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mercredi, 28 juillet 2021

Le petit carnet.

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Ce matin, je l’ai mis dans le tiroir de la petite table sous laquelle se trouve mon ordinateur.
Ce tiroir est encombré de composants électroniques et je  viens d’y mettre « le petit carnet ».
C’est un petit carnet à reliure spirale dans lequel je note des évènements qui m’ont frappé dans la rue ou le bus.
À la maison, j’y note les courses à commander.
Ce petit carnet est donc toujours là, à portée de pensée.
Ce matin donc, je l’ai mis dans le tiroir et il m’a évidemment rappelé quelque chose.
Plus exactement il m’a rappelé quelqu’un qui flotte toujours à la surface de ma mémoire.
Je vous ai déjà parlé de ma mère ?
Bien sûr que oui !
Ce petit carnet m’a donc rappelé ma mère.
Ma mère, comme tous ceux qui ne gèrent pas trop bien les sous, surtout le manque de sous, avait une liste de préceptes inépuisable en matière économique.
Surtout un qu’elle nous jeta à la figure avec une régularité métronomique.
Le secret pour atteindre la fin du mois ?
Le carnet, parfois appelé « le petit cahier ».
« Tu vois, mon fils… Tu prends un petit cahier et… » etc.
Carnet qui n’a jamais empêché la fin du mois d’arriver avec une semaine d’avance.
Le carnet ?
Souvent un petit cahier d’écolier, celui qui restait de l’année scolaire précédente et dans lequel seules les trois ou quatre premières pages étaient couvertes de l’écriture de l’un ou l’autre des quatre enfants que ma mère avait fabriqués.
Jusqu’à un âge avancé, jusqu’à ce que les rhumatismes ne lui déforment les doigts, ma mère écrivait plutôt bien.
Mieux qu’elle ne comptait, hélas…
Elle ne faisait pas d’erreurs de calcul, non.
Ce qui gâchait tout, c’est qu’elle faisait des erreurs d’appréciation.
D’où des mois qui finissaient une semaine ou deux trop tôt.
Les seules choses qui ne manquaient pas étaient le pain, celui d’hier et le sel car « plus de sel, plus de sou ! »
Elle n’avait pas pioché l’idée que la réciproque n’était pas garantie.
Elle préférait se dire, jusqu’à démenti par la réalité, « Il y a du sel, il y a des sous ! »
Elle notait donc scrupuleusement le moindre franc dépensé dans le carnet du moment.
Plus tard, elle procéda de même avec les €uros, avec moins de succès encore car tant qu’il y eut les francs, elle comptait en « anciens francs ».
Malheureusement, quand l’€uro arriva dans son porte-monnaie, elle se mit à compter en « nouveaux francs », avec les dégâts qu’on imagine…
Cette affaire de « petit cahier » nous pourrit à tous les débuts de notre vie d’adulte.
Oui ! Que celle qui n’a jamais tapé sa mère pour cause de manque de thune me jette le premier €uro !
Quand l’un de nous allait taper ma mère pour finir la semaine, elle hochait la tête en lui jetant un regard désespéré.
Genre « Moi qui vous ai élevé en futur adulte respectueux de l’équilibre des comptes… » alors que ses comptes sont restés instables jusqu’à la fin.
Elle commençait par soupirer.
- Je ne sais pas si je peux…
- …
- Tu as besoin de combien ?
Instruits par l’expérience, nous aurions dû savoir qu’il fallait en demander le double voire le triple pour obtenir –peut-être- la somme nécessaire.
Hélas, élevés à peu près correctement, nous annoncions :
- Mille francs, maman… C’est juste pour quelques jours, je te les rends lundi prochain.
Elle sursautait sur sa chaise. 
- Mille francs !!!! Mais tu me prends pour Rothschild !
- Ben…
Elle prenait son carnet de chèques, le même numéro de compte à la Poste depuis 1947, et remplissait.
Elle grommelait entre ses dents en écrivant « deuuuuxxx… cents… Francs… », signait le chèque et commençait :
- Alors écoute bien, mon petit garçon…
Silence éloquent de « mon ptit garçon » ou de « ma petite fille »…
- Et ne soupire pas ou tu n’as rien !!!
- Bon…
- Tu prends un petit carnet…
Nous savions tous les quatre qu’avec ses « petits carnets » on aurait une vue imprenable sur l’inflation des cinquante dernières années mais en aucun cas une méthode de gestion efficace…

Commentaires

Je peux te faire une confidence.? Je trouve que ta maman représente toutes ces femmes qui ont trimé dur dans des logements sans conforts, avec une marmaille :))) à élever !!!! avec la paye d'un mari qui lui ,aussi, trimait dur. Elle a fait ce qu'elle a pu avec la crainte(éternelle de toutes les mères) de vous voir tourner mal. Elle n'accordait pas de douceurs ? C'est le premier reproche de beaucoup de mômes. Je vous embrasse car vous êtes un beau couple.

Écrit par : Nina | mercredi, 28 juillet 2021

"Elle n'accordait pas de douceurs ?"
Oh mais si !
Elle accordait libéralement les câlins mais aussi les taloches quand on n'était pas sage.

Écrit par : le-gout-des-autres | mercredi, 28 juillet 2021

Le principe éducatif de son temps (ma belle-mère). Ma mère, c'est elle qui gagnait les sous .

Écrit par : Nina | mercredi, 28 juillet 2021

Merci pour le compliment.
Nous sommes au moins un couple.
Nous sommes juste un peu moins beaux.
Mais c'est pour ne pas faire de tort à Aphrodite et Apollon...

Écrit par : le-gout-des-autres | mercredi, 28 juillet 2021

Tirer le diable par la queue était courant même à notre époque. Je pense que c'est toujours le cas pour beaucoup aujourd'hui. Petit carnet ou pas. Mais c'est vrai qu'en tenant ses comptes régulièrement on y voit plus clair.

Écrit par : delia | mercredi, 28 juillet 2021

C'est certain que pour ceux qui n'avait pas assimilé les nouveaux francs, l'euro a du être très perturbant !
C'est mon père qui tenait les comptes, et sa caisse au centime près, alors quand mon frère piquait dedans... nous étions tous punis car il ne se dénonçait jamais.

Écrit par : Fabie | mercredi, 28 juillet 2021

J'ai gardé de ma jeunesse impécunieuse l'habitude de tenir mes comptes : je n'ai pas connu la misère... la pauvreté oui, et ça forge les caractères.

Écrit par : Gwen | mercredi, 28 juillet 2021

j'ai tenu ce genre de carnet les premières années de notre mariage, pour éviter d'avoir du reste de mois et pas de restes de sous, ça a marché, je n'ai jamais dû demander un franc à quelqu'un ;-)

Écrit par : Adrienne | mercredi, 28 juillet 2021

Touchée en plein ♥ Ma maman aussi tenait ses comptes au jour le jour, ainsi malgré les ressources un peu maigres elle arrivait à boucler le mois... pas facile mais elle y arrivait.
Longtemps j'ai eu un cahier recettes/dépenses/solde, j'avoue en avoir un peu la nostalgie. Maintenant en quelques clics je suis sur mon compte bancaire, je vérifie et jette mes tickets de CB quand ils sont débités.
Une mine de renseignements ton petit carnet ;-)

Écrit par : Praline | mercredi, 28 juillet 2021

Elle est émouvante cette page de carnet.
Témoin de toute une époque. Qui donc tient encore un carnet de comptes à l'époque de la banque sur Internet. Et de plus poser une soustraction… à l'époque de la calculette.
Chez moi, dans mon enfance, je n'ai jamais entendu parler de problèmes de fin de mois. Il n'y en avait pas d'ailleurs. Chez une de mes tantes c'était « plus serré » et ma tante avait un jeu d'enveloppes pour répartir la paye du mari (le salaire était versé en espèces) selon les postes de dépenses. Je me demande même s'ils avaient un compte en banque ! Un livret d'épargne peut-être ? On déposait et retirait en liquide… je ne sais, je n'y étais que pendant les vacances… mais je me souviens bien des petites enveloppes… elle y prélevait quelques sous qu'elle me donnait « pour acheter ce qui te plaît, mais surtout tu ne dis rien à "Mononcle" ». Dans la boutique du coin on trouvait un peu de tout et bien entendu des billes pour jouer à la tiquette, au pot, au mur (lancer le plus près du mur mais sans toucher celui-ci).
Est-ce qu'on joue encore aux billes aujourd'hui ?

Écrit par : alainx | jeudi, 29 juillet 2021

Je reviens te voir parce que j'ai retrouvé au grenier il y a quelques mois le gros carnet de mon père (né en novembre 1871 !).Il était cardiaque et savait qu'il pouvait mourir en quelques secondes. Anxieux, il écrivait à ma mère toutes les recommandations qui lui seraient nécessaires quand elle se trouverait seule avec moi, l'enfant inattendue (il avait 61 ans à ma naissance).
Je ne l'avait pas feuilleté depuis plus de 60 ans et mon regard a changé, car ce que j'y ai lu n'était pas tout à fait pareil à ce que j'avais ressenti au temps de ma jeunesse...
Et j'ai aimé d'autant plus le souvenir de ce papa que l'on prenait pour mon grand-père, et je 'osais pas démentir l'évidence tant j'avais honte d'être "différente"...

Écrit par : Gwen | vendredi, 30 juillet 2021

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