mercredi, 14 mai 2014
La grande vadrouille.
Hier nous étions le 13 mai.
« Et alors, Goût adoré ? Nous aussi on a un calendrier ! » vous exclamez-vous lectrices chéries.
Je le sais bien, voyons, mais ce n’est pas de la veille que je voulais vous parler mais d'un 13 mai un peu plus ancien.
Le 13 mai 1968.
Je vous assure, lectrices chéries, qu’il faisait un temps splendide.
Ce fut aussi la première fois que j’allais hurler « Dix-ans-c’est-assez ! Dix-ans-c’est-assez ! ».
Et pas tout seul.
Non parce que nous fûmes un million selon les organisateurs et deux cent mille selon la police mais parce que c’était la première fois que je manifestais avec mon père.
Il marchait bien pour un vieux de quarante-sept ans ! Bon, il ne courait pas vite.
Ce qui manqua lui valoir un coup de bâton ou un jet de canon à eau.
Il me surprit même car, extrêmement légaliste, c’était la première fois que je le voyais crier à la haie de CRS qui protégeait le Palais de Justice « v’nez-y ! C’est pas des gosses, là ! V’nez-y ! On a posé les fusils ya pas longtemps ! »
Bon, la fin de la guerre avait tout même vingt-trois ans mais il y a des évènements, comme ça, qui vous redonnent un petit coup de jeune.
C’était sympa…
Il y eut un moment d’émotion tout au long du boulevard Saint Michel quand la foule se mit à chanter l’Internationale.
Même la maréchaussée eut l’air admiratif devant ce chœur de centaines de milliers de chanteurs qui, pour une fois, disaient la même chose et réussissaient à chanter à l’unisson.
Ce qui est très rare quand on sait que la CFDT, la CGT, la CFTC, FO participaient à la manifestation alors qu’ils ne sont habituellement d’accord sur rien et sont ennemis depuis leur création.
Ce fut une belle journée. J’ai craint un instant que l’affaire ne dégénère et d’être obligé de traîner mon père bien plus lourd que moi.
Oui, si je l’avais laissé, il se serait en plus fait engueuler par ma mère sur l’air de « T’es bien resté gamin ! Et ton fils, hein ? Ton… MON fils ! Tu y as pensé ? »
Oui, ma mère était comme ça, dans l’ordre de l’amour qu’elle dispensait, il y avait d’abord elle, puis moi, puis mes sœurs et enfin mon père.
Et mon père pas trop…
J’imagine la sérénade s’il était revenu sans moi de la manif’, trempé jusqu’aux os d’un jet de canon à eau.
Non que la douche eut dérangé ma mère mais l’idée de gaspiller des francs pour porter au pressing un costume détrempé par mon père lui aurait arraché un sein.
Ce fut quand même un chouette moment même si, vers la fin de l’après-midi, nous pleurions et ne trouvâmes un bistrot ouvert que vers le BHV.
Ceux du Quartier Latin avaient eu la prudence de fermer dès midi.
Mon père remarqua benoîtement que les Auvergnats n’étaient pas si malins qu’on aurait pu le croire en se fiant à Pompidou, Auvergnat notoire et intellectuel brillant.
Mon père me dit pour l’occasion « Tu vois, fils, le mastroquet ne réfléchit pas ! Tu as vu tous ces flics ? Comme on sait qu’ils boivent comme des trous, avec ce mois de mai, ensoleillé et agité, rien qu’en ouvrant les jours de manif ils auraient fait fortune… »
Il s’est arrêté une minute pour reprendre un souffle qu’il avait court et a ajouté en secouant la tête « Je suis sûr qu’ils n’ont pas pensé aux milliers de pastis à servir… »
Oui, mon père avait ce souci de l’autre. C’était un type gentil.
Chiant parfois mais gentil, vraiment gentil…
07:07 | Commentaires (7)
Commentaires
Cécile avait 9 mois, Maky était en manoeuvres, je ne le savais pas et je resterai 1 mois sans nouvelles de lui mais il faisait un temps superbe. les premiers mot de Cécile "a pu papa"
Écrit par : mab | mercredi, 14 mai 2014
alors, là! je trouve que c'est un magnifique souvenir!!!! Je vois surtout le fait d'avoir vécu çà avec ton père! Il ne perdait pas le nord en plus!!!!! Vivre ces évènements en communion avec ton père, vraiment, je trouve çà super!!!
Écrit par : emiliacelina | mercredi, 14 mai 2014
Mon beau père était un homme gentil et il avait un côté taquin qui rendait folle ma belle-mère.
Ça le rendait encore plus sympathique...
Écrit par : heure-bleue | mercredi, 14 mai 2014
Super souvenir. Je ne pense pas que le père de Victor soit descendu dans la rue. Mais Victor, lui, était sans doute tout près !
Écrit par : lakevio | mercredi, 14 mai 2014
Gentil et un rien moqueur, non ?
Écrit par : Berthoise | mercredi, 14 mai 2014
Je vivais à Paris, évidemment :-D et j'étais en retraite... déjà me diras-tu ? En retraite avant ma communion solennelle qui eut lieu les 17 et 18 mai 1968. Bien peinarde, au calme avec mes copines, dans une vieille maison entourée d'un petit jardin.
Ensuite, CRS avec boucliers et gros croquenots (et pour une gamine de 12 ans, c'est impressionnant) qui passent sous nos balcons, accompagnés de "CRS SS". Bombes lacrymo dans la cage d'escalier. Plus d'essence, plus de transports en commun, certains rayons de magasins complètement vides... 46 ans !
Écrit par : Marie-Floraline | mercredi, 14 mai 2014
Chouette et tendre souvenir de ton père.
Écrit par : Fauvette | mercredi, 14 mai 2014
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