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vendredi, 17 août 2012

Les zèles du désir

Je sais, lectrices chéries, cette note est encore longue, mais c'est l'avant dernière –je le sais, je les ai toutes écrites- et puis ça vous redonne l'habitude, malheureusement en perte de vitesse, de lire des textes longs de plus d'une page d'écran.

Notre amour, puisqu’il s’agit de cela, eut toujours ce côté sérieux, inquiet et, assez curieusement, plutôt triste.
Pas du tout le côté joyeux qu’ont parfois les amours, grandes ou petites.
En peu de mots nous étions des amoureux « collants » et romantiques (romanesques?) –aujourd’hui, grâce au langage psychanalytique qui court toutes les revues féminines, on dit « fusionnels »- mais heureux de se coller et de « romantiquer » (« romanesquer »?) .
C’est vrai quoi, pas de raison de laisser à Lacan et la presse le monopole du néologisme bidon…
Le mois de septembre approchait, le jour tombait plus tôt ce qui donnait à nos promenades ce côté romantique qui plaît tant aux hebdomadaires que lisait ma mère –elle se précipitait tous les vendredis pour acheter « Confidences », qu’elle-même interdisait à mes sœurs de lire de peur qu’elles ne tombassent enceintes dès l’ouverture de la revue- .
Nous en étions arrivés à ne pouvoir marcher côte à côte que les doigts entremêlés de peur que l’autre ne s’évanouisse dans la nature sans qu’on n’y prît garde.
Ne ricanez pas bêtement, je sais que ça vous est arrivé et ne mentez pas, j’ai des preuves…
Pour ce qui est de trouver un abri, en revanche, c’était fichu.
Parents d’un côté, parents de l’autre, sœurs revenues avec mon père.
En deux mots c’était un véritable enfer. Notre première fois, pour n’avoir pas été un succès, avait tout de même été assez douce, peu traumatisante et lui avait semblée suffisamment agréable pour qu’elle aussi ait envie –et moi donc !- de recommencer le plus tôt possible.
J’avais une idée plus précise –l’expérience de l’année précédente, expérience qu'on n'oublie jamais, était encore présente- de ce que « l’acte de Vénus » comme dit Montaigne, pouvait réserver aux filles comme délicieuse surprise.
Seulement voilà, les porches étaient peu confortables et les fins d’après-midi rafraîchissaient, sans compter que c’était s’exposer à être surpris.
Mais nous étions « bien élevés » et le risque était inexistant qu’une telle mésaventure nous arrivât.

Néanmoins, le problème de l’hébergement de nos amours se posait cruellement.
Je suis depuis longtemps persuadé que, contrairement à une idée répandue, le mariage n’a pas été inventé pour que nous croissions et nous multipliions mais simplement pour pouvoir passer des journées entières au lit avec sa petite camarade de cœur sans être obligé de chercher un endroit à l’abri des regards de la famille.

J'en eus d'ailleurs la preuve plus tard, dès qu’on a des enfants, ce cruel problème se pose à nouveau, si vous avez un gosse en âge scolaire, c’est tout juste si vous ne devez pas aller à l’hôtel…
De son côté, des choses se passaient chez elle –mais non, pas que ça, bande de…- . Presque chaque semaine son père était obligé de partir vers Lyon, laissant à sa mère le soin de surveiller la boutique et, malheureusement sa fille.
Elle me dit que les parents de son père étaient très vieux et n’allaient pas bien, qu’elle ne les connaissait que peu et en gardait le souvenir de petits bourgeois de province revêches mais assez aisés.

Au début du mois de septembre, dès le premier week-end ses parents durent retourner s’occuper des grands-parents.
J’appris de sa bouche, cette « cerise pâle » que je regardai toujours avec envie –et toutes les occasions étaient bonnes pour en vérifier le goût-, que ses parents devaient payer quelqu’un pour s’en occuper la semaine tandis qu’eux devraient y aller un week-end sur deux, un oncle ou cousin, j’ai oublié, y allant l’autre week-end, il fallait bien faire marcher la boutique.
Egoïsme des amants privés de câlin, nous dûmes nous avouer –à mots couverts tout de même- que non seulement les ennuis de santé de ses aïeux ne nous dérangeaient pas mais qu’en outre nous n’en avions même pas honte.
Imaginez l’attente de ce week-end. Finalement, Annie Cordy n’avait peut-être pas entièrement tort avec cette sombre histoire de marron chauffé... 

La rentrée approchait et nous savions que nous ne pourrions plus nous voir aussi souvent.
Eh oui, l’exploitation des enfants n’est pas qu’une fable montée en épingle par la LDH pour faire chuter la productivité des entreprises et avancer le communisme.
Le lycée français de l’époque en est un bon exemple qui nous mobilisait comme n'importe quel supermarché mobilise ses caissières.
Toutes mes journées commençaient à huit heures et finissaient à dix-sept heures, avec des interclasses interminables passées « à l'étude » dans la matinée et l'après-midi.
Au moins on était sûr que les devoirs étaient faits, c'est déjà ça.
Avantage collatéral, comme les devoirs étaient faits et les leçons sues, après la sortie on pouvait tranquillement vérifier jusqu'à six heures que le goût des lèvres de l'autre n'avait pas changé pendant les cours...

On était quand même vachement occupé. La mine vous dis-je...
Mais revenons à ce week-end dont chaque heure qui passait nous semblait bizarrement l’éloigner un peu plus.
La distorsion temporelle causée par l’impatience a de ces résultats parfois…
Ce samedi matin là, elle accompagna ses parents à la gare de Lyon tandis que je l’attendais à « the » café.
A cette époque, j’avais la vue perçante, d’ailleurs elle était au moins à deux cents mètres lorsque je la vis, et je commandai sur l’instant les deux cafés que nous laisserions soigneusement refroidir…
Elle s’assit face à moi, me regarda, se leva, s’assit à côté de moi, se colla, m’embrassa, repassa de l’autre côté de la table et me regarda encore.
Pour autant qu’il m’en souvienne, nous passions beaucoup de temps à nous regarder. Histoire d’être sûr que l’autre existait. Un véritable pathos, quoi…
Sans même attendre que nos cafés soient froids, ni même nous laisser le temps de les boire, elle jeta un peu de sous sur la table, nous nous levâmes, nous prîmes la main et nous entraînâmes mutuellement.
Son pas était de plus en plus vif et si nous ne courions pas, notre allure faisait plus sûrement penser à celle des marcheurs du Paris-Strasbourg qu’à un couple d’amoureux déambulant.
Arrivés devant chez elle, elle s’arrêta, vérifia qu’aucune mauvaise langue n’était en faction et me fit entrer dans le couloir de l’immeuble.
Nous y échangeâmes notre premier « vrai » baiser de la journée puis je pus admirer une fois de plus le balancement de ses hanches le temps d’arriver au premier étage.
Nous entrâmes chez elle pour la seconde fois. Le manque d’habitude nous cloua une fois encore face à face. Puis elle ôta vivement ses vêtements en me regardant tandis que je me dépouillai fébrilement des miens en l’admirant, un coup à se foutre par terre...
Il me faut vous dire que nous ne prenions pas toujours, inconscients que nous étions, ces fameuses « précautions » en latex, faute parfois de stock suffisant mais, plus souvent encore, faute de patience et de jugeotte…
Ça nous valut des châtiments terribles, non, pas le pire, mais quand certains délais prévus par la nature n'étaient pas tenus, ça nous donnait de ces sueurs froides et causait une attente insoutenable qui noyait les trop rares jours que nous pouvions passer seuls dans une ambiance de catastrophe.
En revanche, les jours fastes, notre manque d’expérience était compensé par une bonne volonté sans faille, une curiosité et une faim insatiables.
Et un jour, ces conditions d’expérience idéales que souhaite le chercheur guidé par un esprit purement scientifique, entraînèrent au bout d’un moment une chose que… une chose qui…
Bref, Jean Ferrat explique ça très bien dans les dernières lignes de la chanson « Je vous aime » qui ne sortira que des années plus tard –sept ans, en fait, je viens de vérifier-.

Il nous connaissait ou quoi ?? Parce que, pour autant qu’il m’en souvienne, nous étions absolument sûrs que personne n’avait pu vivre ça avant nous !
En tout cas, Ferrat expliquera ça bien mieux que Johnny dans « Que je t’aime ».
Finalement Johnny fait très « voyou de la Porte de Clignancourt »…
La seule chose un peu gaie et rassurante que nous avions constatée était que, contrairement à ce que prétendaient les racontars des parents sur ce qui attendait les faiseurs de « câlin avec tout » avant le mariage, nous ne ressentions absolument aucune culpabilité vis a vis de la chose.
Ce n'est que plus tard qu’on se dit que si les outils sont fournis avec l’équipement de base, ce n'est pas pour les laisser dormir au fond de sous-vêtements.
Assez curieusement, ces week-ends ne nous rendaient pas plus joyeux, nous n’avions pas l’amour joyeux, voilà tout.
Même Daphnis et Chloé auraient passé pour des rigolos en train de flirter légèrement à côté de nous.
Je ne crois pas un instant qu’on peut voir l’avenir mais il est possible que nous ayons déjà peur de ce qu’il nous réservait.
Alors que si on y avait réfléchi deux secondes, ce qui risquait le plus d’arriver c’était quand même, soit de se faire serrer par ses parents, soit, plus grave, qu’elle tombât enceinte...
Inconscients vous dis-je.
Mais non voyons, juste on était amoureux.
Bon, d’accord, c’est pareil…

Commentaires

on est trop sérieux quand on a dix-sept ans..; pas assez de recul je suppose.

Écrit par : liliplume | vendredi, 17 août 2012

comment ça? vous n'&tiez pas continuellement dans une espèce d'auréole ensoleillée? perdus dans un monde de bonheur et de douceur? isolés du commun des mortels? etc...etc...donc, dans le fond, pas vraiment inconscients ! ce que je comprends très bien! AAAHHHH!!!! le risque!!!!!!

Écrit par : emiliacelina | vendredi, 17 août 2012

alors là! Mon Dieu comment j'aurais flippé!! plus qu'inconscient, franchement, le Goût, en plus c'était même pas gai, donc je retire le Amélie poulain de l'autre jour...sauf physiquement, ça me plait bien de l'imaginer en Audrey Tautou...j'ai hâte de connaitre la fin...car il y a une fin...n'est ce pas...? pas trop moche j'espère!!!!

Écrit par : mialjo | vendredi, 17 août 2012

je reviens, j'avais pas vu ton super jeu de mots...très inventif le Goût...hihihi.

Écrit par : mialjo | vendredi, 17 août 2012

Quel type de magazine était "Confidences"?
J'aime beaucoup ta réflèxion sur le mariage qui n'est plus tout à fait vrai de nos jours...
J'ai hâte de lire la suite pour savoir si c'est ce que je pense qui va se passer...

Écrit par : ange-etrange | vendredi, 17 août 2012

Belle maman m'a renseigné sur "Confidences"

Écrit par : ange-etrange | vendredi, 17 août 2012

les zèles du désir...très fin...

Écrit par : mialjo | vendredi, 17 août 2012

ah!! cette belle insouciance ! dommage que vous n'ayez pas eu l'amour rieur !

Écrit par : maevina | samedi, 18 août 2012

Tu me rappelles des promenades à Paris, serrés-collés, fiévreux, ne sentant le froid de l'hiver ou la pluie que sur nos lèvres mouillées. Doux souvenirs de ce qui fut.

Écrit par : lakevio | dimanche, 19 août 2012

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