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lundi, 21 janvier 2019

L'intelligence artificielle...

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"Au lieu donc de me laisser aller au désespoir, j'ai pris le parti de mélancolie active pour autant que j'avais la puissance d'activité, ou en d'autres termes j'ai préféré la mélancolie qui espère et qui aspire et qui cherche à celle qui, morne et stagnante, désespère."


Je le savais !
Je le pressentais !
Tout ce monde et son fonctionnement n’était fondé que sur une gigantesque escroquerie à l’échelle de l’humanité !
Tout ce tri ! Depuis la naissance.
Un tri impitoyable qui ne cherchait que « les meilleurs », ceux sauraient continuer la tâche, perpétuer l'escroquerie..
Plus exactement qui sauraient la faire perpétuer par d’autres, par ces esclaves perpétuellement consentants.
Ça m’est venu d’un coup en regardant le marais qui s’éveillait doucement.
Lui était comme moi, brumeux.
Lui de l’eau calme et un peu sombre, moi de la cervelle et un peu gris.
Non, que j’aie bu mais je n’avais pas l’habitude de tant de calme, de sérénité.
C’est probablement pour ça que, contrairement à mes habitudes de déconneur, je me suis mis à penser.
J’ai simplement pensé un peu à la marche du monde.
À ce bled paumé où je suis venu, à la recherche du temps passé, pas du temps perdu, non, du temps passé.
Ce temps où les gens du coin s’encrassaient les éponges chez Hutchinson parce qu’il fallait bien nourrir la famille.
Je sais bien que la colère est stérile et aussi inefficace que geindre alors je me suis concentré sur la peinture de ces eaux sereines et vaguement brumeuses.
J’attendis, comme quand j’étais gamin, le gloussement des poules d’eau.
Apparemment, la pollution les avait éliminées, comme les robots avaient éliminés les  emplois.
Maintenant le bled dormait.
Non, il ne dormait pas, il était anesthésié.
Plongé dans un coma thérapeutique à coups de jeux sur TF1 et de « p’tits jaunes ».
Tout cela sous la protection  tutélaire d’un Etat lointain qui avait délégué à la CAF la gestion d’une pauvreté croissante qu’on saupoudrait de vagues primes.
On en était même arrivé à persister à appeler « relations humaines » des services où un ordinateur choisissait lui-même le candidat qui serait embauché, le prochain rouage…
J’ai eu un accès de mélancolie, si ce n’est de nostalgie quand j’ai entendu le gazouillis du petit bras de la rivière, celui qui maintenait tant bien que mal le niveau de l’étang.
Une vague sensation de nostalgie quand j’ai revu le goujon s’agiter au bout d’une ligne  que j’avais reposée il y a plus de six décennies.
Je me suis dit « merde ! Mais jusqu’où va-t-on s’effondrer ? On en est arrivé à créer des machines pour prouver qu’on ne sert à rien ! »
J’ai failli céder au désespoir mais comme ce n’est pas mon « trip », c’est plutôt une sourde rage, tout aussi inefficace, qui m’a saisi.
Ah ! Qu’il était facile et confortable de se plonger dans la lecture de Descartes, Pascal et autres Alain.
C’était tellement plus facile de régler le monde grâce à l’illusion rationaliste que se plonger dans ce qui en faisait l’essence : le vivant dont l’animalité lui avait permis de survivre.
Alors au lieu donc de me laisser aller au désespoir, j'ai pris le parti de mélancolie active pour autant que j'avais la puissance d'activité, ou en d'autres termes j'ai préféré la mélancolie qui espère et qui aspire et qui cherche à celle qui, morne et stagnante, désespère.
Cette pensée m’a rasséréné, il m’a semblé plus sain d’avoir une cervelle qui pense à vivre plutôt qu’à compter…
Quoi qu’on pût penser de la cervelle de Van Gogh