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lundi, 10 janvier 2022

Devoir de Lakevio du Goût N° 110

Devoir de Lakevio du Goût_110.jpg

Qui est-il, que pense-t-il, ce pianiste ?
Qui est-elle, que pense-t-elle, assise sur le piano ?
Bah ! On verra bien lundi ce qui sort de ces deux questions…
J’espère que, comme toujours, vous écrirez.
Des choses drôles, des choses tristes, des choses qui poussent à réfléchir, des choses qui indignent, des choses qui soulagent, des choses qui reposent, des choses qui fatiguent, des choses qui guérissent.
Des choses qui, comme chaque fois enseignent…
Bref, des choses à lire.

***

Tu parles d’un boulot !
J’ai encore raté une audition et je suis là, assise sur le piano, à me demander si le pianiste regarde mes jambes ou la partition…
Il n’est pas mal mais je me demande si ses baisers n’ont pas plus le goût de la clope que de l’amour…
Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour manger tout juste à sa faim…
Coincée là jusqu’à quatre ou cinq heures du matin, à distiller du sirop pour des gens qui sont venus tromper leur ennui en buvant et en riant trop fort.
J’ai surtout un peu peur de rentrer chez moi dans la nuit.
Peur de croiser en sortant un de ces types éméchés qui va se prendre pour Don Juan et s’énerver quand je déclinerai son invite trop brutale.
Peut-être le pianiste sera-t-il plus « cool », il a l’air revenu de tout.
Il n’a pas l’air d’un type à me coincer dans l’escalier…
J’aurais dû penser à ma bombe lacrymogène, posée sur la tablette de l’entrée elle ne risque pas de de me défendre contre qui que ce soit.

***

Et elle…
Elle qui tente de chanter « As time goes by ».
Comme si elle pouvait avoir les accents de Billie Holiday…
La pauvre, elle ne fume même pas une cigarette par semaine et ne picole même pas !
Pour chanter ça et que ça te noue les tripes, il faut au moins deux paquets de blondes sans filtre, se piquer deux fois par jour et agrémenter tout ça de grandes rasades de rye !
Cette petite est bien trop clean pour chanter ça…
Elle fait ce qu’elle peut avec sa voix bien placée, un chouette brin de voix avec son vibrato juste ce qu’il faut.
Elle est comme moi, elle en a besoin de ce boulot…
D’ailleurs, son bas est troué sur la cheville droite et ce n’est pas le genre à la jouer « grunge »…
Bon, moi c’est au bout d’une chaussette que j’ai le trou mais au moins ça ne se voit pas.
Et puis, je dois avouer qu’il est heureux que ce trou fixe mon attention de temps en temps.
Je souffle de côté pour éviter d’avoir la fumée de ma cigarette dans les yeux et je la regarde chanter tandis que mes doigts courent sur le clavier.
J’ai accompagné mille fois « As time goes by », mes doigts n’ont pas besoin de moi pour faire leur travail…
Je ne regarde la partition que pour éviter que mon regard ne remonte le long de ses jambes et ne me pousse à « en mettre plein à côté » en essayant de deviner les merveilles cachées dans l’ombre de sa « minijupe ».
Elle a une voix de contralto bien placée qui ne colle pas avec la chanson.
J’aimerais qu’elle chante « Die schöne müllerin » rien que pour moi, je me prendrais un instant pour Edwin Fischer à l’accompagner.
Est-ce que Schubert passerait, ici ?
Là, à l’instant, est-ce que ça passerait dans cette boîte pleine de maquereaux et de demi-mondaines ?
Je crois que je vais lui demander si elle veut que je la raccompagne avant qu’elle ne fasse une mauvaise rencontre.
Enfin, une rencontre pire encore que ma pomme…