dimanche, 12 juin 2022
La machine à explorer le temps marche au diesel...
Samedi, j’ai pris le bus…
Au départ je suis monté dans un bus comme ça.
Puis, grâce à une rencontre, je suis descendu, d’un bus comme ça.
Plus exactement je suis monté dans le 163 qui croisait la route du 31 à la station « Jouffroy-Malesherbes » et ai attendu le 31 qui me mènerait à la Gare de l’Est.
De fait j’allais acheter des composants pour la bidouille que je réalise pour un ami.
Oui… L’ami avec qui je ne suis jamais d’accord depuis le mois de novembre 2.000.
C’est dire si nos dissensions, comme notre amitié, résiste au temps.
Le 31 m’emmenait à la boutique presque agréablement n’eut été l’impression de voyager dans « une cour de récréation pour adultes ».
Il faisait chaud comme un début d’été de quand j’étais gamin dans mon quartier.
Je me suis cru d’un coup dans un de ces bus de la fin des années cinquante ou du début des années soixante, un de ces bus où tout le monde est entassé et parle fort pour être sûr d’être entendu de son interlocuteur.
Une différence toutefois : Là où, à l’époque, la foule affairée était principalement constituée d’Arabes, s’agitait aujourd’hui une foule d’Africains.
Alors que le bus s’arrêtait à Marcadet-Poissonniers, là où il commençait à remonter le boulevard Barbès, j’ai été abordé par un Arabe.
J’allais écrire « par un vieil Arabe », moi qui suis né en 1949…
Il m’a raconté tout mon quartier d’enfance.
Il y avait eu des oncles, les uns tués par le FLN, d’autres par l’OAS.
Il avait la tête du petit épicier de mon coin dont je vous ai parlé mais en vieux.
Oui, celui qui était parti après quelques « plasticages » et n’était revenu qu’n 1963, les cheveux tout blancs.
Ce vieux monsieur m’a rappelé qu’au printemps « les piafs faisaient un bordel ! Mais un bordeeeel Monsieur ! Que maintenant qu’ils ont tout cassé monsieur, il fait chaud. Juste trop chaud… »
Il souffla difficilement et ajouta « Ya plus que des voitures et des pigeons… »
Nous sommes descendus à la même station sur le boulevard Magenta et, en attendant que le feu passe au rouge, nous avons continué notre conversation.
Au moins quatre fois, le feu est passé au vert, puis au rouge, puis au vert…
J’ai appris qu’il était né en 1948 à Paris et avait grandi Porte de Clignancourt mais tout près de la rue Belliard, que son père était arrivé en 1936 et avait épousé une Française.
J’ai dit « Aïe ! Ça n’a pas dû être facile ! »
« Mais, Monsieur, mon père était un beau garçon ! Et ma mère avait les yeux bleus… De beaux yeux… »
Je n’ai rien dit.
Il a continué « C’est vrai, au début mon grand-père, le père de ma mère, n’était pas d’accord mais mon père était sérieux. »
Après un silence, ce devait être le sixième ou septième feu, il a dit « Là, je vais voir ma petite fille, rue du Faubourg Saint Martin. »
J’ai demandé « Elle a quel âge ? ».
Il a souri et presque rougi, lui qui ressemblait à un pruneau à cheveux blancs et a ajouté fièrement « elle va avoir dix-neuf ans, elle est gentille et elle a les yeux bleus de ma mère. Elle est belle… »
Je l’ai félicité et suis allé acheter mes composants.
En retournant à l’arrêt du 31, l’écran affichait « 31 ! Arrêt non desservi pour cause de manifestation »
Une dame qui était déjà là m’a dit « Le dernier est parti juste quand j’arrivais. Il y a quoi… Cinq minutes… »
J’ai voulu maudire ce vieil Arabe mais je me suis dit « J’ai gagné soixante ans à l’aller, je peux bien perdre deux heures au retour… »
Il y a des jours, comme ça où, même s’il fait chaud, si on a du mal à respirer dans le bus, s’il y a des manifestations qui bloquent les bus, malgré tout, c’est bien…
07:20 | Commentaires (11)