lundi, 13 avril 2020
Devoir de Lakevio du Goût N° 34
Dites quelque chose sur ce printemps magnifique dans une ville déserte.
Une histoire qui commencerait par :
« L’air était moins étouffant que la veille et j’ai même cru sentir la caresse d’une brise, en marchant sous les arcades, jusqu’à la place de la Concorde. »
Et dont les derniers mots seraient :
« Malheureusement je ne crois pas qu’il suffise de traverser la Seine. »
L’air était moins étouffant que la veille et j’ai même cru sentir la caresse d’une brise, en marchant sous les arcades, jusqu’à la place de la Concorde.
Tout au long de la rue de Rivoli j’ai marché lentement, le nez agacé par une odeur douceâtre et un peu écœurante.
Elle semblait baigner toute la rue, j’ai hésité à traverser la rue pour lui échapper, ce qui de toute façon eut été inutile puisque le jardin des Tuileries était fermé.
J’ai donc continué mon chemin passant devant l’ancien Musée de la Marine jusqu’à la rue Royale.
J’ai regardé au loin l’église de la Madeleine, le kiosque de l’angle de la place était ouvert mais vide, comme la rue.
Je me suis tourné vers la place de la Concorde, vide elle aussi, mais toujours cette odeur douceâtre qui commençait à me soulever le cœur, un peu comme celle qui s’échappe des boucheries mal tenues.
Je me suis rapproché des grilles des Tuileries pour échapper à cette « douce pestilence » qui adhérait au nez, aux vêtements.
J’ai longé les grilles jusqu’à l’entrée du souterrain et ai marché jusqu’au pont de la Concorde.
Je l’ai franchi.
J’étais seul sur ce pont que je n’avais jamais vu sans une voiture ou un piéton.
Je voyais au loin l’Assemblée Nationale dont le fronton était embrumé par la fumée qui s’élevait d’un bûcher élevé devant le bâtiment.
L’odeur changeait et devenait à la fois plus agréable, comme celle d’un rôti en train dorer, de « revenir » comme disent les cuisinier.
Hélas elle devenait en même temps plus gênante, inquiétante, quelque chose qui rappelait la mort.
J’ai pensé « Non ! Ils n’ont pas fait ça ! Les imbéciles ! »
Il m’était venu un instant à l’esprit qu’une bande d’émeutiers avait tenté d’incendier l’Assemblée Nationale.
Arrivé au bout du pont, à mettre le pied sur le quai d’Orsay j’ai failli vomir, mon estomac vide se révoltait en spasmes contre l’odeur et la vue du spectacle qui se déroulait en silence devant mes yeux effarés.
Trois hommes, armés de gaffes piochaient dans l’amas de corps en décomposition qui se trouvait près de l’entrée du boulevard Saint Germain et les posaient sur le bûcher qu’il arrosaient de temps à autre d’huile comme s’il s’agissait de faire rissoler les corps plutôt que les carboniser.
Cette épidémie allait laisser des traces, c’était sûr...
Et puis, il fallait bien se débarrasser de tous ces morts qui formaient des tas sur la rive droite et auxquels je pensais échapper en empruntant le pont de la Concorde.
Malheureusement je ne crois pas qu’il suffise de traverser la Seine.
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