Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 30 juillet 2016

Le choix de Sophie.

Bon, c’est un peu chiant mais ce n’est qu’une « rédac’ » hein…
À la demande de Sophie qui hélas n’a pas de blog, je vais tenter de faire, comme à Merveille, « une rédac’ » pour lui dire « comment c’était une épicerie de quand qu’on était jeune ».
Je ne connais pas celles du quartier d’Heure-Bleue mais je me souviens très bien de la plus importante d’entre elles dans mon quartier.
Vous vous rappelez sûrement, lectrices chéries, que mon père m’envoyait parfois chercher son paquet de Bastos au tabac « Le Fontenoy » et ma mère « chez Galy » chercher le « pain parisien » qu’on n’entamerait que le lendemain car n’oublions pas que « le pain frais est difficile à digérer ».
Et surtout, je connais ma mère, le pain frais disparaît beaucoup plus vite que le pain rassis qui sera transformé en « pain perdu » après le passage du stade « pain très rassis » au stade « pain dur ».
Donc, après avoir tourné à gauche en sortant de la maison, puis encore à gauche je pouvais aller seul jusqu’au tabac car il n’y avait pas une rue à traverser.
Il fallait traverser la rue Championnet pour arriver chez « Galy », là « il faudra bien faire attention hein mon chéri et attendre qu’il n’y ait pas une voiture » , évènement peu probable à cette époque où il n’y avait même pas de feux entre la Porte de Clignancourt et Barbès-Rochechouart.
Arrivèrent les « évènements » de 1956 à Suez qui virent ma mère se livrer à son activité favorite : L’angoisse du ravitaillement « parce que la guerre, ça arrive plus vite que les rentes et si on n’a plus rien, hein… »
Quand nous fûmes estimés assez grands pour accompagner ma grande sœur lors des « ravitaillements », sucre, pâtes, huile, lentilles et autres produits qui devaient assurer notre subsistance pendant toute la durée de l’hypothétique conflit, nous eûmes le droit d’aller avec grande sœur pour l’aider à porter les « commissions ».
Nous irions quelques fois comme ça, pendant notre enfance, « faire les commissions ».
Pour « l’affaire de Suez » en 1956, pour « le coup d’État » en 1958.
On y eut même droit deux fois en 1961, pour « les factieux de l’OAS » au début de l’année puis pour « les fusées de Cuba » vers la fin de l’année.
Ça s’est calmé, sans doute parce qu’on avait du mal à ranger les assiettes dans le buffet, jusqu’à l’assassinat de Kennedy en 1963.
Nous avons donc eu deux ans de paix…
Mais ces « commissions », où allions nous les faire ?
Chez la « Grande épicerie Poitevin »  Boulevard Ornano.
On passait souvent devant mais c’est vers la fin de 1956 que j’y entrerai pour la première fois avec quelque chose à porter.
Ce qui frappait dès qu’avaient disparu les effluves de croissant frais en sortant de chez Galy, c’était la foule de senteurs qui arrivaient de chez Poitevin.
Le trottoir devant la boutique était déjà occupé par un étal gigantesque devant lequel des sacs de jute avec leur « mesure » attachée à une ficelle permettaient de se servir de haricots, de lentilles, de riz, de cacahuètes entières, de pois chiches et même de graine de couscous.
Derrière les sacs, sur les étals, des caissettes de bois contenaient des fruits secs, abricots, raisins, pruneaux, dattes et même des noix décortiquées mais ça c’était cher, il valait mieux prendre les noix dans le sac de jute…
Si vous saviez, lectrices chéries, ce que j’ai pu me retenir de prendre un abricot sec et le manger sur le champ. Un coup à prendre une tarte de grande sœur…
Une fois entrés dans la boutique, c’était tout sombre, que du bois, et presque noir à force de décennies de fumée, celle du poêle et celle des cigarettes.
Plein d’étagères et d’autres étals.
Ceux avec plein de bassines qui parfumaient le magasin et même les blouses grises des vendeurs, avec leurs olives marinées, les vertes, les noires, toutes avec leur noyau, leurs poivrons épicés « qui avaient du sentiment », les grandes boîtes métalliques d’anchois à l’huile ou de sardines salées.
Sur les étagères, des condiments, des huiles de toute sorte, des vinaigres.
À la limite, à acheter un kilo de sucre et deux kilos de haricots, rien qu’avec les parfums de l’épicerie, nous étions nourris pour la semaine…
C’était une véritable épicerie.
Pas de saucisson, ça c’était chez le charcutier où on ne prenait que du jambon pour ma mère.
Pas de vin. Le vin, c’était chez le marchand de vin des  « Caves Championnet », là où la concierge du passage Championnet celle « qui se saoulait au Porto » et son voisin joueur de clairon achetaient le « vin à 60 francs à la tireuse » mais on n’en buvait pas à la maison.
Sauf du « Rosato », un faux champagne rosé italien, un vin doux pétillant, que ma mère achetait pour Noël.
Je ne sais pas quand Poitevin a fermé.
Je sais juste qu’aujourd’hui c’est un Franprix.
Tout comme l’Ornano 43.
L’Ornano Palace où j’avais vu « Les Dix Commandements » est lui devenu un Intermarché après avoir été un Prisunic.
Voilà, Sophie, ce que je peux te dire de l’épicerie de mon enfance.