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vendredi, 30 août 2019

Devoir de Lakevio du Goût N°6

compartiment_c_voiture_293_Hopper.jpg

C’est la rentrée.
Même pour Hopper qui dans ce tableau a l’air de nous poser des questions étranges et indiscrètes.
À quoi peut-elle penser qui lui donne cet air ?
Je n’en sais rien mais je compte sur vous pour le dire lundi.
Après tout, c’est aussi la rentrée pour vous et moi…

Dans les mailles de l'inspecteur Mylan...

Elle a téléphoné à l’Ours.
Elle est malade.
Gravement.

Je lui ai dit « tu as déjà eu ça, tu as les médicaments qu’il faut pour soigner ça... »
La confiance que m’accorde la lumière de mes jours s’étiole de jour en jour…
Je l’ai senti quand elle m'a jeté à la face « Et si je fais un œdème de Quinck ! Hein ? Tu y as pensé ? »
Bref, elle souffre.
Elle souffre atrocement.
Évidemment, quand elle souffre c’est « atrocement », elle ne peut pas tout bêtement « avoir mal ».
Ça, ça n’est tout simplement pas possible.
Mais il y a quand même un léger progrès.
Auparavant, en cas de bénignité de l’affection, elle se contentait d’être « un bloc de souffrance »…
Aujourd’hui, c’est autrement grave car c’est « atrocement ».
Elle a tout ce qu’il faut pour se soigner mais comme elle subodore un cancer généralisé qui se sera déclaré entre la fin du petit déjeuner et le déjeuner, elle préfère se confier au médecin le plus reconnu de la famille.
Elle a donc appelé l’Ours.
L’Ours l’a aussitôt rassurée mais lui a recommandé de prendre le médicament adéquat.
Elle lui a donc jeté l’antienne qu’habituellement elle me réserve :
« Tu sais bien que je n’ai pas peur des médecins mais des médicaments ! Et si je fais un œdème de Quinck ? »
Elle a ajouté imprudemment « en plus avec celui là, je vais pourrir la vie de ton père pendant six jours ! »
J’ai alors laissé échapper « Bof… C’est comme ça depuis près de cinquante ans, alors je ne suis plus à six jours près… »
Assez étonnamment, ça l’a fait rire.
Elle ne mourra donc pas cette semaine.
Tout n’est donc pas perdu.
Tant que je réussis encore à faire sourire Heure-Bleue, la vie est belle…

jeudi, 29 août 2019

Ce n'est pas une création d'Otto Preminger

Le monde compte une merveille de plus.
Bon, j’eus préféré l’apprendre autrement qu’en étant arraché des bras de Morphée à six heures et vingt-trois minutes ce matin.
Mais la joie explique sans doute la chose.
À moins que, le connaissant comme je le connais, il n’y ait derrière cette annonce a priori heureuse, une volonté de me faire sursauter en plein sommeil.
Oui lectrices chéries, mon ami, celui avec lequel je ne suis d’accord sur rien sauf les vinyles des années soixante, mon ami donc a été transformé en grand-père cette nuit.
Il m’a envoyé une photo de sa fille, que j’ai connue étudiante en médecine et qui est maintenant médecin et aujourd’hui a gagné le droit d’être patiente pour une bonne vingtaine d’années…
C’est une petite fille dotée d’un très beau prénom qui vient d’arriver.
D’après la photo, cette petite est douée pour dormir.
Ses paupières n’ont pas un pli disgracieux.
« En même temps », comme dit un président, ça me donne un peu de répit dans la réalisation de la bidouille que je concocte pour cet ami.
Bref, elle est belle.


mardi, 27 août 2019

"Médême R."

« WWLF » a dit Adrienne ce matin.
Je crois que je fais ça avec ma cervelle.
Une information m’arrive via la radio ou une phrase entendue dans le bus et, de proche en proche, je me promène en des endroits et croise des gens disparus depuis des lustres.
Heureusement que ma grande sœur est là pour me rappeler que ça a existé tout de même.
C’est pour ça qu’il y a quelques jours, j’ai appelé ma grande sœur.
Bon, cette façon de dire n’est pas sans rappeler Fernand Raynaud mais il ne s’agit pas de ça ni de « 2 CV ».
J’appelais ma grande sœur après avoir entendu quelque chose à la radio à propos « d’international de football ».
Le type était payé un bras et s’offrait, avec l’accord de la banque et du garagiste, des bagnoles à un œil.
Ça s’est gâté quand, aux dires des journalistes, il avait tenté de s’offrir, sans l’accord de la loi ni de la dame, les charmes de cette dernière sans sa permission.
Bref, ça avait fait des histoires…
Et ça m’a rappelé une autre histoire « d’international de football ».
Quand j’habitais dans « ce coin de voyous plein d’Arabes » dixit ma mère, je regardais souvent à la fenêtre qui donnait sur « l’autre passage », celui des copines de mes deux petites sœurs.
A l’une des fenêtres de l’immeuble en face, je voyais souvent s’appuyer une dame.
Je me rappelle qu’on l’appelait « Médême R. » car on avait le respect appuyé dans ce quartier où, hormis mon père dit « Lemmy », monsieur « de C. » et les commerçants  qui se rasaient tous les jours, le rasage hebdomadaire était plutôt la règle.
Quand l’heure de la déférence sonnait, les hommes ne disaient pas « m’dame » ni « ma p’tite dame », non, ils disaient « Médême ».
« Médême R. » donc, me revint à l’esprit et pour être sûr qu’il s’agissait bien d’elle, j’ai appelé ma grande sœur.
De qui se souvenait-elle de l’immeuble en face ?
Pas « Médême R. » non mais de monsieur « de C. » qui avait un fils qu’elle se rappelait parfaitement car il la regardait comme un gâteau quand elle avait quinze ou seize ans.
Elle avait donc parfaitement compris de quoi il retournait et ça l’avait suffisamment frappée et flattée pour qu’elle s’en souvînt soixante ans plus tard…
Quant à « Médême R. » elle s’était échappée de sa mémoire et ne se rappelait que la dame en peignoir de soie qui fumait.
Je me rappelais bien finalement cette dame.
Elle traînait dans la pièce, devant la fenêtre ouverte, en peignoir que je pensais de soie alors qu’il s’agissait plus probablement de rayonne, tenant d’un geste précieux un fume-cigarette de cinquante centimètres  au bout duquel était fiché une cigarette au papier de couleur violette.
Les bruits couraient dans la rue qu’elle avait été mariée à un « international de football » et qu’elle fumait des cigarettes russes dont les mégots multicolores jonchaient le trottoir au bas de chez elle.

lundi, 26 août 2019

Madame lui fit faire une paire de lunettes roses et des souliers lilas

devoir de Lakevio Lilas Manet.jpg

Ah ça ! J’ai eu une riche idée de croiser, au hasard de mes pérégrinations dans l’œuvre de Manet, cette branche de lilas blanc.
Elle m’en a fait revenir le parfum dans le nez du fond de mon enfance.
J’avais pourtant bien enfoui ce fichu lilas mauve.
Celui qui me valut des homélies maternelles quasiment chaque vacances de Pâques.
Non ! Je ne veux rien dire de ces arbrisseaux qui meublaient l’allée qui longeait la maison de mes grands-parents entre la porte d’entrée et le jardin !
Je ne vous dirai rien de cette longue plate bande plantée de narcisses, de pensées et de giroflées où quelques violettes poussaient discrètement.
Au coin du mur qui nous séparait des B. un pied de lilas au coin semait ses surgeons de façon anarchique.
Je revois le haut des arbustes toujours entortillé d’une treille qui courait sur le faîte du mur.
J’avais pourtant bien dit que je ne parlerai pas de ce fichu lilas.
C’est râpé !
Évidemment que j’en parle. Bien obligé, d’abord c’est le devoir de ce lundi.
Mais je n’aime pas.
Chaque fois c’était la même chose.
Je sortais de chez mes fous pour aller chez ma grand’ mère.
Je dis ma grand’ mère alors qu’il y avait aussi le grand-père mais il causait peu.
Il faisait attention à ce que je ne lui « pique » pas des outils pendant qu’il tissait ses « araignées », celles qu’il vendait aux pêcheurs braconniers du coin.
Un fois là-bas, j’attendais le dimanche de Pâques.
C’est le seul dimanche de l’année où la messe est obligatoire.
C’était le seul dimanche de l’année où on ne m’obligeait pas à aller à la messe.
Mais ce lilas…
Ce fut toujours la même histoire pendant quelques années.
Je cherchais dans les fleurs de cette plate-bande les petits sachets d’œufs de sucre multicolores amenés là par les cloches me disait ma mère.
Je ne la croyais pas mais je me dépêchait parce que mon grand-père se livrait à une concurrence déloyale et effrénée dès que ma mère et ma grand’ mère avaient le dos tourné.
Quand j’en avais trouvé suffisamment, je sortais le nez des giroflées rouges et de leur parfum à la fois capiteux et acidulé pour sentir le lilas qui explosait en une efflorescence  mauve et d’odeur délicate.
C’est là que ça se gâtait, je tentais d’en arracher quelques branches et ça finissait toujours par une engueulade.
J’arrivais avec une poignée de brindilles décorées de ces petites fleurs mauves en forme de croix, les jambes pleines de griffures, peu protégées qu’elles étaient par une culotte courte.
Je tendais ce misérable bouquet à ma grand’ mère.
Je crois bien que c’est la seule fois de l’année où elle m’embrassait.
Enfin… M’embrassait… Plus exactement me tendait une joue rêche pour que j’y posasse mes lèvres.
Ma mère me collait une claque sur les cuisses parce que « je-t’ai-déjà-dit-mille-fois-de-ne-pas-cueillir-de-fleurs-dans-le-jardin-tu-vas-te-défigurer-les-jambes-en-tombant-de-l’arbre ! »
Puis elle m’embrassait à son tour parce que « tu-es-quand-même-un-gentil-petit-garçon-mon-chéri ».
Voilà pourquoi je ne voulais pas parler de ce fichu lilas.
Je me suis encore piégé tout seul à regarder ce tableau d’Edouard Manet…