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vendredi, 25 juillet 2014

Ce jour là, la mère fut agitée…

La dernière note de Lakevio, avec ce souvenir de voleur de pommes qui s'est fait serrer, a ramené à la surface de ma mémoire un souvenir que je pensais irrémédiablement enfoui.
Je peux même vous dire que c’était en 1957. Pas très loin de la mi-septembre. Ma sœur cadette et moi étions revenus de Bourgogne. La guerre d'Algérie faisait rage et un de mes cousins était allé admirer la beauté des djebels en un voyage offert par l'Armée française.
Un après-midi de beau temps, ma mère, lassée de nos piaillements incessants nous laissa exceptionnellement « aller jouer dans la rue ». Exceptionnellement car elle avait pour principe que les enfants ne doivent pas être laissés à eux-mêmes avant sept ans « sinon ils sont soumis à la mauvaise influence de ces voyous de la Porte de Clignancourt ». Un genre de horde qui était sans cesse à l’affût de la chair de sa chair pour la pervertir et la transformer soit en « blouson noir » soit en « fille de la Porte de Clignancourt ». J’ai appris plus tard qu’elle avait tiré cette certitude d’un bouquin sur les Jésuites.
Ma sœur et moi étions donc descendus dans la rue. « La rue » est un bien grand mot pour une voie qui était, je crois bien, la plus courte de Paris, un passage lépreux où on aurait cru que la guerre ne s’était pas arrêtée il y a douze ans mais plutôt douze jours…
Nous allions vers la rue du même nom, aussi lépreuse mais plus longue et, comme notre passage, « pleine d’Arabes ». J’avais dans l’idée d’aller « au terrain vague » comme disaient les parents, un terrain plein d’herbe, de ronces où étaient accrochées des mûres qui puaient parce qu’il y avait plus de punaises que de mûres sur ce buisson.
Il y avait aussi des tas de choses qui m’intéressaient, comme une vieille machine à coudre, un truc plein de vis à défaire si j’avais eu un tournevis, bref un lieu de découverte. Il y avait aussi des copains que je voyais rarement, pensionnaire reclus que j’étais.
Ma sœur cadette remonta rapidement car elle s’ennuyait avec des garçons qui couraient, se chamaillaient mais ne jouaient pas avec elle. Je me retrouvai donc avec, entre autres gamins de mon âge, un certains Lopez. Une « armoire à glace » disions nous alors qu’avec le recul, une « armoire à glace » de huit ans ne devait pas être impressionnante. Je me souviens de ce Lopez car il n’avait pas de père. La rumeur lui prêtait comme père, à cause de son gabarit, un GI de passage qui, selon la même rumeur « s’était tapé sa mère ». Mère dont la même rumeur prétendait qu’elle gagnait sa croûte en déambulant le long du boulevard Ornano et en s’adressant à des messieurs en costume plutôt qu’en « bleu ».
Ce Lopez avait en outre un accent qui m’avait valu quelques taloches quand j’avais essayé de le prendre. C’était pourtant un accent vachement chouette de « mec à la coule » mais ma mère ne voyait pas les choses comme ça et pestait que « heureusement que tu retournes bientôt chez les Frères sinon tu finirais en maison de redressement ! »
Cet après-midi là, donc, loin des yeux et surtout des oreilles des parents, Lopez, quelques autres et moi jouions à la guerre, comme plein de gosses de l’époque.
Nous faisons un tel raffut, poussions de tels cris que, surgissant de nulle part, une espèce de monstre hirsute se précipita vers nous en hurlant « bande de salopards ! Je vais vous passer à la mitrailleuse moi, putain de bougnoules ! »
Il accourait, j’étais le moins sportif, il m’attrapa.
« Ah je te tiens ! T’es un petit fellagha, toi ! Hein ? »
J’avais les jambes qui tremblaient, le ventre qui allait se vider dans ma culotte courte, j’en étais sûr. Et il continuait, me serrant le bras : « Je vais te tuer, sale Arabe ! Petit bicot ! »
Bon sang, quelle peur ! Une fenêtre s’ouvrit et une voix de femme hurla « ça va, c’est un gosse, ils peuvent jouer quand même ! »
Il m’a lâché en faisant le geste de me donner un coup de poing.
Je crois bien que c’est ce jour là que j’ai battu le record mondial de vitesse de montée d’escaliers sur quatre étages.
Ma mère m’accueillit, me câlina, m’engueula et clôt par « Tu vois qu’il faut pas jouer avec des Arabes »…
Elle n’a jamais pu accepter de vivre là. Comme l'autre, là.
Quand j'y pense, je crois que je n'ai jamais eu aussi peur depuis.
Pourtant les occasions n'ont pas manqué...

Commentaires

La rue, les terrains vagues, les mauvaises fréquentations, jouer à "la petite guerre", les grands moments de la petite enfance.

Écrit par : mab | vendredi, 25 juillet 2014

ben voilà !! et je parie que tu y es retourné dans ton terrain vague ??

Écrit par : maevina | vendredi, 25 juillet 2014

Pas bien intelligent le mec qui t'a chopé... finalement en ce temps là il y avait encore des gens pour ne pas laisser faire, tu dois ta survie à cette brave dame qui a crié à la fenêtre !!!

Je ne sais pas pourquoi les gosses sont toujours attirés par les terrains vagues, les garçons surtout.... mon fiston aussi avait son terrain vague oui il construisait des cabanes avec les autres gosses du quartier, il avait même cassé les carreaux d'un voisin avec un lance pierre !! (un tir loupé d'une cible sur un arbre parce qu'il avait interdiction bien sûr de viser des oiseaux) Je me souviens de la bonne femme énervée qui est arrivée chez moi en hurlant parce que fiston était un voyou.... je suis restée calme ce jour là.... je lui ai répondu mais Madame, les assurances sont là pour ça..... depuis le temps que je paie, je vais enfin pouvoir en profiter.....

J'adore quand tu nous narres tes souvenirs d'enfance... tu vois y avait pas d'ordinateur, de téléphones portables, de jeux vidéos.... c'était quand même bien mieux !!

Écrit par : Ysa | vendredi, 25 juillet 2014

Il est devenu quoi ton terrain vague?
A cette époque j'étais en forêt noire donc pas de terrain vague mais des hectares de forêt!

Écrit par : edith | vendredi, 25 juillet 2014

Donc vous n'aviez pas 7ans en 1957 ! Vous etes un galin en somme.

Écrit par : Ckan | vendredi, 25 juillet 2014

tu as eu très peur, mais depuis le temps que l'on te lis ...je me dis que je ne sais pas quel âge tu avais mais celà ne t'as pas trop servi de leçon, j'en suis sûre!
Ceci dit : quel con ce mec!

Écrit par : emiliacelina | vendredi, 25 juillet 2014

J'ai écrit cela pour l'âge car votre mère interdisait de sortir avant 7 ans ! Désolée encore d'avoir gaffé et je voulais écrire "gamin"

Écrit par : Ckan | vendredi, 25 juillet 2014

Ravie d'avoir sonné le rappel, hihihi ! Beau récit. Comme dit HB : les hommes ne changent pas...

Écrit par : lakevio | vendredi, 25 juillet 2014

Moi aussi, j'aime beaucoup tes souvenirs d'enfance et surtout la façon que tu as de nous les raconter.
Merci.

Écrit par : Berthoise | samedi, 26 juillet 2014

Les commentaires sont fermés.