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samedi, 23 juin 2018

Voilà pourquoi Emilia-Celina.

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Emilia-Celina me posait une question.

Le genre de question que je déteste parce qu’elle me force à réfléchir…
Effectivement, Heure-Bleue et moi avions toujours vécu à Paris, nous y étions même nés alors nous l’aimions.
Puis, en 1987 nous avons quitté Paris pour Chatou.
Heure-Bleue se la joue en disant « mais non, on peut vivre ailleurs, voyons, Minou… »
C’est juste qu’elle a oublié qu’à peine logés à Chatou, chaque fois que nous sortions, c’était pour aller à Paris…
Trois ans plus tard, l’Ours passait le bac, tous les jours, du moins quand j’étais en France, je l’amenais au lycée à Paris.
Un soir d’après bac, des amies de l’Ours sont venues à la maison à Chatou.
Peu de temps après, nous avons voté pour savoir où habiter.
Avec un score de 100%, mieux que chez Staline ou Erdogan, nous choisîmes Paris.
Bien sûr que j’ai toujours aimé Paris, Emilia-Celina.
Mais quand on est plus jeune on aime sans y prendre garde.
La vie nous mène.
Les études, les amours puis, le temps passant, le travail, les enfants.
La vie, en somme.
La vie comme je l’ai vécue, m’a fait traîner le monde, voir des cultures différentes, se mettre à apprendre voire comprendre d’autres langues plus ou moins exotiques.
Elle m’a fait voir des pays dont je ne soupçonnais même pas qu’on pût y vivre comme on y vivait et m’a fait me mettre à leur diapason.
Malgré tout, je n’ai jamais oublié que Paris, c’était chez moi.
Maintenant que je suis –à peine- moins jeune, j’aime Paris mais plus attentivement.
Je me rappelle les pays où j’ai traîné.
Je garde la conviction que l’on est bien et entouré de beauté que dans les vieilles capitales européennes.
Mais surtout que la plus belle ville que je connaisse reste « la mienne ».
Même dans ses quartiers les moins reluisants.
Il arrive bien sûr, en traversant certains coins, de souhaiter discrètement qu’un « 11 septembre » vienne retirer de ma vue des tours que j’aurais bien vues ailleurs qu’en train de gâcher la perspective d’une avenue.
Malgré tout, même dans le bas du côté Nord de la butte Montmartre, je considère avec affection ces coins peu recommandables passé huit heures du soir.
Bon, c’est parce que j’y suis habitué depuis mon entrée à l’école maternelle.
Je dois dire malgré tout qu’un soupçon d’embourgeoisement me fait préférer la rue Turgot ou la rue Lamartine à la rue Boinod ou la rue du Nord…
Mais tant de choses me lient au XVIIIème arrondissement, du boulevard Ney au boulevard de Rochechouart.
Ça descend même jusqu’au boulevard de Bonne-Nouvelle.
Plus bas encore, jusqu’à la Seine, le quartier du Marais, l’Hôtel de Ville et toutes les rues alentour.
Et puis, pendant l’âge estudiantin, le Quartier Latin, le Jardin des plantes.
Toutes ces rues où on a vécu et où flâner des décennies après fait l’effet si délicieux de ces parfums qui caressent le nez et vous serrent le cœur en vous faisant revivre des instants enfuis.
Il m’arrive, ça doit être l’effet des années, qu’en passant dans une rue, sur une place, devant un bistrot, mon cœur bat plus fort, ma poitrine se serre, ma gorge un peu aussi.
Je serais bien incapable de dire si c’est parce que je suis heureux ou malheureux, les effets sont parfois si proches pour deux sensations opposées…

 

vendredi, 22 juin 2018

Certaines gourmandises m'empêchent de m'aigrir.

Hier, en revenant du déjeuner, nous avons accompagné notre amie au métro « Rue Montmartre » qui a changé de nom pour « Grands Boulevards », quelle idée...
Puis nous sommes repartis avec l’idée d’aller vers l’Opéra en passant par la rue des Petits Champs.
Pourquoi ça ?
Parce qu’Heure-Bleue voulait des pivoines blanches.
Celles que nous avions trouvées et qui l’avaient enchantée.
Des vraies, des normales « des qui sentent ».
Des pivoines vivantes, qui perdent leurs pétales flétris quand elles meurent.
Pas de ces fleurs qui sentent le pétrole, se racornissent et se momifient sur leur tige sans jamais laisser tomber un pétale sur le sol.
Nous y sommes donc allés du pas du promeneur.
Notre premier arrêt fut place de la Bourse où nous avons pris un café dans « ce café où il y avait un grand comptoir et où je prenais mon croissant le matin, tu te rappelles Minou ? »
Bien sûr que je me rappelle… Comment pourrais-je oublier ?
C’est juste à côté d’un bistrot disparu depuis longtemps, « La Une » où on déjeunait pour 8,00 F.
Je ne me rappelle aucun des plats.
Seulement la lumière de mes jours, montant les escaliers devant moi, vêtue d’une minijupe qui la déshabillait si bien…
En passant devant la rue Chabanais nous n’avons pas pensé un instant à Viollet-le-Duc mais à une maison close.
À dire vrai, cette rue, chaque fois que j’en vois la plaque me rappelle Edouard VII.
Vous vous demandez sûrement, lectrices chéries, pourquoi je pense à Edouard VII quand je passe devant la rue Chabanais.
Eh bien parce que d’une part j’ai l’esprit mal tourné et que je sais qu’elle fut célèbre pour la maison close qui y faisait commerce de charmes aujourd’hui éteints.
D’autre part et surtout parce que j’ai aussi l’esprit licencieux et que cette rue rappelle  cette exposition au musée d’Orsay, « Splendeurs et Misères » et ce « Fauteuil de volupté » conçu spécialement pour que Sa Majesté pût enfin « jouir sans entrave » comme disaient les murs de Mai 1968…
Nous avons continué, nous arrêtant devant la gargote japonaise qui parfume son coin de trottoir à l’angle de la rue Saint Anne.
Nous arrêtant aussi devant cette boutique pleine de petites choses superbes et hors de prix.
De celles qui prouvent bien que ma vocation de fils de riches a été gâchée par mes parents.Bref, où que je me balade à Paris, il y a toujours quelque chose qui me traverse l’esprit et qui n’a qu’un rapport lointain avec l’endroit où je suis.
C’est vrai, non ? Quel rapport avec les pivoines ?
Peut-être une histoire de minijupe plissée en écossais dans les tons rouges et l’émission « Mystère, mystère… » qui allait si bien avec.

mardi, 19 juin 2018

Que la lumière soit...

Savez-vous, lectrices chéries, que chaque jour je bénis la chance d’avoir trouvé cet appartement.
Pas pour l’immeuble, qui est agréable.
Pas pour les voisins, qui sont charmants.
Pas pour le « syndic » dont la voix de la standardiste est à tomber et me pousse au badinage.
Pas pour les boutons de l’ascenseur qui sont fantaisistes.
Pas pour le collège, qui fait souhaiter le rétablissement des châtiments corporels.
Surtout les plus cruels…
Pas seulement pour ce que je vois, le coin de la rue à peine tourné.
Non, lectrices chéries, pas pour tout ça.
Pour tout ça aussi mais surtout pour ce que j’ai regretté depuis que j’ai laissé ce quartier pour le Marais.
J’avais cru l’avoir perdu pour toujours.
Eh bien non.
C’est exactement comme quand j’ai tristement quitté ce quartier il y a maintenant cinquante-deux ans.
Exactement pareil.
Bien sûr j’avais laissé des tas de souvenirs par ici.
Mais surtout j’avais abandonné une lumière qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Celle de Saint Jean d’Acre, avec ces airs de ciels d’Italie, est magnifique bien sûr.
Celle du port de  Kowloon, tournée vers l’est, dorée le matin quand elle rase l’océan.
Celle de Cannon Beach, où la lumière du soleil qui plonge dans le Pacifique est inoubliable.
Et bien d’autres, celle de Venise, plutôt nostalgique car une lumière peut être nostalgique.
Celle étrange de Copenhague en hiver, mais j’ai l’impression que c’est toujours l’hiver, là-bas.
Des tas d’autres.
Pas une ne m’émouvait comme celle-ci.
Bon, à dire vrai c’est la seule lumière qui me fait me sentir vraiment chez moi.
Je repasse, comme une vieille leçon, les années passées dans le bas de Montmartre.
Et je la connais par cœur , cette vieille leçon, c’est celle qui m’a enseigné que ce qui est important est d’être éclairé par un jour qui éclaire son âme aussi bien que les toits.
Que ce qui est vraiment important est ce qui fait tressaillir, ce qui fait soupirer, rêver, rend sûr que demain sera plus beau qu’aujourd’hui.
Même s’il fait mauvais ou que la vie est troublée.

lundi, 18 juin 2018

Un café olé !

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« Que peut-elle bien faire encore au-dehors, dans ce noir ? »
C’est la première question qui m’est venue à l’esprit quand je l’ai vue. Je n’ai pas osé lui dire « mais qu’est-ce que vous faites, là, l’air hagard, à marcher dans la nuit ? »
J’étais sûr qu’elle était affolée. Par quoi ? Mystère, la route était vide qui longeait le bois.
J’ai allongé le pas et l’ai rattrapée. En passant à côté d’elle j’ai demandé « Vous fuyez ? Vous avez besoin d’aide ? »
Elle s’est arrêtée et a secoué la tête puis, après avoir repris une respiration plus calme, souffla « Non, ça va maintenant, j’ai seulement eu peur en passant devant un buisson, j’ai eu l’impression que quelqu’un s’y cachait… »
Je l’ai regardée un peu plus attentivement, elle était menue, assez bien faite et ses grands yeux craintifs lui donnaient le genre de charme qui attire les hommes brutaux.
Sa bouche aux lèvres charnues en revanche attirait le baiser mais comme je suis bien élevé…
Je lui ai dit « Alors allons y… » et ait tendu mon coude à la femme.
La bride de ses escarpins changea de main et elle glissa son bras sous le mien. Je la sentis se calmer au fur et à mesure que nous avancions. J’entamai une conversation à bâtons rompus, assez légère pour la rassurer espérais-je.
Quand nous sommes arrivés dans les faubourgs, j’ai regardé autour de nous. Pas un café ouvert. Pas un volet éclairé. Rien qui put indiquer la vie, pas même un chat sous un réverbère.
Je fus d’un seul coup gêné.
J’ai demandé « Vous êtes fatiguée ? »
Son bras s’est mis à trembler légèrement sous le mien, elle commençait à ressentir une certaine crainte.
Je me suis arrêté et ai dit doucement
- Vous avez peur ? Je ne vous ferai rien vous savez…
- Oui, un peu. 
- J’habite un peu plus loin, je peux vous faire du café.
- Je veux bien… Juste du café hein ? Parce que…
- C’est assez grand pour que nous ne nous croisions pas jusqu’à demain.
- J’ai peur quand même.
- Que voulez vous que je fasse ? Je ne sais même pas où est le commissariat !
- Bon… Mais attention hein !
Quand nous sommes arrivés chez moi, je l’ai fait asseoir dans le séjour et je suis allé à la cuisine.
J’ai sorti les dosettes en demandant à haute voix « Normal ou déca ? »
Elle a répondu derrière moi, tout près « Normal, serré s’il vous plaît… »
Je ne l’avais pas entendue arriver sur ses pieds nus.
Elle a repassé sa main sous mon coude et nous avons attendu que les cafés soient prêts.
Je lui en ai tendu un et ai pris l’autre. Alors seulement elle a souri.
Nous avons posé nos cafés sur la table basse.
Elle était vraiment petite. Elle a continué à sourire quand je me suis penché sur elle.
Quand le jour s’est levé, j’ai demandé :
- Mais comment t’appelles-tu ?
- Madame Desqueyroux.
Alors j’ai eu peur en repensant au café que j’avais bu. Et si…
Elle s’est levée, je l’ai suivie à la salle de bains et admirée encore une fois.
Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie; puis, ayant gagné la rue, marcha au hasard. »

dimanche, 17 juin 2018

Fête des pères…

« Mon fils, ton père est mort ! »
Ça m’a fait de la peine.
Beaucoup car s’il avait l’esprit caustique ce n’était pas un homme méchant.
De fait, elle lui a tenu la main jusqu’à ce qu’il passe.
Mais elle lui gardait, au-delà de la mort qui les séparait, un chien de sa chienne.
Je le sais, elle me l’a dit.
Et je sais que c’est vrai car j’avais assisté à la scène originale.
Non, pas celle-là, vous ne pensez vraiment qu’à ça…
Mon père avait ses trouvailles les plus étranges quand il était de bonne humeur et il était de bonne humeur quand il faisait beau.
Un été donc, ma mère, du ton plaintif qui aurait amené n’importe quelle autre femme à être une femme battue, déclara à table « Lemmy… Pfff… J’ai du mal à respirer… »
« Lemmy » connaissait toutes les ficelles que ma mère utilisait pour le faire lever de table, eu la malencontreuse idée de lui répondre « C’est pas grave ma poule… Respire pas… »
Évidemment, nous tous, alors enfants, avons ri sous cape.
Quelqu’un était capable de tenir tête à ma mère, ce qui nous a rassurés.
Nous, « Lemmy » inclus, avions seulement oublié que ma mère était hypermnésique pour tout ce qui lui griffait, même imperceptiblement, l’amour-propre.
Quand, une trentaine d’années plus tard, mon père ne respirait plus qu’aidé par une machine qui insufflait de l’air et exsufflait du CO2, ma mère lui tint la main et lui passait un gant sur le front tandis qu’il lui soufflait difficilement « Ma poule, j’ai du mal à respirer… ».
J’y passai aussi quelques nuits, celles où, chaque matin il m’a dit « Non, fils ! Non je n’ai pas dormi, j’ai fait un petit coma ! »
Comme ça ne pouvait pas durer éternellement, mon père finit par mourir, sa main dans celle de ma mère.
Des semaines plus tard, elle sembla avoir quelque remords.
Nous étions tous deux à table, à manger du frichti que je lui avais préparé.
- Tu sais, mon fils…
- Oui maman…
- Euh… J’ai un peu honte quand même…
Je n’aurais jamais pensé que ma mère put avoir honte de quoi que ce soit.
Pas même des tours les plus pendables et des indiscrétions qu’elle commit à notre endroit.
- Et de quoi maman ?
- Tu te rappelles quand ton père m’a dit « Respire pas… » ?
J’ai revu alors ce déjeuner à la maison, avec mes sœurs.
- Oui, je vois…
- Eh bien…
- Oui maman ?
- Eh bien j’ai honte mais à l’hôpital avec ton père, j’ai eu envie de lui dire « C’est pas grave… Respire pas… »
Ça ne m’a pas étonné outre mesure, je commençais à connaître la famille.
- Et ?
- Eh bien tu vois, mon fils, je ne lui ai pas dit…
Où va se nicher la grandeur d’âme…