jeudi, 06 septembre 2018
L'épicerie, mais pas tous les jours...
De rien, Mab, de rien...
Le commentaire de « Sophie-qui-n’a-pas-de-blog » me donne l’occasion de vous parler de différences qui m’ont marqué entre mon quartier parisien de quand j’étais petit et la campagne de « Sophie-qui-n’a-pas-de-blog » quand elle était petite.
Il y avait la même différence entre « mon quartier de quand j’étais petit » et « la campagne de ma grand’mère de quand j’étais petit ».
Dans la campagne de ma grand’ mère, on avait de la chance parce qu’il y avait « Marie-Louise » qui faisait « librairie-maison de la presse-épicerie-articles de pêche-produits de jardinage » où ma grand’mère pouvait prendre à peu près n’importe quoi et dire « je te paierai plus tard, Marie-Louise ».
Je n’ai su que bien plus tard d’un des petits-fils de Marie-Louise que cet arrangement existait depuis qu’un secret avait changé de cervelle il y a super longtemps.
Mais bon, c’était pratique parce que j’ai pu lire « Kiwi » dès le numéro 1 et d’autres choses comme « Sidéral » et « Météore », super illustrés pompés directement de « Astounding Stories » ou « Weird Tales ».
Sans compter « Système D » riche en idées de bricolage parfois risquées…
Ma grand’ mère ne manquait pas spécialement d’argent mais l’idée de faire « marronner » Marie-Louise était bien plaisante…
Il est bien entendu que c’était une autorisation de découvert qui n’était due qu’à un chantage muet.
Tout autre femme du bled –les hommes ne sortaient que pour aller au boulot ou au bistrot- devait être sérieusement dans la panade pour aller chercher un paquet de pâtes que « je te paie plus tard, hein Marie-Louise ? »
Surtout si elle voulait que personne ne dise dans son dos des trucs du genre « Pfff… Ça achète du gigot d’agneau au début du mois et ça tire la langue après le quinze ! Pauv’gosses… Ah ça, des sous pour le rouge à lèvres et l’eau de Cologne, yen a… »
Bref, le moindre passage à vide classait illico la pauvre femme dans la catégorie des filles de joie ou des mères indignes.
Tu vois, Sophie-qui-n’a-pas-de-blog, c’était l’avantage de la vie à Paris : L’épicier et d’autres –sauf « chez Poitevin » dont je vous ai déjà parlé- faisaient crédit à partir du 20 du mois.
Chez Poitevin, on ne le faisait pas parce qu’il y avait trop de clients et que la caissière « aurait bouffé la ferme » rien qu’à acheter les carnets.
La population n’était pas plus riche que dans ma campagne de quand j’étais petit mais plus solidaire et partageait les mêmes maigres ressources.
Une autre raison faisait que la majorité se foutait totalement du « qu’en dira-t-on ».
Tout le monde étant globalement dans la même situation, seules les « Caves Championnet » refusait de faire crédit pour autre chose que la « Valstar bleue ».
Il savait combien le serment de l’ivrogne est peu fiable qui jure de payer et oublie dès la première cuite.
Tous les autres, de l’épicier au boucher en passant par le crémier, connaissaient leurs clients et hochaient la tête quand la cliente faisait le petit geste du crayon qui écrit.
Tout le monde étant dans la dèche à peu près au même moment, ça faisait comme le règlement différé des cartes Visa…
On évitait de se lancer dans des trucs aussi dispendieux en accessoires comme le colin, à cause de la mayonnaise.
Cette émulsion nécessitait tants d’ingrédients disparus depuis un moment des placards que la mobilisation des voisins était vouée à l’échec.
Le Parisien de mon quartier donc, contrairement au campagnard, avait l’habitude de finir les mois « à kroum » sans que ça fasse ciller quiconque quoique le « petit cahier » en ressortît parfois bancal…
08:52 | Commentaires (8)
Commentaires
Et, n'oublions pas que " femme fardée et ciel pommelé sont de courte durée".
Écrit par : Nina | jeudi, 06 septembre 2018
Ah oui le petit cahier, je n'ai pas eu le temps de commenter hier, mais tu sais, il était bien pratique quand même ce petit cahier autant pour les ménagères que pour les Marie Louise. Moi qui suis de la campagne,j'ai connu aussi; Chez nous la Marie Louise c'était Simone qu'elle s'appelait. Trés croyante et pratiquante, jusque dans les principes prônés par la sainte bible. Elle en a aidé des "son prochain" et dépanné plus d'un d'un kilo de sucre ou d'un paquet de café ! Cette femme n'avait rien à se reprocher,nous avions pour elle beaucoup d'affection et un grand respect.
Écrit par : delia | jeudi, 06 septembre 2018
(Sophie qui n'a pas de blog, mais cherche installation et maintenance d'un site hi hi car elle ne peut pas (souligné) faire monter sa tension sans risque)
Ceci dit, l'épicerie-café-jeu de boules les jours de fêtes-dépôt journal du jour, a dû faire crédit plus par pitié que par charité.
Nous avions un voisin, ébéniste de talent, mais fainéant de nature, qui ne travaillait pas. Donc, comme la cigale de la fable, il envoyait la plus jeune de sa nombreuse famille frapper chez la fourmi qui, contrairement à celle de la fable, était prêteuse. Parce qu'à l'épicerie, le robinet était fermé depuis bel âge comme on disait.
Nous avions un jardin, donc à la belle saison, pas trop compliqué de donner un peu de la récolte. Mais ce que ma mère ne supportait absolument pas, c'était l'emprunt d'une bouteille de vin de table qu'on ne rendait évidemment jamais. Mais la petite gamine qui venait, petite Cosette, quémander avait droit à une friandise faite maison.
La campagne, c'était aussi cela.
Écrit par : Sophie | jeudi, 06 septembre 2018
Je ne sais pas quoi dire parce que nous avons été gâtés... Pas d'ardoise, nulle part ; ma famille ne l'aurait pas supporté. Le genre "pas bien haut peut-être, mais tout seul", "il vaut mieux faire envie que pitié", "ne pas vivre au-dessus de ses moyens". Cela dit, on connaissait le principe. A la campagne, quand la camionnette de l'épicerie du village klaxonnait, beaucoup repartaient en ayant fait "mettre sur leur compte". A la ville, mes grands-parents, avec leur grand jardin, n'étaient pas avare de leurs légumes, fruits et même fleurs. Mon père, lorsque nous étions à la campagne, c'était le canon et le morceau de fromage...
Écrit par : lakevio | jeudi, 06 septembre 2018
Ce qu'il y avait de bien avec l'épicier, c'est qu'il ne comptait pas d'agios comme les banques, ces requins.
J'ai découvert, malgré moi, car, je trouve indécent de fouiner dans la vie de ses parents disparus, ce que la banque lui prélevait comme frais quand elle avait des fins de mois difficiles. _800 euros une année...sans compter toutes les assurances qu'ils lui ont fait prendre.. Y'a pas pire charognard qu'un banquier. Un épicier retord, à côté, c'est un bisounours.
Mon mari, qui a su ce que c'était que discuter avec les banquiers au sujet des frais, quand il était à son compte, est très en colère, car, on peut toujours discuter avec son banquier pour faire baisser les agios quand on les trouve exagérés. Saigner de pauvres retraités qui n'ont pas fait d'études (je n'ose dire inculte) c'est une honte. Toujours les plus pauvres qui trinquent quand ils sont dans la marde et toujours les plus riches à qui on fait des cadeaux royaux.
Ma mère avait le don pourtant de se sortir des pires disettes, sachant quémander à droite et à gauche, quand elle s'était retrouvée veuve. Bon, nous avions volailles, vaches, cochons (2, un pour soi, un pour faire un peu de fric), légumes, conserves, fruits. Mais, fallait tout de même acheter le sucre, le café, la ricorée, le savon. Pas le papier Q, le journal servant à ça. Ne parlons pas du Sopalin, il n'existait pas). A la fin du mois, elle nous envoyait en course, nous les enfants, ayant trop honte probablement de croiser les voisines...sans penser qu'un enfant a aussi honte de se faire sermonner devant les clients (tu diras bien à ta mère de passer me régler la note ! Pas discrète l'épicière)...Je n'ai jamais oublié ces réflexions. On a aussi sa fierté enfant. Moi qui étais fière de faire partie d'une famille honorable, comment que notre fierté était mise à mal à ce moment-là. A la campagne, il fallait faire toujours bonne figure. Tiens, comme les vêtements. Le dimanche, pour aller à la messe, t'avais des vêtements neufs, des souliers neufs. Et la semaine, tu marchais avec des chaussettes trouées, des pantoufles trouées, t'avais un vieux manteau gris rapiécé ou donné par quelqu'un et tant pis si tu le trouvais moche.
A partir du 15 du mois, on en a bouffé des patates et de la soupe...Heureusement que j'adorais ça...A la campagne, on ne mourrait pas de faim.
Nous avons appris incidemment qu'un de mes frères lui servait aussi de banquier à la fin du mois, ayant accès à ses comptes, suite à des problèmes..Je me demande qui ma mère n'a pas tapé. Mais, au moins, elle était "démerd" et ne nous a pas mis à la DDASS. Quand ma sœur ainée est "montée" à Paris à 18 ans, c'est elle qui servait de banquière à notre mère, mère qui ne lui écrivait que pour lui demander d'aller chez Tati acheter des slips, chausssettes pour nous les cadets. Pauvre sœur qui avait déjà bien du mal à survivre toute seule à Paris. Ma sœur a retrouvé une lettre où ma mère lui demandait 1000 francs, une paye entière, pour nous habiller pour une noce "je te rembourserai quand j'aurais vendu la vache qu'elle avait dit". Ma sœur ne se rappelle pas si elle a été remboursée...Ma mère, jamais, ne demandait à ma sœur si elle n'avait pas des fins de mois difficiles. Elle devait croire que tous les parisiens étaient riches, que suffisait de "monter" à Paris pour ressembler à Rothschild, que la Seine était une rivière de diamants, où il suffisait de se baisser pour se renflouer.
Écrit par : julie | jeudi, 06 septembre 2018
Nous avions très peu d'argent, ma mère nous élevait seule avec une paye modique. Elle n'a jamais fait de dettes : si elle ne pouvait pas payer, elle n'achetait pas.
Écrit par : ang/col | jeudi, 06 septembre 2018
l'épicier nous connaissait ....il nous faisait crédit ...à la semaine ...maisne nous a jameis fait de cadeau !
Gamine je n'ai jamais souffert de ce qui pourtant nous manquait .... c'était ainsi ...un point c'est tout !
Je crois que j'avais une bonne nature surtout pas encline à me plaindre et encore moins à dénigrer ma mère ou ma famille !
Écrit par : emiliacelina | jeudi, 06 septembre 2018
J'aime bien l'angle de ton billet le Gout. La différence de perception entre deux personnes vivant ensemble est très parlante et rapproche aussi et là c'est bien le cas. Entre une mémoire faite d’images, de lumières et de lieux et une autre plus axée sur les sons , les odeurs,et les différentes sensations , il y a la complémentarité de ces deux mémoires et ces deux êtres qui donne toute la beauté d'un couple amoureux qui regarde ensemble dans le même direction avec chacun leur approche de cette dernière.
Écrit par : Jerry OX | vendredi, 07 septembre 2018
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