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jeudi, 07 novembre 2013

Les nourritures terrestres...

Avant de continuer « Les aventures du Goût chez les fous », je dois rassurer Mab qui apparemment était inquiète pour mes bien chers Frères.
Mab, mon enfant, n’aie pas peur –depuis que j’écris ça, je me prends pour JP II- ! Contrairement à tes craintes je ne suis pas devenu le cauchemar des Frères.
Les Frères sont restés mon cauchemar. Tu pourras l’apprécier d’ici quelques notes quand les « grandes vacances » approcheront.
S’ils n’ont pas réussi à me « mater » ils ont réussi à me rendre assez faux-cul et m’ont appris l’art de l’argumentation. Surtout l'argumentation spécieuse.
Demandez à Heure-Bleue... 
Ce talent si utile aux religieux dans leurs entreprises de faire prendre des vessies pour des lanternes au benêt qui a le tort de les croire.
Revenons donc à mon histoire.
Même si elle ne passionne pas les foules, n’oubliez pas, lectrices chéries que vous êtes mes psys adorées et gratos.
Surtout gratos.
Bon, adorées aussi.
L’heure du déjeuner arriva enfin, nous étions tous affamés et, fort heureusement, la qualité et la quantité de la nourriture proposée étaient assez basses pour nous éviter de sombrer dans l’obésité.
Quant au goût des mets, il nous préservait efficacement du péché capital de gourmandise…
La cérémonie du repas était immuable, il fallait dès l’arrivée à sa place, derrière le banc, se tenir debout et attendre que le Frère-surveillant se tienne debout à sa place, sur l’estrade qui portait la table des Frères et nous enjoigne d’entamer le bénédicité.
Cette prière était soigneusement contrôlée en paroles et en durée pour nous éviter d’en avaler la moitié des mots avec hâte pour nous jeter ensuite sur nos assiettes avec voracité.
Non, non, il fallait suivre le rythme imposé par le récitant et attendre avec patience qu’il ait psalmodié le « amen » tant attendu puis qu’il dise « asseyez-vous
».
Nous commencions tous alors à piocher dans nos assiettes en attendant avec impatience que tintinnabule la clochette qui donnerait à tous les élèves l’autorisation de parler.
Autorisation qui ne durait guère que quelques minutes, les légers chuchotis du début des conversations se transformant rapidement un brouhaha assourdissant.
Je m’écrasai soigneusement pendant les cours de l’après-midi. A la maison, c’était petit et nous étions entassés mais j’aimais bien l’idée d’y retourner avant les « grandes vacances », exit donc, les questions saugrenues qui me venaient en écoutant les cours du Frère-maître-d’école.
Après le dîner, composé essentiellement de soupe et de pommes de terre, nous avions droit à une longue récréation qui nous amenait jusqu’à l’heure du coucher, vers huit heures et demie.
Seuls n’allaient pas immédiatement au lit ceux, dont je faisais parfois partie, qui avaient « gagné une heure sans ». Les autres avaient le droit de lire les « illustrés » autorisés par l’école. Pas question de s’aventurer chez les Frères avec « Pif le chien » censément communiste ou « Tex Tone », illustré de cow-boys qui ne feraient que nous dissiper et nous détourner de la voie de la raison, Tintin était particulièrement bien en cour, pas autant que « Cœur Vaillant » certes mais très bien vu.
Le lendemain, jeudi, la journée commença par la messe.
C’était notre Frère à nous qui tenait l’instrument dont j’appris que c’était un harmonium. J’en trouvai le son agréable et ça me remonta un moral durement entamé par la disparition de mon dimanche à la maison. Je n’avais absolument aucune idée de ce qui se passait là. Je n’étais jamais entré dans une église et encore moins assisté à la messe. Je m’étais mis au plus près de l’harmonium pour avoir au moins une occupation : suivre les doigts du Frère sur les claviers de l’instrument. Je suivais tant bien que mal l’office, copiant sur les autres les mouvements à faire. Debout. Assis. A genoux. Marmonner en faisant semblant de savoir de quoi il s’agissait. 
A un moment tout de même, guidé par l’harmonium, je me mis à chanter le « refrain » entonné par tous, le « miserere nobis ».
J’eus à ce moment-là droit à un regard intéressé du Frère-organiste. Quand le Père leva la main et dit « Ite missa est », le Frère-organiste dit d’une voix forte « Monsieur S. Venez ici ! »

mercredi, 06 novembre 2013

Et dieu dans tout ca ?

La récré prit fin, psys gratos chéries, « en un combat douteux », l’autre ruminait les raisons de sa colère pendant que nous nous mettions en rang par deux...
Je repenserai à cet instant quand je lirai de Pascal, qui n’était pas un super humoriste, « Si tous les hommes savaient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde. »
Pour vérifier cette assertion sans doute, « on » me chuchota, et c’est là que je compris que la soumission est un sentiment fragile, en rentrant en classe qu’il avait eu un peu peur parce que d’habitude, quand l’écharpe s’abattait sur un contestataire, elle le frappait en pleine figure et laissait le gamin pleurant et souvent saignant du nez.
Pire, que celui qui saignait du nez était puni pour s’être battu et était seul parce qu’il n’était pas question, sous peine de représailles, de dénoncer celui qui vous avait battu. Je pus vérifier cette injustice dès la fin de la récré. Le Frère, quand il me vit la lèvre ensanglantée m’attrapa au passage par les petits cheveux qu’on a sur les tempes.
Oui, ces petits cheveux qui prouvent que Newton avait tort avec son affaire de pesanteur car on s’envole pour les suivre.
Le Frère me tira et m’enjoignis de me mettre à genoux à côté de la porte. Je fus rejoint quelques instants plus tard par mon agresseur qui commença par me jeter un regard noir et me montrer un poing menaçant.
- T’as encore du sang sous le nez. Lui dis-je à voix pas assez basse hélas, ce qui me valut une tape sur la tête de la part du Frère, agrémentée d’un sauvage « Et ce sera une heure ».
J’accueillis la sanction d’un « mais enfin ! C’est pas juste ! » et fus illico remercié d’un coup de règle sur les fesses et une rallonge d’une heure.
Mon agresseur me regarda désormais avec le respect dû à celui qui se rebiffait contre l’Autorité.
Le fait qu’il put rater son coup avec un nouveau et que celui-ci, après l’avoir insulté lui avait tenu tête et s’en était sorti quasiment sans combattre le poussait si ce n’est au respect de l’adversaire au moins à la méfiance. Je n’avais pas encore sapé son autorité mais d’être puni avec lui m’avait au moins assuré une paix relative pendant les récrés.
Il allait me falloir néanmoins gagner la neutralité des autres fauves qui hantaient cette cour…
L’occasion m’en serait donnée dès le prochain cours d’instruction religieuse, donné le mercredi, histoire de nous donner matière à réflexion le jeudi, jour de la promenade.
Ce qui suit vous a déjà été relaté, lectrices chéries, mais c’est à ce moment que c’est arrivé.
Alors, hein...

C’est donc ce mercredi-là que j’ai découvert que ma mère aurait dû éviter de m’envoyer dans une école religieuse.
Mes parents auraient dû se méfier d’un gamin qui, regardant le réveil, ne demandait pas « pourquoi les aiguilles tournent ?» mais « qu’est-ce qui fait tourner les aiguilles ?».
Ils auraient dû d’autant y réfléchir qu’il y avait déjà eu quelques explications orageuses, suite à des démontages intempestifs de réveil...
Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris que quand quelqu’un demande « comment ça marche » plutôt que « pourquoi ça marche », c’est une âme perdue…
Ce n’est pas que j’étais ce qu’on appelle « un esprit fort », non, c’est que j’étais curieux et peu apte à croire sans demander d’explications un peu plus convaincantes que « c’est comme ça ! ».
Non que je fusse déjà l’anticlérical forcené ou le ricaneur adepte du « croa croa » au passage d’un curé. Ma mère m’aurait d’ailleurs collé une taloche si j’avais osé…
Je ne savais rien encore de ces querelles qui divisaient les Français depuis près de deux cents ans et ne pouvais donc pas avoir d’avis bien tranché…
Du coup, je connus ce mercredi-là, pour la première fois et de façon aiguë, la sensation particulièrement désagréable du sentiment d’injustice.
Ça commença avec ma première leçon « d’Histoire Sainte ».
Je suppose que comme tout bon chrétien vous vous souvenez de ce début de la Genèse qui nous dit « Au commencement était le Chaos » et un peu plus loin,  « Que la lumière soit, et la lumière fut », « Et dieu vit que la lumière était bonne ».
Bref, après avoir séparé la terre de l’eau, le jour de la nuit, etc. « l’Eternel » arrangea son petit métier et tout désormais irait pour le mieux.
Le Frère termina sur l’affirmation péremptoire qu’après avoir « Créé le Ciel et la Terre », le septième jour l’Eternel alla se reposer. J’en déduisis que c’était pour ça qu’il y avait le dimanche.
La cloche retentit.  L’histoire était intéressante mais l’idée d’aller dans la cour l’était plus encore.
Dès que la cloche retentit de nouveau, l’injonction « en rang par deux » du Frère-instituteur placé à l’entrée de la classe « et en silence s’il vous plaît messieurs ! », le cours reprit.
Le Frère, continua un instant à nous raconter la Genèse et nous demanda « vous avez bien compris, messieurs ? », il reprit un souffle qu’il avait court et ajouta « si quelque chose vous a échappé de la Création du Monde, c’est le moment de le dire ! »
Je levai timidement le doigt.
« Oui monsieur S. ? Que n’avez-vous pas compris mon fils ?»
«  Mais alors, qui a créé Dieu ? ».
La classe était déjà silencieuse –parler en classe valait une heure à genoux- mais là le silence devint si profond que j’eus l’impression d’être devenu sourd.
Comment avais-je osé ! Il y a des choses qu’on ne remet pas en question.
« Dieu a toujours existé et existera toujours, il a créé l’univers qui nous entoure ! »
Et là, la phrase suivante fit s’envoler mon dimanche à la maison.
« Mais alors, dans quoi il est l’univers ? ».
Sans tenir compte de mon ingénuité, bien réelle, le jugement du Frère, quasiment une ordalie, tomba.
C’est là que je fus injustement convié à rester le dimanche à méditer sur le sort funeste qui attend le gamin qui pose des questions malvenues. D’autant plus malvenues que le Frère ne peut y apporter de réponse…

mardi, 05 novembre 2013

Caïn caha...

Et l’épreuve fut sérieuse, lectrices chéries, psys gratos de mon cœur...
Il ne m'étonne plus, à voir le comportement de ceux censés être des « camarades de classe »,  que le premier péché commis par l'homme fut le meurtre de son frère.
Le premier à me chercher noise, que je sus alors être « le chef », était une brute dont je me rappelle qu’il portait le nom de Carrier.
J'apprendrai plus tard qu'il portait un nom prédestiné, celui d'un conventionnel célèbre pour son sens aigu de l'efficacité en politique, notamment les négociations avec l'opposition...
Ce Carrier, faisant tournoyer au dessus de sa tête son écharpe nouée au bout pour en faire une sorte de massue, faisait le tour de « la division » à la tête de sa troupe, laquelle courait derrière lui, en un perpétuel assaut, sans cesse à la recherche de plus faibles qu'eux.
J'étais la cible toute désignée, inconnu et nouveau que j'étais et il espérait bien m’assujettir dès mon arrivée. 
C’était « le chef » parce qu’il avait eu, si l'on peut dire, le privilège d’être en CE1 pour la deuxième année consécutive,  ce qui lui valait une carrure de « type à la coule », plus intéressante pour un rôle de « caïd de cour de récré » que pour suivre les cours.
Il n’avait pas encore compris qu’un général avisé envoie les bidasses prendre les coups à sa place mais évite soigneusement de s’exposer... 
J’avais quant à moi un caractère plutôt doux mais malgré tout rétif à l’autorité.
Surtout celle qu’on voulait m’imposer en n’usant que de la force. Je faisais hélas partie de ces raisonneurs qu’il faut convaincre pour être suivi. Arrivé près de moi, il annonça d’un ton rogue qui n’attendait aucune réplique « toi le nouveau, t’es dans ma bande ! » .
On eût dit qu’il énonçait platement un fait.
Du coup mon « Pourquoi ça ? » le désarçonna. Il s’attendait certainement au « oui » soulagé de celui soudainement heureux d’être accepté dans une nouvelle famille, voire un acquiescement muet mais probablement pas à ce qu’on lui demandât sur quoi était fondée cette certitude.
- Parce que c’est moi le chef !
- T’es pas mon chef ! D’abord j'te connais pas !
Ses sbires, mi-admirateurs et déjà mi-traîtres nous entouraient, certains ricanaient d’avance.
- Ici c'est pas ta cour ! Hurla-t-il.
C’est là que le langage de charretier me sauva la mise. Après avoir vérifié, histoire d'éviter une taloche,  qu’aucun Frère ne traînait alentour je lui lançai :
- Peut-être mais en attendant, pauv’con, t’as qu’à aller te faire enc…
Il resta interdit quelques instants mais la présence de sa cour le poussa à réagir violemment.
- Pauv' con toi-même ! Tu vas voir ta gueule !
Je n’en menais pas large, il était plus grand que moi mais surtout semblait brutal et j’avais peur de prendre une raclée.
Néanmoins, la seule leçon, et elle m'est restée, que j’avais tirée de mon école de « voyous de la Porte de Clignancourt », c’était que même si on prenait une volée, il ne fallait pas céder, ne jamais « passer pour un dégonflé » sinon après tout le monde saurait qu’on pouvait te frapper. Et, pour ce que j’avais pu constater, on ne s’en privait pas…
Je savais donc d’entrée que le premier jour dans cette école de fous sanguinaires allait se solder par une raclée mais que je devrais me battre pour n’être pas réduit en esclavage par une petite brute.
Ce n’est jamais aussi clairement dessiné dans l’esprit d’un enfant d’un peu moins de six ans mais c’était bien ça.
A ma répartie, la coterie qui l’entourait se tut d’un coup. Le « chef » lui-même s’arrêta, interdit. Manifestement personne n’avait osé se rebiffer contre lui et encore moins avec ce langage de voyou.
Il se précipita sur moi en levant son écharpe, prêt à m’en asséner un coup. Je lui donnai immédiatement dans le genou un coup de pied assez fort pour que l’écharpe manquât sa cible, et c’était heureux, j’avais l’oreille encore sonnante du coup reçu sur le côté quand le nœud  m’avait frappé. C’était désagréable mais pas trop douloureux et ça me sauva. Surpris d’avoir reçu un coup de pied et me voir debout et apparemment peu inquiet, il recula prit son élan et me donna un coup de poing que je lui rendis aussitôt. Je saignais de la lèvre. Lui aussi saignait mais du nez et il repartit avec sa cour en disant « pff… vous avez vu hein ? Je l’ai eu hein ? »

lundi, 04 novembre 2013

Blood, sweat and tears...

Je squatte votre divan aujourd’hui encore, lectrices chéries.
Je vous sais, connaissant les tendances sadiques si fréquentes chez homo pas toujours aussi sapiens qu’il devrait, impatientes de savoir comment votre serviteur va se sortir de cette première tentative d’intégration chez ces fous sanguinaires que vous supputez mal disposés à mon égard.
Eh bien voilà :
En attendant cette récré, problématique à coup sûr, je m’assis à la place assignée par le Frère-Maître, au premier rang. Je remarquai aussi, près de la porte donnant sur la cour, deux élèves à genoux, les mains sur la tête et me demandai de quels crimes abominables ils pouvaient bien être coupables.
Je sus plus tard que je serai au premier rang pendant tout le temps que je passerai dans cette école, ma mère s’étant longuement épanchée sur les raisons qui l’avaient poussée à me confier aux bons soins des Frères…
Cela dit, ce Frère avait un certain talent pour se faire écouter, non qu’il fut particulièrement attrayant ni même simplement intéressant mais il avait une règle de bois dont il distribuait les coups assez libéralement sur le bout des doigts de ceux dont il jugeait l’attention défaillante.
Comme c’était mon premier cours, j’y prêtai attention. D’ailleurs, d’un naturel curieux j’appréciais plutôt d’aller à l’école et ce que je lui demandais était de m’intéresser, de me faire découvrir le monde et me l’expliquer. Une vraie graine d’élève en somme…
La cloche sonna, me surprenant en pleine réflexion sur ce que disait le Frère.
Je m’attendis à la même ruée qu’à la « grande école » de la rue Championnet mais non. Dans un silence religieux –oui, je sais…-  toute la classe attendit que le Frère ait terminé sa phrase et replié son grand cahier pour relever son pupitre et y ranger ses affaires. J’étais le seul à n’avoir rien à ranger…
J’appris pour l’occasion qu’on ne se précipitait pas non plus pour arriver le premier dans la cour et qu’il y avait un ordre précis qui consistait à faire sortir les rangs un par un en passant devant le Frère qui dispensait les taloches ou les satisfecit, selon le comportement pendant le cours de l’élève qui passait devant lui.
Je sortis donc dans cette cour cimentée que quelques tilleuls déplumés par l’automne meublaient difficilement. A peine dehors, je fus entouré d’une bande de garçons quasiment tous plus vieux que moi, tous n’étaient pas plus grands –merci maman et ta soupe- mais tous étaient curieux. Certains semblaient en plus désireux d’éprouver ma résistance à la coercition.
Manque de chance pour eux, s’ils avaient une assez forte personnalité pour être suivis par une petite cour de lèche-bottes, peu connaissaient ce langage de charretier que j’avais rapidement assimilé –j’ai toujours été plutôt doué pour les langues- pendant le peu de temps que j’avais passé à la « grande école » et sur les trottoirs où ma mère me traînait pour faire les courses.
L’épreuve promettait donc de se révéler assez sérieuse...

dimanche, 03 novembre 2013

Le grand sommeil...

Aujourd’hui, c’est psy chez vous, lectrices chéries.
Vous rappelez-vous votre Goût adoré, traîné par un Frère sadique dans un hangar plein de plumards ?
Ça y est ? Vous vous souvenez de ce dortoir dont je vous ai parlé il y a peu ?
Revenons-y.
Imaginez une pièce immense, dans laquelle tenait une quarantaine de lits de fer. Dans le coin près de la porte, une alcôve délimitée par un rideau blanc servait de chambre pour la nuit au Frère chargé le jour de nous enseigner. C’est à ce moment que j’appris que le Frère chargé de la classe dans laquelle j’arrivais passerait ses jours et ses nuits avec ses élèves. Les élèves garderaient leur lit d’année en année tandis que l’occupant de l’alcôve changerait chaque année. Mon « linger-préfet-de-police » m’amena à un lit dont la place me plut immédiatement. Le lit était devant une fenêtre, placé à environ un mètre du mur, je supputais déjà qu’allongé dessus, je verrai le ciel et la ramure, aujourd’hui dénudée par l’automne, d’un arbre dont j’apprendrai plus tard que c’était un acacia. Le Frère me dit de faire mon lit.
Une chose que je n’avais jamais faite. Je le lui dis. Il leva les yeux au ciel et se mit à me montrer comment- faire. Il le fit impeccablement. J’étais ravi. Hélas, il se mit en tête de le défaire et jeta tout par terre sauf le matelas. « A votre tour, monsieur, on est ici pour apprendre, pas pour être servi ! »
Je me mis à tenter de faire mon lit, la leçon fut dure, voire féroce. Je dus m’y reprendre au moins à cinq fois avant que le Frère tortionnaire reconnaisse que mon lit était « bien au carré ».
Après coup, je me dis qu’il avait bien fait et avait peut-être été plus patient avec moi qui étais le plus jeune qu’avec d’autres. J’aurais souvent l’occasion de le remercier intérieurement en voyant certains de mes « codétenus » recevoir une gifle et obligés de refaire leur lit plusieurs fois. A cette époque barbare, la gifle, les coups de règle sur le bout des doigts, le tirage des petits cheveux sur les tempes, les heures à genoux étaient considérés comme des compléments éducatifs acceptables et il était recommandé de ne pas s’en plaindre auprès de nos parents sinon ça donnait droit à une réédition de la scène mais à la maison…
Mon lit fait, mon guide m’amena dans la classe qui devait m’héberger pour l’année en cours.
Devant la porte de la classe, il frappa et entra. Le « Frère-maître d’école » se tut, tous les élèves se levèrent et psalmodièrent « Bonjour mon Père ».
Le Frère-Préfet me présenta au Frère-Maître qui à son tour se tourna vers la classe en annonçant « Voici votre nouveau camarade, monsieur S. que je vous demande d’accueillir sans vos habituelles méchancetés ».
Je vis des « camarades » tordre le nez, quelques uns me regarder avec curiosité et certains, que je jugeais aussitôt dangereux, avoir un sourire carnassier et je pressentais un accueil plutôt tendu. Je ne m’étais guère battu qu’avec mes sœurs, même avec la grande qui me dominait de deux têtes et une fois à la « grande école ». Cette première « vraie bagarre » m’avait permis de faire connaissance avec le concept de « raclée » mais je ne m’étais jamais battu avec une bande de fauves.
Mon avenir s’annonçait donc des plus sombres dès la prochaine récré…