lundi, 10 février 2014
Pas sage à niveau…
Je me sentais bien pour la première fois depuis que j’étais ici. Je trépignais d’impatience.
Je savais que ce n’était pas bien du tout vis-à-vis de mes parents mais j’attendais qu’ils partent, mince !
On amena l’assiette de soupe du soir que ma mère me fit manger avec plaisir.
Elle a toujours été heureuse de me traiter comme un bébé…
Et n’a jamais changé...
J’ai ainsi souvenir de l'avoir accompagnée pour faire des courses rue Rambuteau. J’avais plus de quarante ans et nous attendions au feu du croisement de la rue du Temple.
Quand ce fut à notre tour de traverser, elle ne put s’empêcher de me prendre la main et de me dire « fais bien attention, mon petit garçon. »
Revenons à mon train…
Ma soupe avalée, mes parents sont partis plutôt rapidement, gênés qu’ils étaient de ne pouvoir que parler un peu, ne pas pouvoir me montrer le jouet, mon père en mourait d’envie mais ma mère s’opposa à ce qu’il le montât.
Il mourait d'envie de jouer. C'est fou le nombre de choses faites que pour les enfants qui suscitent l'envie des papas...
Il se contenta donc de me mettre la locomotive dans les mains. Je mourais d’envie de la voir. Il m’expliqua aussi que dans la boîte il y avait le transformateur, quatre wagons, de quoi faire un circuit circulaire, une petite voie de garage et un aiguillage pour passer du chemin à la voie de garage.
Ils sont partis quand l’infirmière gentille du soir est passée dire que les visites étaient terminées.
J’ai attendu longtemps, je n’avais qu’un moyen de savoir que le calme de la nuit était arrivé dans l’hôpital : Le silence.
Dans un hôpital le silence est très relatif mais dans une service d’ophtalmologie, peuplé de « vieux », c’est beaucoup plus silencieux que dans nombre de services de traumatologie que j’ai fréquenté assez souvent plus tard.
Oui, je sais, je n'étais pas sage...
Quand ce silence fut enfin assez profond à mon goût, et j’avais l’oreille fine, j’entamai l’exécution de l’idiotie.
Je commençai par dénouer les deux lanières qui maintenaient mes « boules à thé géantes », retirai mes « boules à thé géantes » puis la gaze.
Ce fut merveilleux ! Je voyais !
Pour la première fois depuis une semaine je voyais normalement, c'est-à-dire sans qu’on m’ait collé du sulfate d’atropine dans les yeux pour en agrandir la pupille, puis du chlorhydrate de cocaïne pour les anesthésier afin d’en mesurer la « tension de l’œil ».
Je sortis de mon lit, la lumière du couloir et la veilleuse de la chambre l’éclairaient suffisamment pour que je puisse monter mon train électrique tout neuf.
Une semaine dans le noir, c’est fou ce que ça facilite la nyctalopie !
J’ai commencé à monter silencieusement mon superbe train électrique.
J’a trouvé une prise sur la plinthe pour le faire marcher.
Je n’aurais pas dû danser de joie, ni gigoter autant, ni suivre des yeux mon petit train qui tournait, tournait, tournait…
J’ai commencé a avoir mal à la tête.
Un mal de tête qui est devenu lancinant, puis martelant. Je me suis assis sur mon lit et je me suis frotté la joue.
Je l’ai retirée ensanglantée. J’ai pleuré à haute voix. J’avais mal.
L’infirmière s’est précipitée, a vu, puis, gentille a poussé le train sous le lit et appelé l’interne.
L’interne m’a engueulé, donné un truc pour dormir, nettoyé mon œil et remis les « boules à thé ».
Le lendemain, le professeur Blancard est passé, m’a retiré les lunettes, regardé mon œil, puis moi d’un air triste et m’a dit « c’est pas malin ce que tu as fait mon garçon, je t’avais prévenu. Tu l’as faite cette hémorragie. Il faut attendre qu’elle soit résorbée pour voir si tu n’as pas gagné un décollement de la rétine… »
Il a ajouté avec un soupir « pfff… idiot, va ! », m’a passé la main sur la joue et est parti en disant « remettez lui les lunettes. »
Comme le professeur, je ne connaîtrai le résultat que d’ici deux semaines environ. Deux semaines dans le noir…
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