jeudi, 08 septembre 2022
Le pain perdu.
Notre « boulanger d’en bas » est ouvert, comme il l’était au mois d’août.
Mais cette fois il m’a semblé avoir fait cuire le pain par un boulanger, un vrai.
Non qu’il fît lui-même la pâte, qu’il la pétrît chez lui car il n’est pas « artisan boulanger » mais cet été, vacances obligent, nous avions laissé tomber l’idée de lui acheter du pain.
Il avait apparemment décidé de congeler ses « pâtons » pour l’été.
Le pain congelé a une caractéristique ennuyeuse : vous vous trouvez, en cas de choc en sortant de la boulangerie, avec un tas de miettes dans le fond du sac.
En l’absence de choc, ce n’est guère mieux : Avec une baguette achetée le soir vers dix-sept heures, vous avez une bûche de chêne le lendemain matin.
En repensant à ce pain, un autre pain me revient à l’esprit, moins appétissant que la « Tradi » d’un « boulanger bio » de ma connaissance.
Ce pain qui me pousse à demander « une baguette, s’il vous plaît, plutôt cuite et chaude. »
Pourquoi ? Parce que cette nouvelle va, j’en suis sûr, vous laisser estourbies de surprise, car je suis sûr que je ne vous ai jamais parlé de ma mère.
Ma mère avait une idée précise de ce qui fait un « enfant bien élevé ».
Sans parler mais ce sera pour une autre fois, de l’idée encore plus précise de qui était digne d’être aimée par son fils, c’est-à-dire personne à part elle.
Ma mère donc nous envoyait chercher immuablement le pain qui, à ses yeux, représentait le nec plus ultra de la nourriture bourgeoise : le pain blanc.
Pour elle, le pain idéal était « un pain parisien bien blanc s’il vous plaît. »
Le pain qui finirait de cuire dans l’estomac s’il n’était pas vigoureusement, au besoin à l’aide d’une taloche, recommandé de le manger rassis.
Pour éviter disait-elle « les lourdeurs d’estomac quand on mange du pain frais ! Ça fait mal au ventre quand on mange du pain chaud ! ».
Elle nous envoyait chercher le pain « Et chez Galy, hein ! Pas chez Marion ! » car « Marion » faisait du « pain moulé », sacrilège aux yeux maternels.
Elle surveillait le pain comme le lait sur le feu et claironnait, au moment de mettre la table « Pas le pain frais ! Il en reste d’hier soir ! »
Ce « Il en reste d’hier soir, il est encore bon ! » me rappelle cruellement les façons de faire de ma mère.
À cette époque bénie où les enfants étaient presque sages, on ne se servait pas de pain entre les repas et à table il fallait le demander.
Tout manquement à la règle entraînant immanquablement une taloche, on y regardait à deux fois avant de piquer le croûton du pain.
Et il n’était pas question de baguette, ni même de « bâtard ».
Non, non, seul le « pain parisien de 400 grammes », le pain d’ouvrier, trouvait grâce à ses yeux, ce pain qui se garde trois jours.
Le pain qui finit en « pain perdu » et pas perdu pour tout le monde.
Même trempé dans le lait un bon moment avant d’être saupoudré de sucre et de cacao, le pain du fond de la huche avait bien du mal à ramollir…
Grâce à ce « Il en reste d’hier soir, il est encore bon ! » je suis encore aujourd’hui en mesure de digérer des briques sans grande difficulté.
Heure-Bleue ne peut pas en dire autant, amollie qu’elle est par une éducation qui la fit passer de la batiste au cachemire.
Ma mère réussit donc, à défaut d’enfants sans névroses, à nous assurer une digestion dans les règles de l’art.
10:42 | Commentaires (9)
mercredi, 07 septembre 2022
Sonate d’automne.
Ouais, je sais, c’est Bergman, pas moi mais ce film m’a plu.
J’en connais même deux qui me disent régulièrement « Oui mais toi tu aimes les trucs chiants ! »
Ce à quoi j’ai renoncé depuis longtemps de rétorquer « C’est vrai, d’ailleurs je vous aime… »
C’est une note décousue mais je suis sûr que vous saurez la raccommoder.
Ce matin donc, la lumière de mes jours et moi papotions.
La fenêtre de la salle de bain et de la chambre étaient ouvertes.
Elle pliait le linge à repasser tandis que je faisais le lit.
Vêtu d’un « T-shirt » et d’un caleçon, j’ai eu un léger frisson.
- Eh ! Il fait froid ce matin !
- Ah mais non ! Il fait bon !
Une de nos premières dissensions venait de refaire surface.
C’était une vieille histoire entre nous qui datait d’une bonne cinquantaine d’années.
L’automne approchant, la saison des coups de pieds nocturnes arrivait elle aussi…
Tandis que je posais – mal – les oreillers sur le lit, Heure-Bleue dit :
- C’est à la mi-juillet qu’on a eu le « Covid-19 », puis on est allé voir ma sœur.
- …
- C’est ça qui nous a fatigués, non ?
- Tiens, c’est bizarre, j’avais oublié qu’on avait eu le « Covid-19 ».
Aller voir ma belle-sœur m’a paru bien plus grave, du moins plus difficile à vivre qu’attraper le « Covid-19 » …
Ça prouve bien que les malheurs ne laissent pas tous la même empreinte.
L’automne de ce matin me fait penser à Modiano, je ne sais pourquoi.
Sûrement cette vieille douleur due à une mauvaise position, celle qui me rappelle que je suis bien parti pour être de « ceux qu’on ne voit plus », de ceux qui sont « devenus invisibles » comme dit la lumière de mes jours…
Je me rappelle aussi ce qu’on était, ce que nous étions tous avant…
Mais ils sont là et passent et repassent dans les rues, persuadés que les trottoirs portent encore la trace de leurs pas, que les murs gardent encore la marque de leurs regards.
Et je sais bien que d’autres « anciennes jeunes femmes et anciens jeunes gens d’une vingtaine d’années » gardent encore le souvenir de leurs regards.
Il me suffit de descendre une rue et de revoir une vitrine poussiéreuse pour que deux ou trois bulles de souvenir éclatent à la surface de ma mémoire et me fassent faire à « rebrousse-poil » la plus grande partie de ma vie.
Parfois avec bonheur, parfois plus tristement.
Quand c’est avec bonheur, je me délecte de revivre l’instant.
Quand ce n’est pas gai, le moment s’enfonce de nouveau dans ma mémoire, juste avant que la tristesse ne m’envahisse.
C’est curieux, je ne me mets à penser à la rue Turgot ou au café du croisement de la rue Condorcet et de la rue de Rochechouart que quand l’automne arrive…
Ça doit être la rentrée des classes, surtout celle de Merveille, qui me fait cet effet.
Ou bien ce temps d’automne si particulier à Paris où la température est encore clémente mais où la lumière faiblissante incite à la rêverie…
Je sais bien que je vous ai déjà parlé de la rue Turgot mais l’automne arrivant, c’est le moment où je vous parle de ça.
10:11 | Commentaires (5)
lundi, 05 septembre 2022
Devoir de Lakevio du Goût N°135
Cette toile de Nicole Bellocq me rappelle quelque chose.
Mais à vous ?
Inspire-t-elle une histoire quelconque ?
Si oui, j’aimerais qu’elle fût close par « Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »
J’aimerais vous lire lundi, même si « la rentrée » c’était hier…
Je vous ai déjà parlé de ma mère ?
Il me semble que c’était il y a une dizaine d’années, lectrices chéries, quand vous étiez mes psys aussi chéries que gratos…
Je crois vous avoir dit aussi que c’était quelqu’un d’infernal.
Aussi dispendieuse en taloches qu’en câlins, aussi indiscrète que secrète mais dotée d’un talent de tragédienne qui ne se démentit pas même le jour de sa fin.
Elle eut un jour de serrage de ceinture, l’idée de se lancer dans le commerce.
Elle avait commencé un dimanche soir par « Vous allez voir mes enfants… »
Mon père n’étant pas convié à cette cérémonie du lancement des grands magasins « Mère-du-Goût & Sœurs », il préféra aller ailleurs.
Il connaissait ma mère et savait d’avance qu’il serait invité fermement à porter des paquets concoctés par ma mère, redoutable emballeuse.
Une petite valise de représentant, préparée par elle, vous allongeait un bras de vingt centimètres en moins de deux cents mètres…
Elle commença donc, ce dimanche-là par « « Vous allez voir mes enfants… »
Et continua « Nous allons écumer les marchés des communes de la Seine ! »
Giscard n’avait pas encore créé la Seine-Saint-Denis et plusieurs communes étaient dans la Seine et dans le collimateur de ma mère.
Elle visait des endroits qu’elle connaissait comme Aubervilliers, La Courneuve et Pantin voire Pierrefitte car elle n’allait jamais loin de Paris, des fois que…
Là où nous, ses enfants surtout moi qu’elle appelait, plutôt déclamait, « Mon fils ! Mon sang ! Chair de ma chair ! » avons douté, c’est quand elle a dit « J’ai toujours rêvé de fourrures… »
Hélas, outre une mise de fonds conséquente dont elle n’avait pas le premier sou, elle était frileuse comme une chatte et visait des marchés où seuls les mois de juin à septembre lui semblaient intéressants.
J’émis, malgré mon jeune âge et surtout le fait que je n’avais rien à cirer des lubies de ma mère, l’objection qui orienta sa trajectoire commerciale vers des terres moins risquées.
- Euh… Maman…
- Oui mon fils ! Écoutez votre frère ! Il va au lycée…
Je commençais à me sentir gêné.
- Maman…
Elle eut un de ces regards d’adoration qui me mettaient mal à l’aise.
Un de ceux qu’elle me jetait quand j’osais amener un copain à la maison.
Un de ces regards qui annonçait une catastrophe genre « Viens mon fils ! Viens mon sang ! » qui me paralysait mais ne l’empêchait pas de finir par « Et si tu me présentais ton petit camarade, Bichonnet ? » tout en me prenant la main de peur que je perde l’équilibre.
J’insistai donc…
- Maman… Tu crois que des fourrures ça se vend bien au mois de juillet ?
Elle décida sur le champ que j’étais rien moins qu’Einstein et choisit dès lors de vendre du linge de maison sur les marchés.
Ce qui n’alla pas sans tension dans les relations entre ma mère et le Trésor Public.
Ma mère ne voyait pas pourquoi elle céderait une part de son bénéfice alors qu’elle s’était déjà dévouée pour donner quatre enfants à la Patrie, vivants, certes mais tout de même…
Le Trésor public n’était pas du même avis ce qui entraina des échanges de courrier sur papier bleu car la vie n’est pas toujours rose...
En grandissant, j’ai évité d’amener à la maison des copains, surtout des copines, redoutant ses démonstrations théâtrales, son sens aigu de la propriété surtout en ce qui concernait son fils car elle avait décidé une fois pour toutes que je ne pouvais aimer qu'une seule femme.
Elle...
Ses demandes « Au fait cette petite dont tu as parlé à ton père ? Tu me la présentes quand ? » ne furent donc jamais satisfaites.
Au point qu’un jour elle finit par me dire « Alors tu as honte de ta vieille mère ! »
08:32 | Commentaires (18)
samedi, 03 septembre 2022
Suis-je fou, Allier ?
Comme vous le savez toutes, lectrices chéries, nous sommes partis, pas joyeux du tout, pour des courses non seulement lointaines mais pas drôles du tout.
Nous sommes allés à M. !
Ouaip ! V’zavez bien lu ! M.. à côté de M. et V.
Prudent car connaissant depuis aussi longtemps qu’Heure-Bleue notre hôtesse, j’avais emmené des livres.
D’abord le polar que j’avais commencé puis un autre au cas où.
Les deux bouquins avalés, les courses faites et la cuisine préparée, j’ai fouiné dans les deux petites bibliothèques de la maison.
J’ai déniché là « Génitrix » de François Mauriac dit « La vipère de bénitier ».
Comme la première fois, il m’a passionné.
J’y ai repéré « C’est la pire chose des conditions basses qu’elles nous font voir les êtres sous l’aspect de l’utilité et que nous ne cherchons plus que leur valeur d’usage. »
Je me demande si ce n'est pas cette réflexion qui a inspiré Mme Thatcher et rafraîchi la mémoire des gouvernants et des chefs d’entreprise au cas où l’idée de faire preuve inconsidérément de générosité les aurait saisis…
Puis, au cours de nouveaux appros, j’ai acheté « Les aérostats » d’Amélie Nothomb.
C’est parfois drôle, moins souvent intéressant et à coup sûr, écrit beaucoup moins bien par Mme Nothomb que si Mr Mauriac avait fait le boulot.
Le bouquin avalé, j’ai refouiné dans les bibliothèques et ai trouvé « La promesse de l’aube ».
Pareil, je l’avais déjà lu et fus charmé, Roman Gary, qui n’apprit le français que vers huit ans en Pologne, le manie avec nettement plus de talent et d’humour qu’Amélie…
En plus il m’a rappelé plein de choses ayant été, comme votre Goût adoré, doté d’une mère qui était un véritable poème…
Bref, j’ai tout avalé et, en allant faire les courses et passant sur le pont, m’a échappé « Le Cher est triste hélas, et j’ai lu tous les livres »…
C’est là que j’ai compris que Mallarmé n’est obscur qu’à ceux qui n’ont jamais mis les pieds à M…
12:33 | Commentaires (6)
vendredi, 02 septembre 2022
135ème devoir de Lakevio du Goût
07:53 | Commentaires (6)