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lundi, 04 novembre 2019

Devoir de Lakevio du Goût N°14

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Je ne passe que très rarement par C.
Quand j’y suis passé, j’ai remonté la rue dont toutes les boutiques avaient changé ou disparu.
C’est là que j’ai vu la maison, « ma » maison, « la grande porte » en était entr’ouverte.
Alors je suis entré.
Je suis entré dans la maison par la porte qui donne sur la rue.
Ça m’était déjà arrivé mais c’était très rare.
Il fallait que l’occasion fût exceptionnelle pour que Grand’ mère ouvrît « la grande porte ».
Même Noël n’était pas suffisant, « C’est pas passez bien pour ça, mon gamin… »
Il fallait au moins que les voisins honnis, les B., détestés voire haïs pour une question d’héritage mal digéré, vinssent pour que l’on daignât ouvrir « la grande porte ».
Pour le reste du temps il fallait pousser la porte qui donnait sur l’allée, emprunter celle-ci qui longeait la maison, en faisant attention de ne pas monter sur les petits motifs de ciment qui délimitaient la plate-bande riche de violettes et surtout de giroflées.
Je me rappelle l’avoir arpentée les dimanches de Pâques, à la recherche des petits sachets d’œufs en sucre, me penchant sur les giroflées, essayant d’attraper les rameaux les plus bas des lilas mauves qui embaumaient.
Aujourd’hui, tous sont morts, les lilas comme les proches.
La maison, j’y suis entré par hasard, parce qu’elle m’appelait, semblait abandonnée.
N’y subsistaient que les traces des âmes qui l’avaient façonnée.
« La grande porte » était entr’ouverte qui m’appelait de son souvenir silencieux.
Elle donnait toujours sur une espèce d’entrée minuscule et faisait face à un mur dont le haut était percé d’une sorte de soupirail.
Je savais que de l’autre côté de ce mur il y avait une petite alcôve qui servait de chambre à la plus jeune de mes sœurs.
À la droite de cette entrée une porte donnait sur une grande chambre où je dormis pendant les vacances de Noël ou de Pâques avec ma sœur cadette.
Je n’y suis pas entré, j’ai préféré garder le souvenir pourtant peu agréable d’une chambre carrelée de tomettes, glaciale et qui m’apparaissait immense et dont le lit était chauffé par des briques enveloppées dans des chiffons, briques qui passaient la journée dans le four de la cuisinière.
J’ai pris à gauche pour passer par la « grande salle », celle où une immense cheminée dont le manteau de marbre était décoré d’obus de la guerre de 14-18 dont les douilles de laiton avaient été ciselées avec plus de soin que de goût…
Cette pièce, autrefois meublée d’une grande table, de deux fauteuils et d’un buffet abondamment sculpté de trop de fioritures compliquées, était en ruine, dévastée comme après le passage d’un raid de pillards.
Même, de nombreuses tomettes étaient fendues…
Je suis entré dans la cuisine, effaré.
La cuisinière avait évidemment disparu, vendue, la suspension à contrepoids pour en régler la hauteur, même le petit carillon qui n’était ni un coucou ni un carillon « Westminter » mais une espèce de pendule de bois étrange pourvue d’un balancier que j’avais toujours connu vert-de-gris.
Tout cela avait disparu…
J’ai ouvert la porte qui donnait sur le jardin et, à voir l’état lamentable des petits carreaux disparates sur ce qui faisait office de terrasse, une bouffée de chagrin m’a saisi et presque paralysé.
J’ai revécu en un instant des années de vacances, d’enfance, de bêtises, d’affection.
Évidemment, comme chaque fois qu’un souvenir affleurait et comme aujourd’hui justement, il faisait beau.
Il fait toujours beau dans ma mémoire.
Même les tristes jours d’automne et les jours de pluie, il fait beau.
Il fait toujours beau quand on vit…