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dimanche, 07 septembre 2014

Interdit de Kracher

Je vous ai parlé il y a peu du passage Kracher.
Au bout de ce passage, on trouvait au coin, à droite, le fournisseur de menue monnaie du quartier, vraiment très menue, la monnaie : Le chiffonnier.
Que je vous dise, lectrices chéries, si l’hiver, le journal servait à allumer le poêle, du milieu du printemps à la fin de l’automne, il était conservé, plié, et mis sur le petit escalier dont nul ne savait où il menait, qui jouxtait la porte de notre logement. Ces quatre marches s’arrêtaient net sur une porte dont on ne sût jamais ce qu’il y avait derrière.
Quand l’épaisseur de journaux était telle que ma mère, jugeant d’un coup d’œil expert qu’elle dépassait les deux kilos, elle m’envoyait les porter chez le chiffonnier.
Ça n’allait jamais aussi simplement que je viens de l’écrire.
Aller chez le chiffonnier, entreprise simple au premier abord, se révélait, au « deuxième rabord » une mission lourde dans sa préparation.
Et « mission lourde » n’est pas qu’une figure de style…
Ma mère allait dans le boyau qui nous servait de cuisine, décrochait un vieux cabas qui servait de réserve à des tas de choses inutiles. Il y avait évidemment le grand pochon de papier qui contenait un tas de petits pochons de papier kraft. C’était l’ancêtre du gigantesque « sac de sacs » qui accompagnerait ma mère jusqu’au seuil de sa dernière demeure.
Il y avait aussi dans ce cabas, l’inévitable chose que j’avais déjà vue chez dans « le bâtiment » de la maison de ma grand’mère maternelle. Un truc informe, une espèce de pelote faite de bouts de ficelle, pelote informe faites de morceaux trop longs pour être jetés mais trop courts pour être utiles à quoi que ce soit.
Ma mère, donc, prenait quelques morceaux de ficelle, les nouait bout à bout et faisait un de ces paquets dont elle avait le secret.
Une fois ce petit paquet de concentré de journaux terminé commençait la longue psalmodie des conseils pour se rendre chez ce chiffonnier.
- Patrice, mon fils, écoute moi bien.
- Oui maman…
A cet instant il était bien vu d’éviter le soupir de lassitude devant le discours mille fois entendu.
Il y eut bien une fois cette idée de dire en même temps que notre cantor privé, façon « chœur des vierges » du théâtre grec, le texte que nous connaissions par cœur mais la tentative fut étouffée dans l’œuf d’une taloche sur le plus proche de la main maternelle.
Ma mère, donc continua.
- En sortant de la maison, tu prends à gauche. 
- Oui maman…
- Surtout A GAUCHE ! HEIN ! A GAUCHE ! Et tu arrives directement sur la rue Championnet, tu vas à droite, vers la RATP et, arrivé à la rue de Clignancourt, tu prends à droite. A droite hein ! Et tu fais bien attention à Souricette ! »
Ma sœur cadette et moi avions fait ce chemin de nombreuses fois et Souricette, qui devait son surnom à son aptitude à piailler comme une souris quand elle était bébé, me donnait la main sans faire d’histoires.
Nous connaissions aussi bien le chemin que la litanie des recommandations qu’on nous répétait néanmoins chaque fois.
Et ça continuait…
« Tu remontes bien la rue de Cligancourt jusqu’au passage Kracher. » Là, le ton montait . « Et surtout, tu fais bien attention à ta petite sœur ! ». Le ton s’atténuait.
« Vous dites « bonjour monsieur » et surtout vous ne touchez à rien, tout est sale là-dedans ! »
Nous savions que nous n’en étions pas quittes pour autant, je posai néanmoins la main sur le paquet de journaux et le pris.
La dernière objurgation tomba. « Surtout, pas question de passer par l’autre côté hein ! De toute façon, je le saurai ! Je le saurai ! Si j’apprends que vous êtes passés par la rue du Roi d’Alger et le passage Kracher, JE-VOUS-TUE ! »
Comme toujours, sa grande hantise avait saisi ma mère et l’amenait au bord de l’hystérie. « Vous allez vous faire attraper par des Arabes et vous vous retrouverez dieu sait où ! »
Je dirai après à quoi ressemblait le passage Kracher car, bien entendu, nous sommes quand même allés une fois chez le chiffonnier en passant par là.
Vous saurez aussi à quoi ressemblait ce chiffonnier…

Commentaires

tu vois pourquoi je trie, vide, jette régulièrement , pour ne pas laisser à Fu des bouts de ficelle et des sacs dans des sacs dans un grand sac.
En confidence je te livre un secret, Maky garde le papier alu des tablettes de chocolats...

Écrit par : mab | dimanche, 07 septembre 2014

ouf! heureusement que je n'ai pas la gardienite, parce qu'avec mes cahiers, mes blocs dessins et mes toiles, mes enfants ont déjà de quoi remplir un camion !! quant au passage kracher, karcher ou kascher, il devait être bien folko !

Écrit par : maevina | dimanche, 07 septembre 2014

Ce prélude au passage est un appât des plus irrésistibles.

Écrit par : lakevio | dimanche, 07 septembre 2014

oui! tu nous expliquera , et, un jour, rien qu'à te lire je connaîtrai Paris comme si j'y étais allé en virée!!
Lorsque Robert était gamin, (10/11 ans) il travaillait chez un chiffonnier après l'école. Il nous en parle parfois encore , si j'y arrive il faudra que je raconte!

Écrit par : emiliacelina | dimanche, 07 septembre 2014

Tiens , elle avait peur des arabes ? Je suis étonnée .

Écrit par : Brigitte | dimanche, 07 septembre 2014

j'adore!!!!!!!!! j'espère que tu as mis tout ces beaux souvenirs écrits, que tu nous fais partager, en lieu sûr, déjà pour ne pas qu'on te les pique, et pour plus tard, pour l'Ours et les Merveilles...se sont des petit bijoux! kiss

Écrit par : Joëlle | lundi, 08 septembre 2014

Les commentaires sont fermés.