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mardi, 17 août 2021

La rareté...

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Vous savez quoi, lectrices chéries ?
Je vais d’abord vous demander de pardonner cette note un peu longue.
Que je vous dise, j’avais un copain qui avait, dans les années soixante-dix, épousé une Anglaise et l’avait suivie dans ce pluvieux pays.
J’ai donc cette nuit fait un rêve.
J’ai rêvé de ce copain perdu de vue.
J’avais bien sûr pensé à lui de temps à autre et cherché si, par hasard, il était repassé en France.
Au hasard de mes recherches sur l’annuaire, j’étais tombé par hasard sur son nom.
Il était de nouveau rue Championnet mais quatre immeubles plus loin sur le même trottoir.
J’avais tenté d’appeler ce numéro plusieurs fois il y a quelques années et chaque fois la sonnerie avait retenti longuement sans réponse.
Ce matin, donc, je me suis réveillé avec la certitude que mon copain était mort.
Je dispose de deux numéros censés me permettre de l’appeler.
Pendant que je vous raconte ça, me reviennent les circonstances dans lesquelles je l’ai connu.
Sachez que quand j’étais gamin, mon prénom ne me plaisait pas.
Mais alors pas du tout.
Vous vous en foutez, je le sais…
Maintenant je me suis habitué mais mettez-vous à ma place, deux secondes.
À part un copain de pension qui s’appelait « Loïc » et qui me tannait avec sa Bretagne natale, j’étais entouré dans mon quartier d’une foule de Michel, André, Gérard et Bernard.
Il y avait bien de rares Philippe dus sans doute à la distraction de parents qui n’avaient pas eu vent de l’opprobre qui s’attachait à ce prénom.
Je n’avais évidemment pas le droit de parler à la foule des Mohammed, Mouloud et autres Rachid, des fois qu’être arabe, ça soit contagieux…
D’ailleurs ils ne cherchaient pas non plus à me parler.
Depuis ma rencontre de la maternelle avec Malika, celle aux yeux si bleus qui me donnait la main, la méfiance s’était installée…
Ma mère m’avoua bien plus tard avoir choisi mon prénom parce qu’elle était tombée amoureuse, avec un manque de clairvoyance désastreux, de Jean Marais dans « L’éternel retour »…
Je n’étais encore pas le snob que je suis devenu après des années de ce lycée plein de « bourges ».
Alors, lectrices chéries, honteux de mon prénom peu courant, si vous saviez comme j’eus aimé que des « potes » et pas des « copains », m’appelassent « Dédé », « Gégé » ou « Nanard » et me donnassent des claques sur l’épaule.
Oui, il vous faut savoir que « Nénesse » et « Bébert » étaient déjà passés de mode…
En foi de quoi, j’ai détesté mon prénom jusqu’à ce que je devinsse copain avec un garçon de la rue Championnet.
Je vous ai déjà parlé de Bernard R. à propos du square Saint-Lambert quand nous étions plus vieux.
J’avais fait sa connaissance quelques années auparavant, alors que je faisais les courses dans le coin avec ma mère et que je regardais les photos du cinéma « Ornano Palace », là où j’avais vu « Les dix commandements ».
Bernard R. était un garçon brun et mat, comme votre serviteur mais en encore plus timide.
Nous avions engagé la conversation timidement sur Stewart Granger car évidemment, « l’Ornano Palace » proposait un vieux western.
Quand sa mère vint le prendre, on se donna rendez-vous pour le jeudi.
Ma mère ne dit rien mais n’agréa pas franchement jusqu’à ce que Bernard lui dise poliment « Au revoir madame ».
Ma mère, bien qu’elle n’appréciât pas vraiment que je devienne copain avec des garçons du quartier, dans sa hantise de « l’accent voyous de la Porte de Clignancourt », fut satisfaite de mon nouveau copain.
Quelques années plus tard, s’il quitta l’école pour un travail d’apprenti mécanicien à la RATP toute proche, nous restâmes copains.
Et c’est lui qui, un après-midi d’été de sa dernière année d’école me confia quelque chose qui me fit considérer autrement mon prénom.
Bernard me confia tristement un jour qu’on était assis sur un banc du square Clignancourt, ce havre de paix quasiment bourgeois :
- Pfff… T’as du pot, toi.
C’était bien la première fois qu’on me disait que j’avais du pot.
J’allais au lycée, j’avais des devoirs, j’avais perdu un œil avec une fusée et ma mère m’achetait des habits choisis rien que pour me faire honte.
- Pourquoi j’ai du pot ?
- Ben tu t’appelles pas Bernard…
- C’est chouette Bernard ! Yen a plein !
- Ben justement… Toi au moins…
- Quoi moi ?
- Toi, ton nom « y fait classe », d’abord y en a pas beaucoup…
- Ah ?
- Ben t’es le seul Patrice que je connais…
Depuis, j’aime bien mon prénom qui n’était devenu courant que vers les années soixante puis recommença à se raréfier à partir des années soixante-dix.
J’aurais donc passé ma vie dans la rareté…
Je vais donc tenter aujourd'hui d'appeler les deux numéros qui me restent de lui...