mardi, 10 juin 2014
Œdipe roi.
Ckan m’a posé hier une question.
Non, pas « Ckan qu’on va où ? » mais une question à tiroirs, multiple, délicate et à laquelle il n’est pas si facile de répondre.
Sauf à reprendre auprès de vous, psys chéries, cette analyse palpitante et d’autant plus efficace que vous êtes mes lectrices chéries.
Et gratos…
Psys chéries malheureusement pas assez indulgentes, mais bon…
Ckan, assez abruptement je dois dire, a commencé par m’apostropher « C'est œdipe à l'envers chez toi ! »
Comment répondre à ça ?
Je ne suis pas sûr que Jocaste ait vraiment demandé à épouser Œdipe, d’ailleurs Sophocle est réservé sur ce point tandis que moi, ayant des accointances avec le Sphinx, je sais bien que pas du tout, que c’était un marchandage qu’Œdipe à remporté haut la main.
Ckan, dans son élan curieux, a demandé « Ta mère tu l'aimais ou pas ? »
Que répondre à ça ?
D’abord en lui disant qu’évidemment j’aimais ma mère.
Non que j’aie cessé de l’aimer mais elle est morte.
Cela dit, dans ces affaires il traîne toujours le bémol quivient fausser l’accord…
Et elle était très forte en création de bémols, ma mère…
Oh, bien sûr que j’aimais ma mère.
Mais je l’aurais aimée tellement plus si elle n’avait été si indiscrète, jalouse, et envahissante.
Cela dit, elle était assez paradoxale. Oui, elle était envahissante mais nous laissait seuls pour plusieurs jours sans beaucoup d’états d’âme.
Quand nous étions petits, mes plus jeunes sœurs et moi, elle avait le câlin enveloppant et la taloche facile.
Mais… Car il y a un « mais », si elle était capable du meilleur –le « pain perdu » par exemple- elle était capable du pire.
Lire nos lettres ou fouiller dans nos affaires, par exemple.
Elle était notoirement d’une indiscrétion scandaleuse. C’est sans doute la raison de l’absence de journaux intimes chez ses quatre enfants.
Le côté journal eût été respecté. Son côté intime eût en revanche été piétiné sans scrupule.
Ma mère avait comme ça quelques craintes qui nous ont, à mes sœurs et moi, pourri la vie dès que nous nous sommes rendu compte que si nous étions également humains nous n’étions pas identiques. Rien qu’à l’idée qu’elles pussent voir l’affiche de « Autant en emporte le vent » elle les voyait déjà enceintes.
Quant à moi, l’idée qu’elle pût être la seconde dans l’ordre de mes affections la chagrinait au plus haut point. Ne parlons pas même de l’idée qu’un zizi pût servir à autre chose que faire pipi.
L'envie de nous maintenir à l'abri des dangers la motivait probablement, du moins je l'espère, mais c'était difficile à vivre. Surtout quand nous avons grandi...
Le fait est qu’à maintes reprises, je l’aurais volontiers jetée par terre et piétinée.
J’ai comme ça souvenir d’une injustice criante que j’ai depuis considérée avec l’indulgence du type qui n’y peut rien changer et me suis rendu compte qu’elle ne pouvait probablement pas faire autre chose que ce qu’elle fit.
Ça m’est resté longtemps en travers de la gorge.
Je vous raconterai cette histoire la prochaine fois, lectrices chéries.
08:04 | Commentaires (9)
lundi, 09 juin 2014
Le dernier pain perdu.
Ma mère, une fois mis de côté le fait qu’elle me pourrissait la vie dès qu’elle pressentait que je pouvais aimer quelqu’un d’autre qu’elle, avait d’innombrables talents.
Elle pouvait gâcher une soirée de mon père en deux mots soigneusement ajustés.
Elle pouvait pourrir un dimanche de ma grande sœur rien qu’avec un petit truc à faire, celui qui lui ferait rater le garçon qu’elle voulait voir vers l’endroit où la rue Hermel croise le square Clignancourt, petite enclave de verdure entourée d'immeuble en pierre de taille, propre et « bien fréquentée » propice aux rencontres.
Elle pouvait aussi, d’un seul coup d’un seul, interdire à mes deux petites sœurs d’aller retrouver chez elles deux autres sœurs afin qu’elles fissent ensemble leurs devoirs.
De mon expérience de l’aide aux devoirs me reste une leçon d’histoire, censément connue de ma sœur cadette et des deux autres sœurs.
Ma sœur ne l’a jamais sue et ne la sait toujours pas, ce n'est pourtant pas faute de la lui avoir fait répéter.
En revanche, je me la rappelle parfaitement : « Mal vêtus, mal logés, mal nourris, les serfs vivent sous la domination de leurs seigneurs qui les exploitent. »
Ma mère savait aussi avec talent nous ramener dans le droit chemin rien qu’avec la menace de la balayette.
Pour ce que je me rappelle de cette balayette, qui disparut lors du déménagement qui nous amena dans le Marais, c’était une balayette qui perdait ses poils on se demande comment car elle n’avait jamais servi à autre chose que nous menacer de nous en frapper le bas du dos…
Tout lui était bon pourvu que cela dissuade n’importe lequel d’entre nous de prendre le genre « voyou de la Porte de Clignancourt ».
Cela dit, elle avait quand même parfois un savoir-faire qui ne consistait pas qu’à rater la soupe de mon père ou fabriquer un pot de colle avec un sachet de pâtes.
Elle faisait, « les semaines difficiles », autant dire les trois dernières du mois, ce qu’elle appelait du « pain perdu ».
Vous vous rappelez sans doute, lectrices chéries qu’il nous était absolument défendu de « manger du pain frais car il est difficile à digérer et de toute façon il en reste d’hier il est encore bon »…
Le pain de quatre cents grammes, dit « pain parisien » n’était jamais frais ni terminé et finissait dans le fond de la petite huche où on le rangeait habituellement.
Quand le moment arrivait où les restes de pain empêchaient de ranger le « pain d’hier » à la fin du repas, le moment était venu pour ma mère de faire le « pain perdu », qui servirait de dessert et de goûter pour les jours suivants.
Elle « émialait » selon ses propres termes, le pain dur, le transformant en un tas de graviers de la grosseur d’un pion de loto, préparait une grande casserole et y mettait le tas de grosses miettes.
Elle le saupoudrait ensuite de sucre.
Pas trop.
Puis de cacao.
Encore moins.
Et recouvrait le tout de lait. Quand le tout était ramolli suffisamment à son goût, elle le remuait et le versait dans un immense plat de tôle émaillée. Rouge bordeaux à l’extérieur, gris fer saupoudré de blanc à l’intérieur.
Après un passage au four, le « pain perdu » était sorti brûlant et posé sur le rebord de la fenêtre de « la grande pièce » pour refroidir.
Je me demande encore comment on n’a pas tué la concierge avec un plat en train de refroidir… Cette fenêtre n’avait rien pour arrêter ce qu’on posait sur le rebord. C’est celle qui servit de base de lancement à la fusée qui m’mena à l’hôpital.
Après avoir surveillé que la bande d’affamés que nous étions ne « tapait » pas dans le plat encore chaud, elle le laissait là jusqu’au dîner.
On a toujours trouvé ça délicieux. Ce qui prouve qu’un ventre affamé, non seulement n’a pas d’oreilles mais n’a pas trop de goût non plus…
Je sais que ce n’est pas le vrai « pain perdu », lectrices chéries, mais ma mère appelait ça « pain perdu » !
Et nous en avons mangé la dernière part dans ce passage mal famé près de la Porte de Clignancourt.
Ma mère n’en fit plus jamais…
06:50 | Commentaires (12)

