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mardi, 09 septembre 2014

Ça y est ! Je sais !

Je sais ce qu’il a dit en entendant parler du bouquin.
Il a dit ça.

lundi, 08 septembre 2014

Le chiffonnier est mahousse…

Reprenons.
Si, au sortir de notre galetas, nous tournions à droite au lieu de tourner à gauche, nous arrivions, en une vingtaine de pas, rue du Roi d’Alger. Il suffisait de s’engager dans la rue sur la gauche pour arriver au croisement, décemment on ne peut appeler un carrefour, ce petit espace où se rejoignaient la rue du Roi d’Alger, la rue Neuve de la Chardonnière et le passage Kracher.
Vous ne pouvez pas savoir ce que ce coin, vu avec nos yeux de petits bourgeois d’aujourd’hui, aurait eu d’inquiétant si vous l’aviez connu à cette époque, lectrices chéries.
Comme je vous l’ai déjà dit, la guerre avait beau avoir cessé depuis plus d’une dizaine d’années, on aurait dit qu’elle avait pris fin il y a une semaine au plus et cette impression persista jusqu’à la fin des années soixante. Les immeubles y étaient tous noirs de crasse et lépreux.
Les rues étaient évidemment pavées mais le passage Kracher donnait l’impression de l’avoir été avec des ballons de handball. Je serrai un peu les fesses en m’engageant sur les pavés inégaux et luisants mais, bien que Souricette fût aussi timorée qu’un banquier, sa présence me rassura et nous avons avancé vers la rue de Clignancourt d’un pas plus vif que nécessaire…
Ce passage était le pire de notre environnement proche. Celui où nous habitions était très court et animé par un restaurant à un bout, un hôtel à l’autre et le bougnat de notre rez-de-chaussée. Le passage Championnet était éclairé par la rue Championnet et presque vivable, hormis l’ivrogne au tuba et sa bignole voisine qui avait « le bec salé » elle aussi.
Le passage Kracher, lui, était un boyau terriblement étroit, tapissé de ces pavés inégaux, ronds et perpétuellement mouillés. Le manque de confort, plus exactement de latrines, de l’époque lui donnait en plus un parfum rebutant et si je n’avais pas été doté d’une curiosité irrépressible je n’aurais jamais osé passer par là. Surtout seul.
J’ai été plutôt content. Ma mère avait eu tort, si le passage puait et était sombre comme le dessein d’un malfaisant, il était certes peuplé d’Arabes mais pas un ne semblait prêt à nous enlever et ça nous faisait gagner pas mal de temps. Ceux qui connaissent le talent de ma mère pour les paquets savent que tout mètre de marche épargné diminuait d’un centimètre l’allongement du bras porteur…
Arrivés au bout du passage, ma sœur cadette et moi sommes entrés, enfin sommes avancé sur le seuil d’une grande pièce contenant un bordel encore plus monstrueux que celui causé par feu Maillot lors de ses petits déjeuners au 11° à la tireuse.
Il y avait dans cet antre éclairé par un ampoule pendant du plafond, des embrouillamini de fils électriques, de vieux poêles de fonte, d’appareils bizarres et de papier. Des milliards de tonnes de papier !
Le chiffonnier nous vit arriver, s’essuya les mains sur son pantalon et demanda « qu’est-ce que vous v’lez, les gosses ? »
Les gosses sont restés muets. On avait beau le connaître, il faisait quand même un peu peur. Il était immense, une sorte de gitan, la peau teinte à « l’encrier de déménageur » autrement dit « le gros qui tache », perpétuellement vêtu d’une combinaison qui avait dû être bleue cinquante ans auparavant et avec des mains monstrueuses.
Avec le recul de l’âge je suis sûr que les fesses de ma première copine auraient tenu dans une seule de ses mains. Je n’ai revu des mains de cette taille que plus tard, au bout des bras d’un technicien envoyé à la boîte pour une formation.
Le chiffonnier fit rouler son mégot au coin de ses lèvres. Je le revois encore. Il sourit  et prit son porte-monnaie, en sortit une pièce de deux francs, des francs d’avant Pinay, et pris mon paquet de journaux.
Mon bras reprit sa taille initiale tandis que le chiftir poussait un « ouf » de surprise. Il jeta le paquet sur l’énorme balance derrière lui et reprit son porte-monnaie.
Il remit sa pièce de deux francs dans son porte monnaie et en sortit une de cinq francs.
Oui, lectrices chéries, ma mère avait trouvé le moyen de nous faire débarrasser le palier aux frais de quelqu’un d’autre… Ma sœur et moi avons pris l’autre chemin pour rentrer.
On a claqué nos cinq francs en caramels à un franc dans « la boutique rose » de la marchande de bonbons.
La boutique rose existe toujours mais ne vend plus de bonbons.
Elle ne vend pas non plus d’années à l’envers…
Si ça vous intéresse, lectrices chéries, j’ai encore quelque chose à vous raconter à propos de cette marchande de bonbons.