lundi, 15 octobre 2012
L'école est finie !
La fac commence...
Il faisait vraiment frais cette semaine de novembre 1967. Il aimait, Paris, les rues et les ponts de Paris. Il aimait traverser la Seine en prenant le pont de l'Hôtel de Ville pour aller de chez lui à la fac. Mais ce jour-là, frileux comme il l'était, le trajet le laissait gelé pour des heures.
Il adorait la fac pour des tas de raisons. La moins avouable était que la rentrée universitaire avait lieu au début novembre. Ça ne paraît pas mais quelques semaines supplémentaires de vacances étaient non seulement bonnes à prendre mais rentables.
Evidemment, comme à chaque rentrée, il profitait de l’avantage d’habiter assez près pour aller à pied à la fac. Ça lui permettait d’arriver assez tôt, sans se lever aux aurores, pour éviter de rester tout bête à l’entrée de l’amphi, coincé à la porte avec cinquante autres retardataires, à tendre l’oreille et noter à toute vitesse en appuyant son bloc sur le mur. Il fallait arriver tôt pour éviter ce calvaire. Au moins, sur les bancs on pouvait écrire plus confortablement. Ecrire comme un cochon, mais écrire, pas entasser des notes qui ressembleraient, le soir arrivé, à des écrits cinghalais. Quand il traînait, il arrivait trop tard, n’entendait pas grand’ chose et était obligé de se rabattre sur les « poly ». Il détestait ça, ça obligeait à travailler, pire, à faire des efforts et ce n’était pas son occupation favorite.
Onze heures ! Enfin ! La faim le tenaillait et il se dirigeait d’un pas vif vers le « restau-U » de la rue Mabillon en espérant qu’il n’y aurait pas de lentilles et qu’il arriverait avant ceux de la fac de médecine.
Pour les lentilles, c’est parce qu’il appréciait assez peu de trier les cailloux pour pouvoir avaler une pincée de lentilles. Quant aux carabins, il tenait absolument à arriver avant eux parce que ces crétins, quand ils étaient d’humeur taquine, avaient l’habitude discutable de mettre du valium dans les pots à eau…
Tandis qu’il remontait la rue Cuvier et partait dans la direction de la Sorbonne, il se disait qu’il était temps que les vacances de fin d’année arrivent. Non qu’il en ait déjà assez de la fac mais il savait déjà que dès janvier, les amphis seraient dégagés à tel point qu’on pourrait s’allonger sur les bancs. Même sur les plus près de l’estrade. Et ça, ça lui plaisait. Ça lui éviterait des heures et des heures de travail. Heures qu’il mettrait à profit pour refaire le monde.
Si on ne refait pas le monde à dix-huit ans, c’est à désespérer de l’humanité…
Il avala son déjeuner rapidement puis repartit pour échapper au brouhaha du restau-U, bourdonnement incessant émaillé du tintement des couverts. Ça l’empêchait de penser, non qu’il fût un penseur mais il aimait que ce qu’il avait entendu soit correctement gravé dans sa mémoire et la marche était parfaite pour ça. Il n’y paraît pas mais c’est fou ce qu’il faut déployer de trésors d’imagination et d’astuces avérées par l’expérience pour éviter un effort…
Sorti dans la fraîcheur de la rue, il frissonna et redescendit vers le petit bistrot de la rue Cujas où il avait pris l’habitude de boire un café avant de retourner à la fac.
Le café était plein à craquer, comme toujours, il n’y prenait pas ses repas car bien que peu cher, ça restait désespérément au-dessus de ses moyens. D’ailleurs on ne pouvait même pas appeler ça « moyens » tellement c’était réduit. Il restait une table libre, il y posa ses deux chemises cartonnées et son petit paquet de feuilles, le tout tenu tant bien que mal par une « araignée ». Ce machin élastique mais léger et pas cher, qui avait tendance à casser au moment le plus inopportun, généralement quand il pleut et que l’on passe au-dessus d’un caniveau.
Il pensait avoir testé toutes les variations liées à la rupture de l’araignée, de l’envol de la moitié d’un « poly » un jour de grand vent à la chute des notes de la matinée sur un quai bondé.
L’araignée avait néanmoins à ses yeux deux avantages incomparables : un prix modique et le fait qu’il pouvait en avoir un ou deux en réserve dans une poche.
Il ne le savait pas encore mais il lui restait toutefois à expérimenter un autre effet de la rupture de l’araignée.
Et pour une fois, c’était un avantage…
13:12 | Commentaires (18)
Commentaires
c'est tout un artde savoir travailler en s'économisant au maximum! Il était doué quand-même!
Alors ? la suite de l'histoire de l'araignée? Quel est l'avantage de la rupture? Peut-être l'occasion d'une entrée en matière lors d'une rencontre? Vite !éclaire notre lanterne!
Écrit par : emiliacelina | lundi, 15 octobre 2012
Voici un récit qui commence bien. La fac... Toute une époque !... J'ai eu aussi des "araignées" et LeMaître en possède encore.
Écrit par : lakevio | lundi, 15 octobre 2012
travailler en s'économisant au maximum, c'est tout un art ! et le Momo, il est sacrément doué!
Alors! l'avantage de la rupture de l'araignée? C'est quoi? Je parie que celà a été l'occasion d'engager une conversation "intéressante!"!!!!! Allez! éclaire vite notre lanterne!
Écrit par : emiliacelina | lundi, 15 octobre 2012
désolée! je me répète! mauvaise manipulation! C'est l'âââge!!!
Écrit par : emiliacelina | lundi, 15 octobre 2012
Dis , Le Goùt , tu te prends pour Delon ? Tu causes à la 3 ème personne ! J'ai hâte de connaitre la suite ...
Écrit par : Brigitte | lundi, 15 octobre 2012
Comme je suis content d'avoir éviter cette "corvée" Ce ne dois pas être marrant de trimer ainsi....
bonne journée. Amicalement.
Écrit par : patriarch | lundi, 15 octobre 2012
@Brigitte
Quelle idée ! Comme si on pouvait avoir envie d'être Delon...
Sans compter qu'écrire des histoires à la première personne, même si elles sont inventées, c'est plutôt risqué...
Écrit par : le-gout-des-autres | lundi, 15 octobre 2012
Perso, je me déplace "à pied", même si j'en ai deux !
(Vas-tu nous narrer ton Mai-68 ? Cool…)
Écrit par : liwymi | lundi, 15 octobre 2012
Corrigé, merci Liwymi.
(en fait tu écris moins pour éviter de laisser traîner des fautes, hé hé hé...)
Écrit par : le-gout-des-autres | lundi, 15 octobre 2012
le resto-U de Mabillon était le plus infect !
Écrit par : liliplume | lundi, 15 octobre 2012
Il va expérimenter l'effet lance-pierres peut-être.
Écrit par : mab | mardi, 16 octobre 2012
On voit bien que tu n(as pas essayé celui de Jussieu qui donne directement sur le quai Saint-Bernard.
Mabillon, à côté ça faisait Robuchon...
Il paraît que celui du Châtelet était bien meilleur mais c'était trop loin.
Écrit par : le-gout-des-autres | mardi, 16 octobre 2012
Je ne suis jamais allée à la fac. Et je regrette.
Écrit par : Berthoise | mardi, 16 octobre 2012
t'as jamais écris de romans? si NOn je t'engage à t'y mettre tout de suite. cet article me plaît énormément...je m'y voyais!!! surtout avec les noms des rues, la fac, tout quoi! y a pas à dire....mais c'était bien!!!
Écrit par : mialjo | mardi, 16 octobre 2012
je suis d'accord! Tu sais déjà que je ne connais pas Paris, mais lire une histoire qui se passe dans des lieux que l'on connait (ou que l'on a connu) doit augmenter le plaisir de la lecture (en plus du style de l'auteur!) pour certains!
Écrit par : emiliacelina | mardi, 16 octobre 2012
j'aime bien ta digression sur l'araignée élastique !!!
Écrit par : maevina | mercredi, 17 octobre 2012
ha oui c'est vrai...vous êtes au cinoche...bon ça fera un clic...kiss
Écrit par : mialjo | mercredi, 17 octobre 2012
Les lentilles du Puy, ce sont les meilleures....Je n'en mangeais jamais avant..Un petit salé aux lentilles du Puy, oune déliche....Elles n'ont pas de cailloux..
Bon, là, on parle de la solidité d'un élastique...Je sens que nous allons assister à une rencontre very intéressante...
Écrit par : jujunumber3 | mercredi, 17 octobre 2012
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