jeudi, 07 décembre 2017
Souvenirs de la maison des morts…
Que je te dise, Juliette…
Vingt-six mètres carrés dans les années cinquante à Paris, c’était courant dans bien des quartiers.
C’est ce qui fait que dans notre immeuble de quatre étages, il y a avait douze logements, tous petits.
Les deux les plus vernis étaient notre voisin de gauche au quatrième, celui qui avait été comptable et buvait sa retraite et madame B. à l’étage en dessous, celle qui avait LA télé de l’immeuble.
Ils étaient vernis car ils étaient seuls.
Mais comme ils n’aimaient pas être seuls, le premier picolait et madame B. avait toujours des voisins chez elle…
Mais nos vingt-six mètres carrés étaient vastes !
Nul appartement dans l’immeuble n’était encombré par des choses aussi superflues qu’une salle de bains, des toilettes ou de grandes « cuisines dînatoires » comme disent les agents immobiliers…
Eh oui, Juju !
Comme on disait en ces temps reculés nous avions les « commodités à mi-étage ».
Cet immeuble était une grande famille pleine de dissensions, de disputes et parfois de « liaisons » comme on disait aussi à cette époque ancienne.
Cette époque où on n’avait pas « une relation » mais où on était amoureux.
On n’avait pas non plus « une affaire », selon le point de vue on avait « une liaison » ou « on était cocu »…
Après la guerre on ne trouvait pas plus facilement d’appartement à Paris qu’aujourd’hui.
Mais c’était quand même moins cher…
Pense qu’aujourd’hui, un vingt-six mètres carrés à Paris c’est ça et ça coûte 830 € mensuels !
J’ai une quittance de loyer de notre logement, j’ai retrouvé ça dans les papiers de ma mère.
Mes parents payaient « 20,00 NF » par trimestre en 1964.
Soit, selon INSEE, la somme de vingt-sept €uros de 2016 par trimestre…
Il coûtait beaucoup plus cher de se nourrir et se transporter, la carte RATP hebdomadaire coûtait quelque chose comme « 3,00 NF » et le carnet de 2ème Classe « 3,70 NF ».
Mais on partageait des choses essentielles comme les œufs, l’huile ou les pâtes, qui manquaient régulièrement à partir du vingt du mois dans la moitié des logements.
Ainsi évidemment que tous les ragots de la rue…
10:59 | Commentaires (20)
mercredi, 06 décembre 2017
Johnny, reviens !
Je vous ai déjà parlé de mon père ?
Je crois…
La mort de Johnny me rappelle beaucoup de choses.
D’abord que ça arrache un des derniers pans de ma jeunesse.
Puis que si Johnny ne faisait pas partie de mes idoles, j’ai écouté avec plaisir des 33T prêtés par un copain que je m’étais fait « en colo » en 1962.
Assez bizarrement, je les lui avais rendus.
Ce copain s’appelait et s’appelle probablement encore Charbonnier.
Il m’avait prêté et j’avais eu d mal à lui rendre, trois disques « Les rocks les plus terribles ».
Comme beaucoup de mes copains de l’époque, les disques étaient souvent classés en trois catégories :
- Disques empruntés.
- Disques à rendre.
- Disques non rendus...
On ne s’était jamais vraiment demandé d’où venaient tous ces disques.
La source du financement pour ceux qui étaient achetés est restée inexplicablement fumeuse...
Mon père, donc était un homme patient et plutôt indulgent.
Il fallait bien…
J’ai appris avec effarement de ma grande sœur que notre logement que jusqu’aujourd’hui je disais « exigu » était en réalité minuscule.
Il fallait donc à mes parents une patience d’ange pour résister aux envies de meurtre que ne manquaient pas d’exister quand vous hébergez une tante, un oncle ou une grand’mère dans un deux pièces de 26 m² déjà occupé par deux parents et quatre enfants.
Pour en revenir à Johnny et à mon père, une autre des nombreuses fois où nous sommes descendus chez madame B.
Madame B. était la voisine du dessous, celle qui avait LA télé de l’immeuble.
Pour ce que je me rappelle, ce soir là, nous étions descendus voir cette émeute causée par un de ces « concerts yéyé » qui désespéraient les parents et enchantaient les ados.
Mon père est donc descendu avec ma sœur cadette et moi chez madame B.
Il a regardé l’écran quelque minutes, y a vu quelque chose de très différent de ce qu’il écoutait habituellement –il aimait bien Gilbert Bécaud et Leo Ferré-.
Au bout de quelques minutes il a secoué la tête.
Puis a commencé « Darwin avait parlé de… »
Il resecoué la tête et dit « Y a comme une évolution que se produit… »
Il a soupiré et achevé « mais laquelle ? »
Et il est remonté à la maison…
C’est là qu’on a compris que mon père était passé du côté des « croulants » comme on disait dans les sixties pour ne pas dire « vieux »…
N’empêche, « Les rocks les plus terribles », c’était super.
Mais ma mère n’a jamais voulu m’acheter le blouson en jean de Johnny.
Elle disait aussi des jeans « Ça serre trop, c’est mauvais pour la circulation et ça va rendre les garçons stériles ».
Après j’ai été bien content de mon blazer bleu marine et des mes « Newman ».
Oui, les filles qui me branchaient préféraient le « Newman », les mocassins et les blazers.
Mais, même si j’ai préféré Françoise Hardy, Johnny s’est quand même tiré avec une bonne part de nos jeunes années à tous…
10:55 | Commentaires (10)
lundi, 04 décembre 2017
Travaux d’aiguillette…
Étonnamment, le marquis arriva vers quatre heures alors qu’il avait depuis longtemps l’habitude de rentrer tard le vendredi.
Non qu’il sacrifiât de quelconque façon au rite de la confession hebdomadaire.
Il avait renoncé depuis longtemps à faire part au Très-Haut de ses écarts de conduite.
Il pensait que puisqu’il était omniscient et omnipotent, ce dernier était sans doute au fait de ses exactions et s’il avait dû être puni, il serait parti en fumée depuis longtemps…
La domesticité était absente, sans doute priée par la marquise de la laisser en paix comme il advenait souvent le vendredi.
Le marquis de C. monta donc précipitamment vers ses appartements pour avouer à la marquise qu’il venait de perdre aux cartes une des fermes de sa dot.
Il s’était préparé à se faire vertement rappeler que les dots n’étaient pas faites pour être jouées aux cartes aussi il tourna délicatement la poignée de la chambre de Madame la Marquise…
Las, il surprit le comte de L. en train de cultiver avec ardeur le jardin secret de la marquise.
Il toussota discrètement, arrachant un juron au comte de L. et un soupir de déception à la marquise de C.
« Vous avez de la chance, Madame ! C’eût pu être un domestique… »
Le comte se rajusta prestement, eut une brève inclinaison de tête :
- Bonne soirée Monsieur.
Se tournant vers la marquise, il ajouta :
- Serviteur, Madame…
Le comte sorti, le marquis haussa les épaules et leva les yeux au ciel.
La marquise rabaissa sa robe et ne dit rien…
- Tout de même, Madame, pensez à…
- Je ne pense pas Monsieur, vous êtes là pour ça !
- Tout de même mon amie, trouver le compte de L. en train de besogner un jardinet que je pensais secret ou qui du moins m’était réservé…
- Eh bien, voyez vous, l’arrosage régulier, c’est bien mais…
- Mais ?
La marquise ouvrit bien grand les yeux qui lui donnaient cet air angélique qui lui seyait si bien.
- Que voulez-vous mon ami, il faut bien de temps à autre y user d’un plantoir…
Le marquis soupira alors en se disant qu’une différence d’âge de trente ans détruisait plus sûrement l’amour-propre que les articulations.
Il claqua la porte et sortit d’un pas vif du château.
Oui, il était bien cinq heures quand la marquise eut fini d’effacer les traces du jardinage et de remettre de l’ordre dans sa tenue.
La marquise sortit à cinq heures.
Elle se hâta vers le château du comte.
Elle détestait les travaux inachevés…
07:08 | Commentaires (22)
dimanche, 03 décembre 2017
Les escaliers de la butte.
Non Mab, ils ne sont pas durs qu’aux miséreux…
On a eu Merveille et P’tite Sœur à la maison.
Nous sommes allés les chercher vendredi soir, et après le McDo, seul endroit (croyait-on) où P’tite Sœur trouvait quelque chose à son goût, nous les avons ramenées chez nous.
Évidemment, j’ai dû dormir sur le canapé.
Finalement, ce n’était pas plus mal.
Le respect des règles de la bienséance a parfois du bon.
J’en eus la preuve hier matin lors de la séance dite « câlin au réveil de Merveille ».
Hélas, les deux veulent un câlin de papy et de mamie.
Quatre dans un lit, ça fait beaucoup, surtout quand deux des quatre « gigotent comme un boisseau de puces » comme disait feue ma grand’ mère.
La journée fut joyeuse.
Nous avons emmené les petites au restaurant.
P’tite Sœur s’est révélée comme Merveille.
C’est-à-dire comme Heure-Bleue il y a quelques années.
Elles mangent comme les piafs.
On dit qu’elles picorent et on s’aperçoit avec stupeur que quand elles ont fini de picorer quelque chose qu’elles aiment, elles ont engloutit de quoi nourrir le Yemen pendant une semaine…
Après ça on a fait plein d’économies.
On a pris le 30 pour les emmener prendre le funiculaire jusqu’au Sacré-Cœur.
Il y avait tant de monde qu’il était impossible d’approcher le composteur.
Du coup on a grugé.
Puis le funiculaire était fermé pour on ne sait quelle raison.
Nous avons, Ventoline aidant, réussi à gravir les milliards de marches qui mènent en haut de la butte Montmartre.
Arrivés là-haut, le Sacré-Cœur fermait ses portes.
J’ai dit à la lumière de mes jours « on peut rentrer tranquillement à pied, arrivés place du Tertre, on prend la rue des Saules et on la descend jusqu’à la rue Caulaincourt et on prend la rue Lamarck jusqu’à la maison.
Merveille a dit « Chouette ! On va prendre la rue Tourlaque comme hier, elle est super en pente ! »
Hélas, les économies prévues se sont envolées parce qu’Heure-Bleue et P’tite Sœur ont vu le petit train, celui qui t’emmène a un train de sénateur au prix d’un TGV Paris-Marseille.
Le machiniste a oublié de nous descendre à côté de la rue Tourlaque.
Bilan, on est descendu du train au Moulin Rouge et on est allé à pied place de Clichy prendre le 95…
Alors, lectrices chéries, j’ai fait une découverte intéressante : Prendre le 54 en bas de la butte puis le 95, bus chauffés normalement, était vachement plus rentable qu’économiser trois tickets de bus et claquer vingt-deux €uros pour se geler les miches en faisant la moitié du chemin en plein vent…
Comme on était sur les genoux en arrivant à la maison on les a gardées une nuit de plus à la maison.
P’tite Sœur n’aime pas la soupe –la soupe d’Heure-Bleue est pourtant un chef-d’œuvre- et Merveille préfère le pâté au piment d’Espelette.
Mais on recommencera au printemps parce que c’était vachement chouette comme week-end.
J’ai goûté le Blanton’s ramené par Tornade, il est délicieux.
Franchement, c’était bien…
12:39 | Commentaires (14)
samedi, 02 décembre 2017
Ainsi parlait Zarathoustra, qui était hélas humain, trop humain...
J’avais prévenu Heure-Bleue qu’à s’acharner à montrer du doigt les billevesées qu’on entend ou lit à droite ou a gauche, elle allait s’attirer les quolibets des uns et les leçons des autres…
Je lui avais pourtant dit « attends-toi à des remous, lumière de mes jours ! »
Elle m’a dit « mais ils m’agacent tous ces faux-culs ! »
Je dois dire qu’il est agaçant de lire régulièrement sous le clavier des mêmes :
- Tous ces petits chats trop mignons.
- Tous ces éléphants esclaves à sauver du cirque.
Comme si un éléphant n’était pas capable d’écraser sous sa patte le cornac qui le maltraite une fois de trop…
J’allais oublier :
- Tous ces étrangers en situation irrégulière à expulser.
- Tous ces immigrés qui viennent nous voler le boulot qu’on n’a pas.
Les mêmes n’hésitant pas à ajouter, la contradiction ne les effrayant pas :
- En plus ils viennent profiter de notre chômage et bouffer avec nos allocs.
Sans oublier évidemment :
- Et tous ces migrants qu’il faut laisser se noyer, on n’a déjà pas assez pour nous, on peut pas, etc.
L’incohérence de leur discours ne les dérangeant pas outre mesure, ils vont jusqu’à jeter à celles ou ceux qui le font remarquer « on a quand même le droit de penser ce qu’on veut ! »
Celle qui vient de te parler du greffier « cromignon » juste avant de vouloir laisser le migrant se noyer avec son Zodiac te dit alors « mais tu vis dans quel monde de bisounours ? »
Des fois, ça me fait peur.
Je me dis que Sylvie de L. a raison qui se méfie de la propension à mesurer la vie en termes de rationalité.
J’aime beaucoup sa citation de cet extrait du bouquin d’Attali .
Bouquin qu’il a écrit en 1981 alors qu’il avait trente-huit ans.
« Dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte cher à la société. Je crois que dans la logique même de la société industrielle, l’objectif ne va plus être d’allonger l’espérance de vie, mais de faire en sorte qu’à l’intérieur même d’une vie déterminée, l’homme vive le mieux possible mais de telle sorte que les dépenses de santé soient les plus réduites possible en termes de coût pour la collectivité. Il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle se détériore progressivement. L’euthanasie sera un instrument essentiel de nos sociétés futures. » Jaques Attali in « L’avenir de la vie ».
Après nous avoir asséné cette belle leçon d’humanisme, je le pressens alors qu'il a soixante-quatorze ans aujourd’hui moins pressé d’expérimenter sur lui les bienfaits de l’euthanasie compassionnelle…
Au moins, Heure-Bleue et moi avons sérié sérieusement les problèmes en fonction de nos aptitudes respectives.
À moi les problèmes les plus lourds.
La faim dans le monde, les déséquilibres nord-sud, la défense de l’environnement.
À elle, les problèmes à sa portée, plus légers.
La cuisine, le ménage, la vaisselle.
La parité dans le partage des tâches est ainsi réalisée à peu de frais.
Mieux, l’égalité des sexes est atteinte sans qu’il soit besoin de modification de la langue et autres âneries qui ne tendent qu’à faire oublier que le chef, le seul, le vrai, c’est quand même celui qui peut pisser dans l’évier de la cuisine sans avoir besoin de monter sur une chaise.
Mon aveuglement est-il plus grand que celui de celles et ceux qui ne voient pas où veulent en venir tous ceux qui nous donnent des leçons de « logos » en prétendant que le « pathos » est coûteux et « l’ethos » inutile ?
Maintenant, déchaînez vous, lectrices chéries.
10:51 | Commentaires (16)