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jeudi, 15 mai 2014

Les jours d'heureux pas sage...

Mon père, ce pied-noir au sourire si doux, avait parfois décidé dès le lever de taquiner.
« D’emmerder le monde » selon ma mère qui n’avait pas toujours soin d’éviter le « langage Porte de Clignancourt » dont elle nous protégeait à coup de taloche.
Elle ne disait pas toute la vérité qui était plutôt de l’emmerder, elle.
Et elle le savait. Aussi s’arrangeait elle pour ne pas passer trop de temps dans la même pièce que mon père.
Et ça ne marchait jamais.
Il commençait alors la journée par quelques piques soigneusement ajustées.
Les deux ou trois premières étaient accueillies par le sourire maternel.
Là, on pouvait être sûr que le piège se refermait et que le but indéfendable visé par mon père allait être atteint sous peu.
Au début, il pestait à mots couverts contre l’idée de faire le lit tout seul.
Il faut dire que ma mère était quelqu’un de très frileux, ne soupçonnait pas l’existence des couettes et aimait les couvre-lits épais, molletonnés et lourds comme des ânes morts.
Mon père avait un souffle rendu court par des années de clopes et le travail dans des produits qu’on n’oserait même pas regarder aujourd’hui.
Inutile donc de vous dire que l’idée de faire « au carré » un lit plein de couvertures, de draps épais comme l’humour de Canteloup et d’un couvre-lit de dix kilos ne l’enchantait pas. Il s’y mettait en pestant. S’arrêtait le drap du dessous à peine posé. Allait dans la cuisine fumer une cigarette. Disait à ma mère « tu sais que je t’aime toi ? »
Ça commençait insidieusement comme ça, vous dis-je.
Ma mère haussait les épaules, soupirait et grommelait « tu ferais mieux de finir le lit… »
Il y retournait en ayant posé sa cigarette sur le bord de la table et se faisait rappeler à l’ordre illico. La machine infernale démarrait insidieusement.
« Voyons ma poule ! Bon, je finis ma cigarette et j’y retourne. »
Tout se passerait bien si, au passage, alors qu’elle tenait une casserole sous le robinet, il ne profitait de l’occasion pour l’embrasser légèrement sur l’oreille.
Elle détestait ça et il le savait…
Elle se mettait alors « après sa peau » et l’engueulait de belle façon.
Lui la regardait d’un air enamouré –un peu faux-cul en réalité- et étonné.
Vous voyez le genre, l’air ébloui, plein d’amour et un peu niais.
Quand elle avait fini l’homélie, il la regardait encore silencieusement une dizaine de secondes.
Il retrouvait alors son accent pied-noir et déclamait « Ti sais que ti es belle, comme ça ma poule ! Ti es belle quand ti es en colère ! Ti as les étincelles qui sautent de partout ! Ti as les yeux qui rélousent ! Aïe aïe aïe ! Qué ti es belle ! Houuuu ma poule ! Viens m’embrasser ! »
Il s’en fallait de peu qu’elle ne l’estourbisse d’un coup de casserole ou ne le troue d’un coup de couteau.
Elle avait les yeux déjà très noirs, ils fonçaient encore plus. Elle se taisait, haussait les épaules et retournait à sa tâche.
Mon père, satisfait, allait finir le lit…
Il était heureux que nous autres, les enfants, ayons pu sortir après cette représentation d’une pièce que nous connaissions tous sur le bout du doigt et qu’on donnait régulièrement. Heureusement, la vie agitée de mes parents et leur absence courante nous rendait indulgents.
Jusqu’à ce que la mort de ma mère nous apprenne, à Heure-Bleue et moi, que deux de mes sœurs n’avaient pas cette indulgence.
C’est là que j’appris que je n’étais pas le seul à avoir quelques griefs envers ma mère.
Vous ne serez pas surprises, lectrices chéries, d’apprendre que c’était pour des raisons totalement opposées…  

Commentaires

Tu sais qu'il me plait cet homme.

Écrit par : mab | jeudi, 15 mai 2014

Alors comme il taquinait et elle houspillait... ça me rappelle un autre couple!

(oui, je sais, je m'en vais...)

Écrit par : Livfourmi | jeudi, 15 mai 2014

Ah, les parents pieds-noirs, je connais... j'ai eu :-)

Écrit par : Fiamella | jeudi, 15 mai 2014

C'est trognon , ils étaient amoureux !

Écrit par : Brigitte | jeudi, 15 mai 2014

Mais au fond, tout ça, c'est de la tendresse. Ta mère sous ses airs bougons devait adorer ça.
J'aime bien ta façon de nous raconter, on le vit.

Écrit par : juliette | jeudi, 15 mai 2014

On dit qu'on épouse souvent son contraire. Je suis toujours étonnée de voir combien les couples sont différents. C'est ça qui fait le sel d'une vie de couple. Je ne dirai pas ce que je suis (heu !), mais nous sommes 100 % différents avec mon mari, heureusement qu'il met souvent du vin dans son eau avec moi (heu !)
J'aimais aussi beaucoup mon beau-père, malgré son égoïsme atavique. C'était un bon vivant, qui se mettait rarement en colère. Je m'entendais bien avec lui, tandis que ma belle-mère, houlala, comme genre coincée, on ne fait pas mieux.

Écrit par : juliette | jeudi, 15 mai 2014

Parfois la vraie vie, c'est mieux que les sketchs !

Pensé à vous tout à l'heure. Suis allée au Royaume des Kouignettes !

Écrit par : lakevio | jeudi, 15 mai 2014

oui, je pense que c'était un gentil , ton père ! Un vrai gentil avec ceux qu'il aimait en tous cas! Il est très sympathique à travers tes écrits.

Écrit par : emiliacelina | jeudi, 15 mai 2014

Quelle douce histoire, je m'y serai cru, dans un petit coin de cette cuisine… merci pour le voyage!

Écrit par : clémence | jeudi, 15 mai 2014

Un bel emmerdeur, oui !
Je les connais, ces casse-pieds, ils ne s'arrêtent que lorsqu'on est à bout.

Écrit par : Berthoise | vendredi, 16 mai 2014

Les commentaires sont fermés.