là, à l’instant même, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre, déçus de cette tentative qui ne laissa comme trace que celle de nos salives qui se sont perdues bêtement dans ce tissu malencontreux.
Elle m’a néanmoins repris la main et nous avons dit avec ensemble « Si dans quelques jours nous ne toussons ni n’avons de fièvre et que notre souffle est intact, nous pourrions peut-être recommencer… »
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