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dimanche, 12 août 2012

Les 55 jours de Pékin.

Ce samedi fut notre première « vraie » sortie ensemble.
Nous nous étions donné rendez-vous devant la mairie du XVIIIème et elle accepta mon bras jusqu’au croisement de la rue Ordener et de la rue des Cloÿs.
Au-delà, elle lâcha mon bras car elle craignait, me dit-elle, les ragots qui ne manqueraient pas d’être rapportés à ses parents qui tenaient, je l’appris alors, une boutique de je ne sais plus quoi –en fait si mais je ne vous le dirai pas-.

A part quelques moment intenses du film où elle me saisit le bras, le lâchant aussitôt comme si elle avait attrapé un tisonnier rougi, nous restâmes sur notre quant à soi.
J’espérai pour mon compte un rapprochement quand il s’avéra que Charlton Heston et Ava Gardner étaient victimes d’un coup de foudre féroce mais elle se contenta d’un soupir, vite réfréné.
Caramba ! Encore raté !
Cette jeune fille était vraiment trop farouche et je n’essayai même pas de lui prendre la main.
Mon moral remonta quand, à la sortie, elle me prit le bras. La crainte de la rumeur l’avait quittée.
Quelqu’un qui ne se précipite pas pour vous « rouler un patin » dans les moments d’émotion d’un film lui semblait digne de confiance.
Si elle avait su…
Quoique fille unique et de milieu un peu plus aisé que le mien, elle n’était pas vraiment plus argentée que moi et si nous pouvions aller boire un café sans trop de peine, nous ne pouvions rééditer l’expérience du cinéma trop souvent et sûrement pas toutes les semaines.
Elle semblait contente et dit avoir passé un bon moment mais avec un air gêné elle avoua qu’elle ne pourrait pas aller souvent au cinéma, son argent de poche n’y suffirait pas.
Je la rassurai d’un ferme « Ce n’est pas grave, on attaquera une banque… ».
Elle sourit, c’est dire si elle était indulgente…

Et c’est comme ça que nous commençâmes à arpenter les rues de Montmartre, avec une préférence pour le square Nadar, bien plus « intime » que les jardins du Sacré-Cœur et surtout beaucoup moins fréquenté.
Et c’est à ce moment que je commençai à apprendre presque tout ce qu’il y a à savoir des coins et recoins de Montmartre et une faible, très faible, trop faible, hélas bien trop faible partie des coins et recoins de l’âme féminine.
Nous traînions dans les rues, nous nous voussoyions toujours et elle était accrochée à mon bras.
Toujours pas de « tenage de main », je n’osai pas.
Oh, certes nous parlions, parfois difficilement, souvent facilement mais nous n’osions pas nous rapprocher plus.
Puis, un jour de beau temps, alors que nous étions un peu essoufflés par la montée des escaliers de la butte qui, contrairement à ce que dit la chanson, ne sont pas durs qu’aux miséreux, je dis une bêtise qui la fit rire de si bon cœur – c’est quelque chose que je réussissais assez bien alors- qu’elle me déposa un baiser sur la joue.
C’était juste un réflexe affectueux mais il nous laissa interdits et immobiles face à face.
Nous fîmes semblant de rien et marchâmes encore un moment, elle me reprit le bras mais cette fois je lui pris la main.
Et je ne me fis ni jeter ni gifler.
Pour nous remettre de ce trop plein d’émotions nous redescendîmes rue Caulaincourt dilapider nos maigres sous devant un café.
Dans le box encore disponible, nous osions à peine nous regarder. Tout était brutalement devenu différent, nous continuions à nous voussoyer mais en fait nous étions paralysés de trac.
Nous étions encore assis face à face mais elle retira sa main lorsque je tentai de la lui reprendre.
Je me demandai quel impair j’avais encore commis car je suis un grand spécialiste de l’impair…

Elle but une gorgée de café, me regarda sérieusement, me jaugea –j’eus peur- et repris ma main.
Elle avait juste un peu d’inquiétude dans le regard, pas un sourire, rien, juste cette inquiétude.
Je suis sûr que tous les clients du café ont été dérangés à ce moment là par le vacarme des battements de mon cœur…

samedi, 11 août 2012

En haut de la rue Saint Vincent, un poète et une inconnue, etc.

Pour la suite, voyez Patachou ou Cora Vaucaire...
Je passai donc et repassai rue Saint Vincent.
Je suis sûr que cette année-là les pavés de la rue ont perdu au moins deux millimètres en épaisseur, rien qu’à cause de mes pérégrinations.
Je rêvai éveillé du moment où je lui proposerai d’aller au cinéma, le vrai rêve étant qu’elle accepte…
Dans ce but, j’avais été un fils particulièrement attentionné et pour tout dire franchement servile avec ma mère.
J’étais prêt à tout pour gagner un peu de sous, suffisamment du moins pour pouvoir sortir, grand seigneur, le prix de deux places de cinéma.
Et, ne soyons pas mesquin, celui de deux cafés.
Prêt à tout sauf à rester à la maison l’après-midi histoire de ne pas la manquer si…
des fois...

Ça ne paraît pas mais récupérer huit à dix francs n’était pas si facile.
Surtout les obtenir de ma mère, dont le porte-monnaie était principalement peuplé d’une ménagerie de scorpions et de hérissons.
Je pourrai vérifier plus tard que la vente de matériel Hi-Fi dans une boutique du XVIIème pendant les vacances était nettement plus rentable…
Quasiment une semaine de travail acharné et de traînage de pieds d’un air désenchanté dans le quartier !
Enfin, le quartier… Il se limitait en fait à la rue Saint Vincent. Et plus exactement les cent mètres de la rue Saint Vincent et les cent mètres de la rue Caulaincourt que j’arpentai avec constance.
Je pouvais citer toutes les boutiques et maints détails de ces deux cents  mètres de rue.
Dieu que cette semaine fut longue… Et triste…
Je commençai à désespérer de la revoir, et ma mère de revoir le mouchoir –elle en demandait des nouvelles de temps en temps-.

Je ne me rappelle plus la date, seulement le jour, un mercredi, où nous passâmes au même moment dans les mêmes deux cents mètres.
Mon pauvre cœur, déjà malmené, éclata en au moins six morceaux dans une poitrine sur le point d’exploser.
A ma grande surprise, elle parut d’abord interdite puis me sourit, un sourire éclatant qui assombrit le soleil pendant trente secondes au bas mot.
Cette fois-ci, je me lance, juré craché ! Je lui demanderai de m’accompagner au cinéma.
Elle allongea le pas et, toujours souriante, me serra la main en me disant « Je suis désolée, j’ai encore oublié votre mouchoir ».
Je dois avouer que si elle s’était précipitée en me tendant un mouchoir, j’aurais été effondré…
Ce mouchoir servit longtemps, ce fut un mouchoir inusable, le seul mouchoir inusable et invisible que j’aie jamais connu…
Nous entrâmes au café, « the café », allâmes dans un des boxes, nous y assîmes face à face une fois encore et je commandai nos cafés.

Nous conversâmes un long moment tandis que nos cafés refroidissaient –je crois n’avoir pas bu un seul café chaud dans ce café- et  notre conversation porta beaucoup, pour ce que je me rappelle, sur le cinéma. Les leçons prises auprès de mes amis du lycée me furent profitables qui me permirent de ne pas passer pour un bête amateur de castagne sur grand écran.
Si je ne détestais pas un western ou un « peplum » elle avait une prédilection pour les films dits « sérieux » et le fait de pouvoir lui parler de « Hiroshima mon amour » comme quelqu’un qui non seulement l’avait vu mais avait été passionné joua en ma faveur.
Comme elle, j’aurais aimé voir « Le Mépris » mais il était « interdit aux moins de dix-huit ans » selon la formule de l’époque.
Pour être tout à fait honnête, je pense que nous ne voulions pas voir « Le Mépris » exactement pour les mêmes raisons, non que l’intrigue ne m’intéressât pas mais l’idée de voir Brigitte Bardot en tenue d’Eve me tentait…
Elle accepta d’aller avec moi au Montcalm qui donnait en matinée « Les 55 jours de Pékin ».

jeudi, 09 août 2012

Reprenons…

Une fois la douleur atténuée, elle reprit sa main ce qui arracha dans l’instant un large morceau de mon cœur.
Nos cafés, de froids étaient redevenus tièdes, je ne sais pas si c’est à cause de la chaleur d’août ou d’avoir été tenus si longtemps dans nos mains.
Nous parlions de choses et d’autres. Surtout d’autres.
A part nos prénoms et où nous allions au lycée, nous dîmes peu de choses sur nous.
Nous savions tout juste, au bout de cette demi-heure, que nous habitions le même quartier et aimions Montmartre et le cinéma.
Elle aimait bien le Montcalm, j’évitai donc de lui parler de « l’Ornano 43 », nettement moins reluisant et pour tout dire pas toujours fréquentable –lors du baiser final, le spectacle était souvent dans la salle et les gauloiseries particulièrement solides-…
De fait je vivais dans un quartier de voyous et ma mère prenait garde à nous éviter la contagion langagière et comportementale, à coups de conseils souvent, à coups de câlins fréquemment mais surtout à coups de taloches.
Je sortis mes pièces –dans un geste léger qui, sur le coup, me parut naturel, c’est dire l’effet qu’elle me faisait- et les donnai au cafetier.

Elle se leva, me tendit la main, la bonne, pas celle que j’avais maltraitée, me dit merci et partit vers la sortie.
Je la suivis, ne sachant quoi dire –ce qui est rare chez moi-  ni surtout quoi demander.
Mon don de baratineur, celui qui suscitait l’envie –et parfois la jalousie- de mes camarades, m’avait abandonné.
Cette fille m’avait rendu muet ! Moi qui ne reculais devant aucune ânerie,  aucune flatterie du moment qu’elle était proférée à bon escient, j’avais la bouche cousue.
Je me jetai à l’eau –ce qui n’est pas un exercice si facile sur la rue Caulaincourt, croyez-moi- et osai un timide « vous repasserez par ici ? ».
Je m’attendais à un refus poli, voire « je pars demain avec mes parents » expression favorite des filles ces temps-ci.
En fait j’eus droit à un sourire timide et à « Et votre mouchoir ? Vous me le donnez ?».
Elle ajouta « Nous devrions nous croiser encore, je passe souvent rue Saint Vincent. »
Soit il ne lui vint pas à l’esprit de me rendre à l’instant un mouchoir taché, soit elle avait dans l’idée de ne pas rater une occasion de sortir avec un type aussi extra que votre serviteur.
Par un excès de prudence inhabituel chez moi, je penchai pour la première explication…
Nous n’avions le téléphone ni l’un ni l’autre ni ne savions où habitait l’autre, ce qui limitait sérieusement les possibilités de communication à distance.
Et le plus inquiétant était que nous n’y avions pensé ni l’un ni l’autre.
Deux têtes de linottes, nous devions penser à autre chose.
Je passais le lendemain, puis le surlendemain.
L’espoir fait peut-être vivre mais il fatigue quand il dure…
Je dus pendant les deux jours suivants aider ma mère, ce qui me permit de restaurer une fortune salement entamée par deux cafés.
Le quatrième jour, un lundi, je repassai rue Saint Vincent.
Je la descendis lentement du Sacré-Cœur jusqu’à la rue Caulaincourt puis la remontai jusqu’à la rue du Chevalier de la Barre –mort à dix-huit ans pour n’avoir pas salué une procession-.
Je fis trois fois le voyage. Le pas un peu plus las à chaque fois, non que ce fut la fatigue, à quinze ans on ne s’épuise pas si facilement, non, juste la tristesse.
Pas celle d’avoir perdu un mouchoir, seule ma mère en était attristée. J’étais triste d’une fille qui me manquait depuis trop longtemps.
Je descendis de nouveau la rue Saint Vincent jusqu’à la rue Caulaincourt et m’apprêtai à regagner tristement mes pénates en traînant les pieds de désespoir lorsque je la vis.
Elle faisait les cent pas devant « the » café et me tournait le dos.
Du coup, mon pas redevint alerte, elle fit demi-tour, sourit et dit seulement en me tendant la main  « J’ai oublié votre mouchoir… ».
C’est à ce moment seulement que je remarquai que nous nous voussoyions.

Habituellement je prête peu d’attention au sort des mouchoirs mais je fus heureux qu’elle me donnât encore une chance de la revoir.
Au moins celle de récupérer mon mouchoir…
Et toujours pas de rendez-vous et toujours « je passe souvent rue Saint Vincent » et toujours elle me serrait la main en partant et toujours elle me manquait à peine sa main lâchée.

Rien n'est simple...

Et parfois tout se complique, comme dit Sempé...
Je me demande si Heure-Bleue ne ressent pas une pointe de jalousie retrospective à la lecture de mes notes.
J'ai beau lui dire que toutes ces jeunes filles sont aujourd'hui à la retraite, m'ont probablement oublié -ce qui a un je ne sais quoi de blessant-.
Elles sont mariées, ont des enfants que je ne leur ai pas faits. Infidèles va...
Dans tous les cas, elles ne sont, comme moi, plus rien de ce qu'elles étaient.
Nous avons mal partout alors que nous n'avions mal qu'au coeur.

Bref, le temps est cruel...

Mais je continuerai tout de même mon récit, je n'ai jamais reculé devant l'adversité, je ne vais pas commencer aujourd'hui !
Quatre décennies avec Heure-Bleue, ça vous forge un caractère...

 

mercredi, 08 août 2012

Et puis que...

Borgne peut-être mais pas aveugle et même avec un regard assez acéré pour ce genre de chose, je remarquai de suite que c’était une jolie fille aux yeux clairs et aux cheveux châtains.
Ô merveille, elle évitait aussi cette coiffure que je détestais chez mes sœurs, coiffure dite « choucroute ».
A la maison, cette « choucroute » faisait des histoires depuis quelque temps.
Parce que la « choucroute », c’est assez aisé à faire, il suffit de crêper les cheveux et de les recouvrir avec des cheveux « normaux », c'est-à-dire épargnés par l’embrouillamini du dessous.
En revanche, le décrêpage donnait lieu à des grincements de dents, de mes sœurs piaillant « ça tire ! », de ma mère qui passait son temps à nettoyer les brosses et ramasser les cheveux par terre puis de mon père qui passait trop de temps à son goût à déboucher l’évier…
Et puis je trouvais ça assez laid. Voilà.

Cette jeune fille avait des cheveux souples, mi-longs, atteignant tout juste ses épaules et sacrifiait tout de même à la mode de la frange.
J’avais, quant à moi la chance d’avoir pu convaincre ma mère que pour le lycée, sa coupe préférée pour les garçons, coupe dite « court devant, ras derrière et bien dégagé autour des oreilles », ne convenait pas.
Je n’avais donc pas les cheveux longs, la mode « beatnik » n’était pas encore de mise, mais je n’avais pas non plus la coupe « bidasse » défaut rédhibitoire chez tout garçon à la recherche de l’âme sœur.
J’avais déjà beaucoup de sœurs, manquait encore l’âme…
En revanche,
les séquelles de mon expérience aérospatiale m’avaient laissé avec un je ne sais quoi de flou dans la direction du regard.
Il me fallait donc détourner rapidement l’attention vers d’autres aspects de mon intéressante personne.
J’en gardai l’habitude du badinage…
Cette jeune fille, qui me dit s’appeler Danièle, « avec un « e » accent grave ! » insista-t-elle, me regardait franchement et avait quant à elle ce regard pers auquel je n’ai jamais pu résister.
Ce regard chez les femmes, m’attire encore et toujours aujourd’hui…
Quant à sa peau, que voulez-vous que je vous dise, elle avait la peau d’une jeune fille de quinze ans qui ignorait l’existence du mot « acné », et même qu’il pût y avoir des boutons sur une peau…
D’une pâleur et d’une transparence qui me donnent encore chaud aujourd’hui.
A y réfléchir, dès que l’œil et la peau féminins s’éclaircissent, je ne peux résister…
Et, le sort faisant merveilleusement les choses, elle avait un visage aux traits aigus, au nez aquilin et à la bouche délicate, véritable cerise pâle que j’eus envie de croquer sur le champ.
En garçon bien élevé, je me gardai bien de me ruer comme un affamé et laisser le champ libre à mes envies.
De fait, je me disais surtout que, mat de peau, noir de cheveux, l’œil brun et le regard quelque peu divergent, je n’avais aucune chance d’intéresser cette jeune fille et encore moins d’être aimé d’elle.
Avec un discernement plutôt rare chez moi qui n’ai pas peur de grand’ chose, je me disais que mes chances de succès étaient plus que maigres voire inexistantes.
Devant nos cafés qui refroidissaient, je regardais une merveille.
Et celle qui m’attendait au Sacré-Cœur m’était totalement sortie de l’esprit...