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jeudi, 24 janvier 2013

La conscience.

Non, je n’avais pas encore d’enfants, pas même vêtus de peaux de bêtes.
J’étais échevelé mais pas très livide, plutôt mat, quoique, quand c’est arrivé...
Mais l’œil était déjà dans mon lit et regardait Le-Goût.
Je vous ai déjà parlé vaguement, très vaguement, vraiment très vaguement, d’un épisode de ma vie lycéenne dont j’ai encore honte aujourd’hui.
Un de ces épisodes de ma classe de quatrième que j’ai du mal à vous relater aujourd’hui.
Nous avions un professeur de lettres, le meilleur professeur de lettres que j’aie jamais eu.
Ce pauvre homme avait à nous faire progresser dans trois langues, le français, le latin et le grec.
Je vous laisse imaginer le travail de Romain que peut représenter le maintien du calme dans une classe de plus de trente-cinq élèves, pas tous sages, quand on doit leur faire entrer dans le crâne les mystères de Tite-Live, Salluste ou Euripide en V.O.et même Aristophane - non, on n'a pas eu droit à Lysistrata, fallait pas rêver, nous eûmes « Les Guêpes »...- 
Il y parvenait assez bien grâce à un talent, que je crois inné, pour intéresser les garnements.
J’ai encore dans les oreilles et les yeux, les sons et les images de ce cours au cours duquel il m’apprit que « contrairement à ce que pensent les journalistes, on ne dit pas « les meursss » on dit « les mœurs » et non messieurs, on ne prononce jamais le « s » de « mœurs », n’oubliez jamais cela ! C’est extrêmement agaçant ! De même, on ne dit pas « la jingle », on dit « la jongle » ! C'est compris ? »
Oui, il en voulait souvent aux journalistes, soit qu’ils parlassent à la radio, soit qu’ils se prissent pour des écrivains dans les journaux.
Le seul qui semblait avoir droit à quelque considération écrivait une chronique dans le Figaro.
Sans doute considérait-il qu’un prix Nobel était la garantie que François Mauriac était bien un écrivain.
Ses cours était suivi dans un silence religieux tellement nous y étions attentifs, contrairement aux cours d’Histoire où le calme régnait pour cause de sommeil profond…  
Hélas, ces garnements, qui aimaient tout de même leurs professeurs –sauf les professeurs de dessin et de musique comme d’habitude- étaient déjà soumis aux mouvements hormonaux qui gâchent la vie des élèves et celle des enseignants.
Parmi ces garnements on comptait, hélas pour la victime, votre serviteur.
Cette causticité réclamée par certaines dans leurs commentaires, cet humour que votre indulgence pousse à me prêter dans des accès de générosité coupable, me firent inspirer la pire et la plus cruelle des farces.

Que je vous dise, le professeur dont je vous parle, pour extraordinaire qu’il fut dans son domaine, était bancal et souffrait des séquelles d’un accident ou peut-être un pied bot.
On n’a jamais su exactement, mais ça le faisait boiter bas et lui valait le surnom de « Pédalo ».
Vers la fin de l’année, en juin donc, avec l’à-propos que vous me connaissez j’instillai savamment l’idée d’un cadeau à ce professeur.
Le lundi lendemain de la Fête des Pères me semblait tout indiqué comme date de remise.
Et les quelques bandits de mon entourage de se demander ce qu’ils pourraient bien faire comme farce de fin d’année, quelque chose qui corsât leurs souvenirs de quatrième, du solide, quoi.
Et c’est là que l’idée la plus épouvantable qui soit vint à votre Goût préféré.
Je glissai dans la conversation « Une botte de cow-boy et un chausson, histoire de le remettre droit… » avec un sourire en coin.
Je pensai alors qu’il ne s’agissait que d’une boutade qui serait aussi vite oubliée que hâtivement proférée.
Persuadé que personne n’oserait faire une chose pareille, j’oubliai moi-même rapidement cette idiotie.
Erreur tragique ! Ils osèrent !
Le professeur, voyant le paquet cadeau sur le bureau, eut un sourire bonasse, semblant heureux que ses élèves aient pensé à le remercier.
Il ouvrit le paquet.
Et il resta muet, avec un terrible air de souffrance.
C’est alors que je fus submergé par une vague de honte que je ressens encore aujourd’hui.
Il sortit de la classe et ne revint que deux jours plus tard.
Pour nous faire un cours sur la cruauté des Carthaginois menés par Hannibal.
Et en latin, sa V.O. à lui, s’il vous plaît.
Il prit un malin plaisir à nous donner une version à rendre le vendredi sur la façon dont tournèrent les fameuses délices de Capoue pour les soldats d’Hannibal.
Nous fûmes tous, à défaut d’enthousiastes, particulièrement studieux mais surtout des anges de discipline.
Aujourd’hui encore, bien que l’ayant eu pendant deux années consécutives en lettres, je ne sais pas s’il a réussi à nous pardonner.
Et j’ai toujours honte quand j’y pense…
Je crois même que je rougis en mettant le point final de cette histoire.
 

Commentaires

C'est le problème quand on aime faire rire, on est parfois capable de vendre père et mère pour un bon mot.

Écrit par : Berthoise | jeudi, 24 janvier 2013

L'oeil est toujours dans la tombe et regarde le cruel enfant qui a du mal à grandir.

Écrit par : mab | jeudi, 24 janvier 2013

Je crois que mon prof de lettre , l'abbé X nous l'aurait fait sentir encore plus durement.

Mais lui était beau gosse et jouait au foot avec nous ! Mais en classe, pas un mot de travers, que ce soit en français, latin ou grec et en plus musique.....

Il savait être cinglant, quand il s'énervait, le fils de rital.. Et oui Rossi mais pas Tino ...

Bonne journée amicalement

Écrit par : patriarch | jeudi, 24 janvier 2013

Et tu ne lui as pas fait une lettre d'excuse , tu avais trop honte , cruel va !

Écrit par : Brigitte | jeudi, 24 janvier 2013

la cruauté n'a pas de limite...et il n'y a même pas l'excuse de la jeunesse!!! j'espère que tu auras la honte jusqu'à la fin de ta vie et tes potes aussi!!! même s'il y a prescription pour ce pauvre homme qui n'est plus en vie je pense...je trouve que la punition a été gentillette...j'aurais étais bien plus mauvaise à sa place...y en a t-il un au moins qui est allé lui présenter des excuses...? toi par exemple...? l'instigateur....? grrrrrrrrrr

Écrit par : mialjo | jeudi, 24 janvier 2013

quel surmoi délicieux as-tu le Goût. Après toutes ces années être encore tiraillé par cette histoire je trouve cela fabuleux ;-) . En tout cas ta malice avait bon goût !

Écrit par : Rivka | jeudi, 24 janvier 2013

Les malicieux ne se rendent pas toujours compte que leur malice peut faire mal !
Mais la leçon a du porter.. puisque que cet épisode reste à ce point gravé dans ta mémoire...

Écrit par : Teb | jeudi, 24 janvier 2013

Et moi, j'aime que tu t'en souvienne avec autant d'acuité...
Ce qui ne t'empêche pas (à te lire) d'être malicieux :-)

Écrit par : Teb | jeudi, 24 janvier 2013

La patience n'est pas mon fort... je pensais mon premier com perdu... pffff
Remarque, tu en as deux pour le prix d'un :-)

Écrit par : Teb | jeudi, 24 janvier 2013

Tu peux.....

Écrit par : C - Jane | jeudi, 24 janvier 2013

l'oeil est sûrement dans la tombe maintenant , et te regarde...

Écrit par : liliplume | jeudi, 24 janvier 2013

Eh oui Lili, depuis, je vais Caïn-caha...

Écrit par : le-gout-des-autres | jeudi, 24 janvier 2013

J'ai mal au plexus en te lisant. Mais vous fîtes profil bas apparemment en fermant vos bouches et en ouvrant vos coeurs. Toi au moins, puisque la brûlure se fait encore bien douloureuse si longtemps après. Je n'ose imaginer la sienne... Mais ce n'était qu'une blague d'enfant... et parfois ce qu'on entend au fond des salles des maîtres me fait frémir, voire vomir. Alors....

Au moins auras-tu appris... la finesse du souvenir, la sincérité du sentiment, que la malice doit faire rire les deux protagonistes?

A moi, cela a fait passer un chouette moment.....

Ciao! Au plaisir de te croiser au coin d'un brin d'herbe!

Écrit par : Mme Farfa | jeudi, 24 janvier 2013

Oh mais comme c'est laid d'avoir fait ça !!! je me doutais bien que tu faisais partie de la bande de garnements mais quand même !!! Bon, ça te reste sur la conscience, c'est déjà un bon point et un grand pas vers la rédemption !!

Écrit par : ysa | jeudi, 24 janvier 2013

eh! oui! c'était vache, mais tu étais jeune, et puis, il y alongtemps, il y a prescription !
Allez, faute avouée est à moitié pardonnée, et nous, tes chères lectrices on te pardonne l'autre moitié!

Écrit par : emiliacelina | jeudi, 24 janvier 2013

Il nous reste toujours un goût amer de notre cruauté. Mais cela ne suffit pas pour retirer l'épine que l'on a planté. Bandes d'affreux sans coeur!

Écrit par : seringat | jeudi, 24 janvier 2013

comme le disait ce bon Jean de La Fontaine : "Cet âge est sans pitié" la seule question à se poser et qui vaille pour tous : Le jeune garçon (fille) que j'étais, reconnaîtrait-il l'homme (la femme) que je suis. L'inverse est sans honte...

Écrit par : Jeanmi | vendredi, 25 janvier 2013

Même pas vêtus de peaux de bêtes,
donc ils ne pouvaient braver la tempête!?

Écrit par : livfourmi | vendredi, 25 janvier 2013

Les enfants sont des êtres cruels....Nous avions un frère qui a eu la polio...Ses grands-frères et soeurs le protégeaient au primaire...Au collège, je ne sais pas si les autres enfants se sont moqués de lui...
Je pense que tu as appris à tes enfants à ne jamais se moquer de quelqu'un de différent...C'est ce que j'ai fait avec mes enfants....

Je vois d'ici la tête de ton prof...C'eusse été bien, qu'ados, certains lui aient envoyé un mot d'excuse..

Écrit par : juju | samedi, 26 janvier 2013

Déjà écrit plus haut, oui "cet âge est sans pitié".

Vous m'en avez tiré les larmes... (le sourire devant le cadeau - je suis très bon public).

Enfin, si vous eûtes l'idée, vous ne fûtes pas à sa réalisation, ce qui est une consolation. Tout comme votre contrition qui perdure - je me réconforte moi-même, car j'ai aussi d'affreux souvenirs bien culpabilisants.

Je me souviens moi aussi, non pas d'un prof mais d'un pion (oui on causait comme çà dans mon lycée des sixties, un des tout premiers à être mixte !) claudiquant, surnommé "tic-tac", ou bien "ferry", selon les promos. Parce que "ferry boate" bien sûr...
Hmm pas fière...

Vale M. le Goût.

Écrit par : ag. | lundi, 28 janvier 2013

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