lundi, 16 août 2021
Devoir de Lakevio du Goût N° 94
Elle fait une drôle de tête, cette dame peinte par Mary Cassatt.
Quelle idée semble la préoccuper.
La scène ?
Les spectateurs ?
À vous de le dire.
Elle aurait dû se méfier quand, avec sa voix mielleuse de représentant dragueur il avait dit « Ma chérie, ce soir je rentrerai plus tard, j’ai encore du boulot avec le régisseur pour le spectacle de la semaine prochaine… »
Elle avait soupiré, une fois de plus en pensant qu’elle passerait une soirée seule devant son assiette, qu’elle serait profondément endormie quand elle le sentirait se glisser à son côté au milieu de la nuit…
Elle se disait souvent que son amant fougueux des débuts avait cédé la place à un mari somnolent bien trop rapidement.
Alors, ce soir elle avait décidé qu’elle ne s’ennuierait pas.
Elle s’était apprêtée et, usant de son entregent, avait réussi par miracle à obtenir une loge pour assister à « Tosca ».
Une véritable performance car toutes les places, quasiment jusqu’aux marches de l’escalier, étaient occupées.
Elle s’était installée et avait été subjuguée par une interprétation remarquable.
Même, elle avait sursauté d’indignation quand Scarpia avait osé proposer une galipette à Floria Tosca.
Elle était allée jusqu’à se réjouir du coup de coupe-papier qui avait trucidé ce rat de chef des flics.
Oui, elle était comme ça aussi, plutôt… disons « entière ».
Tosca répondit à Spoletta « Colla mia… Avanti a dio », et se jeta dans le vide.
Après un dernier fortissimo, le silence s’établit dans la salle.
Une sorte de recueillement commença de se faire sentir parmi l’auditoire encore subjugué.
C’est là que retentit alors, venant des loges le cri « Ah la salope ! »
Elle-même sursauta à son cri de rage.
La magie se brisa instantanément et tous les regards se tournèrent vers la sacrilège qui avait osé briser la magie de l’instant.
Accoudée au balcon de sa loge elle regardait la salle à travers ses jumelles.
Avec une voix qui n’avait rien à envier au hurlement de Tosca quand elle découvre que « Mario ! Mario ! Morto ! », elle conclut « Non mais quelle ordure, ce mec ! ».
Évidemment, elle dut longuement, pendant son séjour au commissariat, expliquer aux policiers pourquoi elle s’était conduite de la sorte.
Le commissaire conclut « Si tous les cocus faisaient ça, les scènes seraient vides ! Le spectacle serait dans la salle… »
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