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jeudi, 23 février 2012

Le gâteau de Varsovie

La note de Milky m’a remis en mémoire un de ces intermèdes de la vie scolaire qui font le charme de la vie en général et des repas familiaux en particulier.

La plus grande de mes trois sœurs –oui, j’ai trois sœurs comme ce Russe si connu et si mort-, vraiment  plus grande avec sept ans de plus que moi, est revenue un soir de l’école toute fière.
« Maman ! On a appris la pâtisserie aujourd’hui en arts ménagers !»
Oui, à cette époque bénie,  chaque chose et chacun avait sa place et s’y tenait, les esclaves étaient noirs et les maîtres blancs, les hommes allaient travailler et les femmes faisaient la cuisine, les chefs gueulaient et les ouvriers bossaient,  les voleurs mentaient et les flics baffaient, bref la routine d’un monde ordonné.

Il y avait donc à l’école des cours d’arts ménagers.
J’ai vu ma sœur partir avec de petites pelotes de laine détricotée par ma mère et revenir avec de petites monstruosités tortillonnantes censées être des « pochettes »,  pochettes ayant sans nul doute servi de modèle au réalisateur de « Le père Noël est une ordure » quand il a pensé au cadeau d’Anémone.
Je l’ai vue partir avec des morceaux de tissu et revenir avec des  pièces de layette qui auraient suscité une inquiétude légitime chez la mère du nouveau-né.

Néanmoins, il y avait un enseignement plus risqué que les autres pour la famille.
Je veux parler de la cuisine…

Ma grande sœur, ce soir là, arriva donc toute fière de ses nouvelles connaissances de cuisinière.
Elle allait faire le dessert.
Ce qu’elle avait appris aujourd’hui.
« Maman, c’est des pavés polonais !»
Ma mère, qui était chiante mais malgré tout patiente et compréhensive –si elle ne l’avait pas été, vous ne connaitriez pas mes épouvantables tartines sur ce blog- la laissa faire, certains regards, avec le recul de l’âge me paraissent aujourd’hui avoir été emprunts de doute voire d'effroi, mais elle ne dit rien.
Les… les... enfin les choses furent passées au four.
Mon père rentra du charbon, fatigué mais content (ça va ? ça fait assez « Zola » ?).
Ma mère prépara le dîner.
Comme chaque soir ma grande sœur mit la table, mon père alluma la radio pour écouter le fracas du monde –en ce temps là, la guerre d’Algérie succédait pile poil à la fin de la guerre d’Indochine- et nous autres nous tenions à carreau, attendant que ma mère m'envoie acheter des pâtes, du riz, de l'huile et du sucre -à chaque fois qu'un point de tension paraissait dans le monde, elle stockait-…
Dès la fin des infos, la famille Duraton arrivait et c’était l’heure de se mettre à table.
Ma grande sœur avait pris l’air mystérieux de ceux qui savent et, pour une fois avait lassé tomber le côté « Mademoiselle j’ordonne » des ainées.
Vous connaissez, je suis sûr, cette façon de marcher genre « Jeanne au bûcher », les yeux mi-clos, l’air sérieux mais les lèvres ayant du mal à masquer le demi-sourire de ceux qui ont enfin réussi « un truc de grand ».
Ma petite sœur se disputa avec la sœur encore plus petite, ma mère rétablit l’ordre comme d’habitude, -une taloche à chacune et le conseil de ne pas dire « ouf » sous peine de voir arriver sa compagne, suivi du rituel « je ne vous souhaite pas de mal mes petits enfants, seulement d’avoir des enfants comme vous …».
Mon père ne disait rien, il était juste content d’être là et encore vivant.
La soupe avalée –on ne dira jamais assez les bienfaits de la dèche dans les années cinquante sur l’équilibre métabolique des enfants-  plus ou moins facilement, encore des piaillements d’une de mes petites sœurs qui n’aimait pas la soupe mais refusait qu’on la mangeât à sa place…
Vint enfin le moment du dessert.
Grande sœur alla chercher la tôle dans le four, et arriva à table, la portant tel le Saint Sacrement.
Ma mère présenta la chose comme l’œuvre de Grande Sœur toute seule  –après coup je me dis qu’elle s’est lamentablement débinée…-
Ma mère : « Regarde ce que ta fille t’a préparé ! Une recette apprise aujourd’hui même à l’école ! »

Grande Sœur :  « Ça s’appelle des pavés polonais !»
Nous autres, les petits attendons notre part de ces petites crottes carrées.
Grande Sœur, hyper fière tend la tôle à mon père qui la remercie en prenant un carré –pas fou le père du Goût, il n’a pas survécu à cinquante trois mois de campagne sans un minimum de prudence…- et le croque.
Après le moment de surprise qui a suivi le bruit d’écrasement,  il a souri, a regardé Grande Sœur et a dit « Bon, sur le côté gâteau, ça manque peut-être un peu de sucre .»
Puis, après avoir croqué un second morceau « En revanche, le côté pavé est parfaitement réussi… ».

Eh oui, il était comme ça mon père.
Extrêmement gentil mais incapable de se taire pour le plaisir de faire « un mot ».

Commentaires

Et moi, je pense que tu as inventé le nom du gâteau (des pavés polonais ?), juste pour le plaisir de faire un jeu de mots sur le titre ! ;))

Écrit par : liwymi | jeudi, 23 février 2012

j'ai l'impression que ton père et toi vous vous ressembliez drôlement !

Écrit par : liliplume | jeudi, 23 février 2012

tu as raison pour le gâteau, en fait, l'épisode est tout à fait véridique mais les gâteaux s'appelaient des "pavés hongrois", mais comme l'épisode est arrivé avec le début de la guerre d'Algérie, pile poil, ça ne collait plus.

Ça serait arrivé avec l'arrivée de l'Armée Rouge à Budapest en 56, je me serais creusé la tête pour un autre titre...

Écrit par : le-gout-des-autres | jeudi, 23 février 2012

Les avez vous tous "pillé" ces pavés ?

Belle journée à vous deux.

Écrit par : patriarch | vendredi, 24 février 2012

un grand moment, j'ai bien ri !

Écrit par : saperli | vendredi, 24 février 2012

comme quoi les chiens ne font pas des chats, et les grandes soeurs ne sont pas fille de vitrier ! heu ! non de tailleur de pierres !

Écrit par : maevina | vendredi, 24 février 2012

Chez moi , on ne touchait pas aux gamelles , mon père cuisinait ainsi que ma mère , la nourriture était trop chère pour qu'ils se risquent à nous laisser expérimenter des recettes .

Écrit par : Brigitte | vendredi, 24 février 2012

En quatrième et troisième, on avait des cours de cuisine. J'en garde d'ailleurs un souvenir très précis, plus que des cours sur les sinus et les cosinus ! Nous avions appris à faire des gougères au fromage, de l'île flottante… Garçons et filles étaient logés à la même enseigne. Et je me souviens qu'un Pierre-Noël V. avait laissé son caramel sur la plaque de cuisson électrique un jour d'exercice d'alerte incendie ! ;))

Écrit par : liwymi | vendredi, 24 février 2012

Je flaire dans cette histoire goûteuse comme un avant-goût d'autres histoires savoureuses qui ne demandent qu'à fuser... UNE AUTRE-UNE AUTRE !

Écrit par : Cath | vendredi, 24 février 2012

Moi aussi j'en redemande...! Le titre m'a fait exploser de rire - comme d'hab ! Et à mon avis le scénariste du "Père Noël est une ordure" n'a pas fait que piquer l'idée du gilet-serpillière : je suis certaine que les "Doubitchou de Sofia" offert par le voisin ont été plagiés sur les "Pavés Polonais" ;o)

Écrit par : Frédérique | samedi, 25 février 2012

Je peux avoir du rab?

Écrit par : mab | samedi, 25 février 2012

Les commentaires sont fermés.