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samedi, 16 juin 2018

Ah les mères... Alzheimer

Je suis arrivé tôt et je suis entré chez ma mère.
Je me suis préparé un café et j’ai pris « Mots fléchés, mots croisés, mots cachés » sur la table.
Mon dieu, quelle table…
Un bordel incommensurable car tout devait être à portée de sa main.
Et elle était petite, alors ça faisait des tas.
Elle m’a entendu et est arrivée, commençant ce que j’avais entendu dix mille fois sans y prêter attention.
« Eh bien… Au bateau… »
Aïe, la journée commence mal.
- Oui maman ?
- Au bateau…
- Oui, au bateau…
- Quoi « au bateau » ?
- Je ne sais plus… Ah si, maman disait…
- Oui…
- Je ne sais plus, mais on était bien.
- Tu veux du café, maman ?
- Oui mon fils, toi tu le fais bien.
- …
- Il n’y a plus que toi qui sais le faire, les autres…
- Bon, je vais faire du café.
- N’oublie pas la petite couche de chicoré dans le fond du filtre parce que.
- Je sais maman !!!
Je reviens avec le café.
Elle se sert, met au moins cinq cuillers de sucre, on dirait moi quand j’avais douze ans et que je revenais du lycée.
Et elle recommence.
- Au bateau…
Je soupire.
Elle prend son recueil de « mots fléchés »  et quelque chose attire mon attention.
- Passe moi tes « mots fléchés » maman.
Regard noir de ma mère.
Je soupire et dis « S’il te plaît ».
Là elle sourit. Enfin.
Je regarde et je suis effrayé.
- Tu as vu ce que tu as écrit, maman ?
- Oh tu sais, quand ton père est mort, je me suis assise là…
- Oui, mais tu as v…
- J’ai regardé le mur et j’ai attendu la mort.
- Bon, tu es là et tu as vu comment tu as fait ces « mots fléchés » ?
- Je m’en fous, j’ai attendu la mort pendant six mois…
La mort est venue dix-sept ans plus tard.
Pendant ce temps là, nous avons entendu « au bateau » et nous n’avons pas vu que ma mère avait perdu les pédales.

vendredi, 15 juin 2018

Les nageurs sans brasse.

De rien, Mab, de rien…
Heure-Bleue me disait il y a peu à propos de poésie que je m’étais livré avec OBNI à un concours de composition de haïkus.
C’était  il y a très longtemps.
Elle avait poussé l’indulgence jusqu’à dire que je m’en étais bien tiré et que « c’était pas mal ».
Pour qui connaît Heure-Bleue et son peu de goût pour la poésie, l’idée de l’intéresser en trois vers de trois, sept et cinq syllabes semble un poil débile.
Alors je tente ça :

Un nuage
Un éclair qui fend le ciel
un grondement lourd.

Et ça :

Un pétale
Un éclat de soleil
Eclatant et rose.

On ne sait jamais…
Juste pour voir si elle va se précipiter sur moi, jetant ses habits à tous vents.
Puis je me rappelle que si ses jambes sont toujours aussi belles, ses pieds l’empêchent de courir, comme les ailes de l’albatros l’empêchent de voler.
Bref, ces temps-ci je n’ai pas l’âme épistolière.
Elle est trop occupée par des tas de choses.
Ces choses se transformeront en souvenirs.
Et vous savez bien que je finis toujours par vous raconter mes souvenirs.
Enfin, presque tous…

mercredi, 13 juin 2018

Salut l’artiste.

Elle a fini comme elle a vécu.
En fumant…
Et elle est partie comme elle a toujours été.
Tout feu, tout flamme…
Alors je vous en parlerai plus tard.

lundi, 11 juin 2018

Appassionata...

lakevio.jpg

Il m’énerve ce type, au dessus, à tapoter « La lettre à Elise » depuis une heure.
On dirait qu’il ne connaît que ça.
Peut-être que c’est « La lettre à Elise » qui m’a poussée à aller voir s’il y avait quelque chose dans la boîte à lettre.
Il y avait quelque chose.
Tiens ! Il s’est arrêté de jouer !
J’ai ouvert la lettre.
C’est à ce moment qu’il a commencé à jouer cette sonate que j’aime particulièrement.
Oui, j’ai l’âme à écouter « Appassionata » en ouvrant la lettre.
La petite fleur de « mouron » bleue dans le coin de l’enveloppe donne un air niais à cette lettre.
Il n’y a rien au dos, pas une seule indication de l’expéditeur.
L’autre, là, au-dessus y met du cœur à « Appassionata ».
Il se débrouille pas mal du tout.
Bon, ce n’est pas Yves Nat et il y met plus de sentiment que de technique mais ça commence à me plaire.

«  Mademoiselle,
Je vous regarde passer tous les matins sur le trottoir en face.
Tous les matins je me demande comment je pourrais vous aborder.
Le midi ? Rien. Vous ne rentrez pas chez vous déjeuner.
Mais je regarde toujours par la fenêtre, des fois que je vous aperçoive.
Et chaque soir j’attends de vous passer.
J’entends la gâche électrique zonzonner quelques instants et la porte qui claque puis votre pas léger.
Il est léger votre pas, Mademoiselle, si léger…
Si j’osais, je me lancerais à vous conter des histoires de papillon voletant au dessus des marches mais je pressens que ce serait accueilli par un haussement d’épaules.
Alors je me contente de supputer quelle serait votre attitude en m’écoutant jouer « Appassionata », cette sonate qui dit si bien ce que je ressens et que je joue hélas si mal…
Dites moi, faites moi seulement un signe, même discret.
Un signe qui me dirait que vous n’avez pas jeté bêtement cette lettre en haussant les épaules.
Dites moi, faites moi seulement un signe qui me ferait comprendre que vous aimeriez que je vous joue d’autres sonates.
Un seul petit signe. »

Il est joli garçon, le pianiste au dessus et ça fait un moment que je me demande si sortir avec lui serait une bonne idée.
Aller au cinéma avec lui serait sans doute agréable.
Je pense que ce sera agréable, et il a un toucher si délicat que je me dis que.
Je ferme les yeux et j’écoute ses doigts glisser sur le clavier.
Et je me dis que… Un tel toucher…
Je passe le bout de ma langue sur les lèvres…
Bon, je vais monter lui demander s’il veut bien m’accompagner au cinéma dimanche.
Ces doigts si délicats, je suis sûre que…
Ce toucher… Mon dieu…

dimanche, 10 juin 2018

Famille, je vous ai…

Heure-Bleue et moi avons fait le test « Mais qui donc est Icare ? » du Télérama de cette semaine.
Nous nous sommes aperçus avec stupeur que si on avait oublié de quoi on avait dîné la veille, on se rappelait parfaitement ce que nous avions appris en quatrième.
Ça nous a occupés quelques minutes…
Depuis, je m’inquiète de cette façon qu’a la mémoire de nous jouer des tours pendables.
Comment se fait-il qu’après des décennies, on arrive à ressentir des émotions telles on les a ressenties au moment où elles nous ont étreints alors que leur source a disparu depuis longtemps ?
Comment se fait-il que les mêmes images et les mêmes lieux les ravivent si bien ?
Comment se fait-il que la même passoire, pour peu qu’elle ait échappé à notre attention et notre regard quelques minutes ait complètement disparu de notre esprit alors qu’on l’a posée là le temps de sortir la casserole du feu et qu’on n’arrive plus à mettre la main dessus?
On dirait que, comme pour les artères qui se bouchent et empêchent le sang de circuler correctement pour cause d’étranglement mal placé, il y ait une sorte d’étranglement entre l’hippocampe et le reste de la cervelle qui empêche le mécanisme de stockage de fonctionner correctement.
Ce petit test a ravivé d’autres souvenirs.
Évidemment, j’en ai retiré que je n’étais pas un enfant très sage et que ça a donné un adulte pas vraiment plus sage.
Bon, un adulte pas sage du tout.
En y réfléchissant un peu, même adulte est un abus de langage…
De proche en proche, ça m’amène à penser à ma cousine.
Et à sa fille.
Je ne sais pas comment lui dire « Maintenant tu sais que la vie est brève, tu as vu qu’elle peut s’arrêter avant que tu n’aies le temps de dire « ouf », alors ma biche, profite de la vie. Ne laisse personne la gâcher, c’est la seule que tu as. Soit gentille mais ne te laisse pas marcher dessus. »
Je n’ai aucune idée de la façon de s’y prendre pour lui dire ça...
Sa fille à qui il faudra bien dire de ne pas se morfondre car la vie est brève et qu’il faut en goûter tous les moments.
Les bons comme pour les « resucer » comme des bonbons un peu poussiéreux retrouvés par hasard au fond d’une poche.
Les mauvais, pour les jeter car se rappeler leur goût amer gâche l’instant présent.
Plus tard peut-être, lui répéter les horribles histoires que racontait sa mère.
Et puis lui raconter le côté maternel étrange de la famille dont elle est issue.
Même si cette jeune fille est plutôt sérieuse, je pense que ça devrait lui donner un regard plus réservé sur ce qu’est vraiment « être adulte ».
Mais comment lui dire que non, sa mère ne l’a pas abandonnée.
Elle lui a été arrachée.
Tu vas devoir marcher toute seule maintenant, toi, ma petite-cousine.
Si tu veux, je te raconterai des histoires de ta grand’ mère, « sérieusement tachée ».
Et des histoires de ton grand-oncle, mon père, qui ne valait pas mieux…
Et des histoires d’une autre grand’ tante, carrément « fondue au noir », celle qui lavait les œufs « parce que le cul des poules, c’est sale. »