samedi, 06 septembre 2014
Excusez moi, je n'ai pas de Monet.
« Cochinchine ». Le mot qui me revient ce matin est « Cochinchine ». Tout simplement parce qu’hier, j’ai croisé dans les allées du Monop’ un Vietnamien d’une trentaine d’années.
Il m’a frappé et je sais pourquoi. Il ressemblait à quelqu’un que j’ai connu.
C'est pour ça que « Cochinchine » me revient ce matin.
Dans mon coin, plus précisément au rez-de-chaussée de l’immeuble où habitaient mes parents, face à la porte qui donnait sur la salle du bougnat, celui qui aimait mieux batifoler avec la voisine du premier qu’avec sa légitime, il y avait la loge de la concierge, Madame D.
Madame D. avait fini par rejoindre Manitou sur les terres des chasses éternelles.
Oui, à l’époque, je lisais les aventures de Winnetou, pas encore les Mémoires d'Outretombe ni Les Thibault.
Bon, c'est aussi mais pas pareil.
Madame D. fut remplacée par des boîtes aux lettres.
Les habitants de l’immeuble y gagnèrent de ne pas devoir entrer dans une loge qui sentait mauvais et les enfants des habitants de ne pas être acculés dans un coin et tenter d’échapper à « un bisou, p’titbout’dchou ».
Ils y perdirent car ils durent nettoyer eux-mêmes leur palier et les escaliers de leur étage.
Je me rappelle cette Madame D. comme quelqu’un d’incommensurablement vieux, sentant le pipi et n’ai pas souvenir de l’avoir vue autrement que vêtue d’une robe de chambre de feutrine beige grisâtre de crasse par endroits et chaussée de charentaises usées et ouvertes au gros orteil. Elle avait un fils qui passait la voir de temps à autre. Ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis demandé comment il avait pu venir à l’idée de quelqu’un de lui faire un enfant…
Sa loge, un petit studio doté d’une minuscule cuisine donnant sur la cour, fut louée à un couple « d’Indochinois ».
Un jour de vacances, de vacances de Pâques si je me souviens bien, et je me souviens bien, je revenais à la maison avec le pain. Arrivé dans l’entrée de l’immeuble, je vis ce monsieur, face à la porte de la loge tenant un bébé par la main. Il me demanda « tiens mon fils, que j’attrape mes clefs, s’il te plaît ».
Sa femme est arrivée à son tour et m’a repris la main du bébé. Je les regardai, c’était la première fois que je voyais des asiatiques « en vrai ». J’en avais déjà vu en film mais en noir et blanc, jamais en couleurs. Je trouvais la femme très belle.
Je me souviens d’eux car elle a dit à son mari « J’ai entendu le cafetier dire « Cochinchine, c’est des Cochinchinois ! » d’un air indigné.
Lui, en un français que lui auraient envié la plupart des gens du coin, lui a répondu « ce n’est pas grave, je sais bien que tu es une Annamite ». C’est quand je me suis mis à voyager que j’ai appris que pour une bonne part de ceux qui sont aujourd’hui des Vietnamiens, le Cochinchinois est au Vietnamien ce que le type du North Dakota est à l’Américain de la Nouvelle Angleterre. Autant dire le Belge selon Coluche.
Je suis venu chez lui plus tard, l’ai aidé à nettoyer les pinceaux car il repeignait la loge. Je n’avais jamais vu cette loge si claire. Ce que je n’avais jamais vu que comme une caverne sombre, puante et encombrée du sol au plafond de revues jamais jetées, les mur couverts de chromos affreux, de calendriers des PTT empilés sur le même long clou au cours des années se révélait étonnamment agréable. Une pièce petite certes, mais peinte en blanc, tout comme la cuisine, et meublée simplement d’une penderie, d’un lit, d’une table, quatre chaises et d’étagères déjà pleines de livres.
Ce fut la première fois que j’eus l’impression de luxe dans cet immeuble près de la Porte de Clignancourt.
La prochaine fois, si ça vous intéresse, lectrices chéries, je vous parlerai du passage Kracher…
09:31 | Commentaires (3)
Commentaires
Oui ça m'intéresse, un peu d'exotisme n'est pas pour me déplaire.
Écrit par : mab | samedi, 06 septembre 2014
les asiatiques avaient pour réputation d'être très propres c'était confirmé
Écrit par : maevina | samedi, 06 septembre 2014
C'est drôle mais ces deux mots, cochinchine, annamite, utilisés par mon père et pas seulement à propos d'une chanson (!), me faisaient rêver. Cela m'a aussi rappelé un livre que j'ai adoré enfant : la rivière des parfums...
Écrit par : lakevio | samedi, 06 septembre 2014
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