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mercredi, 13 février 2013

Les déesses de marbre et les héros d’airain.

La galerie des antiquités grecques et romaines était, contrairement à la Grande galerie, plutôt encombrée, pas de visiteurs mais de statues. Si la majeure partie des œuvres était placée contre les murs, un grand nombre était placé, semble-t-il, au hasard sur la surface de l’immense salle.
J’appréciais ce désordre apparent et y déambuler avec elle était agréable.
Nous marchions côte à côte et si elle avait lâché mon bras en entrant dans la salle, elle restait à ma hauteur et nous échangions nos impressions.
De temps en temps, elle posait sa main sur mon bras pour attirer mon attention et ça n’attirait pas que mon attention…
En 1966, le Louvre n’était pas encore climatisé et au bout de deux heures environ, elle eut chaud, trop chaud.
- Ça ne vous ennuie pas de sortir ? J’ai vraiment trop chaud maintenant…
Je venais de contracter, sans le savoir, un abonnement aux « filles qui ont trop chaud », été comme hiver, un abonnement que je n’ai jamais pu résilier.
Cet abonnement qui comporte une clause abusive qui dit, en tous petits caractères « tu ne colleras pas ta petite camarade sous peine de coup de pied ».
Bien qu’hésitant à signer l’abonnement,  je cédai « Si vous voulez, on peut aller aux Tuileries, je nous achèterai des glaces. Je ferai même attention à ne pas me faire de taches… »
Elle eut une moue dubitative et, après m’avoir considéré de haut en bas, ajouta « Vous croyez ? Je suis sûre que vous n’avez même pas vu que vous avez une trace de cirage rouge sur cette jambe » et, joignant le geste à la parole elle donna de sa ballerine un léger coup à mon mollet gauche.
Il y a des jours comme ça, on croit que tout est merveilleux mais non… Ça avait commencé avec un flagrant délit de dépoussiérage, ça continuait avec une tache de cirage.
Si ça continuait, elle allait me punir, m’envoyer au coin…
Cette fille avait un œil d’aigle et un jugement féroce. Qu’est-ce qui m’avait pris, bon sang !
Nous atteignîmes enfin la sortie. Dans la cour, elle me reprit le bras et je fis comme si je n’étais pas fier comme Artaban d’avoir cette fille à mon bras, histoire de ne pas éveiller de jalousie d’autres jeunes gens.
Au bout de quelques pas, elle s’arrêta et me regarda.
- Vous venez d’où ? De quel pays ?
Allons, bon, me voilà étranger maintenant…
- De Paris, j’y suis né.
- Ah ? Je vous pensais d’ailleurs, plutôt… méditerranéen…
- Mon père est né en Algérie.
- Vous n’avez absolument pas « l’accent » !
- Vous vous attendiez à quoi ? A « Bijor mad’mazelle, ti vo bion aller à mousée avec je ? »
C’est là que ça a failli tourner court et m’obliger à un autre séjour à La Casita…
Je haussai les épaules et dégageai mon bras du sien. Elle se tut, terriblement gênée.
Je n’avais pas envie d’expliquer encore une fois à qui que ce soit, que même s’il n’y a pas de mal à ça, non, je ne suis pas un Arabe, du moins pas à ma connaissance, que je me contentais d’être très brun, d’avoir la peau mate, les yeux très bruns, une barbe « à contrôle au faciès » et de grandes oreilles.
J’avançai lentement, la tête baissée du type qui fait la gueule. D’ailleurs je la faisais.
Elle me reprit le bras « Je suis désolée, allons ne soyez pas fâché, ce n’était que de la curiosité ! »
Un peu plus loin, elle tira sur mon bras et ajouta  « Dites moi un peu ce que je ferais là avec vous, sinon ? »
Je ne dis rien, ce qu’elle m’avait dit me rasséréna un peu et je ne lâchai pas son bras, faut pas exagérer non plus.
D’abord, toute occasion d’être près d’elle était bonne à prendre.
Je me détendis et elle parut le sentir car elle pressa un peu plus mon bras.
Il nous fallut du temps pour traverser la place du Carrousel, envahie par la circulation.
Il y a, aux Tuileries, un bassin oblong perpétuellement vide où trône une statue, un endroit peu fréquenté où il y a toujours de l’ombre, des chaises disponibles et la proximité de la Seine qui y maintient une certaine fraîcheur.
Je l’entraînai donc là, amenai deux chaises et m’en allai chercher des glaces.
A ma surprise, elle était toujours là et m’attendait quand je revins.
Elle dégustait sa glace comme les chats la crème, à petits coups de langue brefs.
Moi qui n’ai jamais trop chaud et ne transpire que peu, j’allais me mettre à avoir trop chaud et fondre si je continuais à la regarder.
J’étais si occupé à l’admirer en coin que je ne dus qu’à un réflexe de m’épargner l’atterrissage de ma boule de glace sur les genoux…
Ma glace dans le sable de l’allée la fit pouffer « Vous êtes toujours comme ça ? »
Histoire de retarder un peu la veste qui me guettait, j’évitai astucieusement le « toujours quand je vous vois… » que je remplaçai par un haussement d’épaule désolé.
Quand elle eut fini de rire, elle tendit le bras « Vous voulez un peu de ma glace ? »
Comme je ne voulais pas gâcher le goût de la trace de ses lèvres avec de la vanille, je déclinai poliment…

Commentaires

A lire ce que tu écris, et voir le point de vu d'un homme pendant un "date", c'est plutôt impressionnant de constater que nous sommes si peu conscientes, de tout ce qui tournent dans vos cerveaux et un peu plus bas ( mais ça aussi c'est contrôlé par le cerveau alors ...) !

Écrit par : Rivka | mercredi, 13 février 2013

pinaise, j'ai lu les trois derniers aticles d'un coup...hier j'étais malade comme un chien j'ai pas pu passer...
Bijor mad’mazelle, ti vo bion aller à mousée avec je ? » à sa place j'aurais éclaté de rire...mais bon j'étais pas à sa place, je pense qu'elle manquait un peu d'humour la Miss...je me demande bien comment tu vas t'en sortir...lol...

Écrit par : mialjo | mercredi, 13 février 2013

alors! Oui ? tu vas enfin prendre de l'assurance ? Enfin , quoi! tu la valais bien ! Fonce !!!
Arrête de nous faire languir!!

Écrit par : emiliacelina | mercredi, 13 février 2013

Héros d'airain, excellent l'éreinté!

Écrit par : mab | mercredi, 13 février 2013

Eh ! Emilia-Celina ! J'aurais voulu t'y voir !

Écrit par : le-gout-des-autres | mercredi, 13 février 2013

nous attendons la suite...

Écrit par : liliplume | mercredi, 13 février 2013

En fait, t'es gauche des deux mains !! la suite.... la suite....

Écrit par : Ysa | mercredi, 13 février 2013

Quelle mémoire, quelle mémoire ! On s'y croirait...On sent le vécu....Comment peux-tu te rappeler la couleur de ton pantalon (quoique, des pantalons de velours vert, ça ne peut s'oublier...Sais-tu que nos pantalons vifs, vert pomme, orange, jaune vifs se vendent comme des petits pains, achetés par des parisiens, vrai de vrai)....

J'aurai bien aimé lire une histoire de St Valentin par un jeunot de 17 ou18 ans...

Écrit par : juju | jeudi, 14 février 2013

juju, pour la mémoire, je l'avais déjà dit là:
http://le-gout-des-autres.blogspirit.com/archive/2012/07/27/un-voyeur-bien-indiscret1.html

Écrit par : le-gout-des-autres | jeudi, 14 février 2013

mon pôôôvre!!! Si tu m'avais vue !!! Je n'osais même pas soutenir son regard !!!
Je file voir la note que tu conseilles à juju!

Écrit par : emiliacelina | jeudi, 14 février 2013

mais, oui ! Mais c'est bien sûr! Je t'avais lu et commenté ! ...........avec plaisir !

Écrit par : emiliacelina | jeudi, 14 février 2013

Les commentaires sont fermés.