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lundi, 21 août 2017

Les salles s'y fient...

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De tous les noms qui encombrent ma mémoire, celui de deux amis me reviennent avec acuité.
J’ai croisé le premier chez les Frères.
Je me rappelle que c’était un lundi matin.
Je ne l’avais pas remarqué, occupé que j’étais à poser ma valise sur le porte-bagage au dessus de la rangée des sièges du car.
Il m’a donné un coup de valise en la levant.
Il était un peu plus petit que moi alors je l’ai aidé à pousser sa valise jusqu’au porte-bagage puis nous nous sommes assis.
Quand le car a démarré, il m’a dit :
- Si tu veux, bon, on va se parler…
Je l’ai regardé.
C’était un garçon, bon, c’est normal, chez les Frères il n’y avait que des garçons.
Il avait la figure pleine de petits grains de beauté et des yeux tout bleus.
Alors on a commencé à se parler.
- Comment tu t’appelles ?
- Ben… LeZ., tu sais bien…
- Non l’autre, ton autre nom.
- Loïc, et toi ?
- Patrice.
- C’est d’où, ça, Patrice ?
- Ben d’ici, de Paris, et toi t’es d’où ?
- De Bretagne. C’est beau, la Bretagne.
Je ne savais de la Bretagne que le nom écrit sur la grande carte Vidal-Lablache de la classe, alors j’ai demandé :
- Il y a des Arabes en Bretagne ?
- C’est quoi des Arabes ?
Il m’a dit comment c’est la Bretagne.
Je lui ai dit comment c’est les Arabes.
Jusqu’à V. nous avons parlé.
Un jour il m’a passé de son pipi parce que j’avais juste la bouteille de « Roja Flore » et que j’avais oublié de faire pipi dedans pour l’analyse…

J’ai croisé le second dans mon quartier.
Vous vous en foutez, je le sais…
A part mon ami Loïc, perdu de vue dès la fin du premier trimestre au lycée Michelet qui me voyait bien ailleurs que dans son dortoir, j’étais entouré dans mon quartier d’une foule de Michel, André, Roger, Jean-Pierre, Jean-Jacques.
Je n’avais évidemment pas le droit de parler à la foule des Mohammed, Mouloud et autres Rachid, des fois qu’être arabe, ça soit contagieux…
J’ai fait la connaissance de Bernard alors que je faisais les courses dans le quartier avec ma mère et que je regardais les photos du cinéma « Ornano Palace », là où j’avais vu « Les dix commandements ».
Nous avions engagé la conversation timidement sur Stewart Granger car évidemment, « l’Ornano Palace » proposait un vieux western.
Tout aussi évidemment nous ne fûmes « pas d’acc’ » parce que « Robert Vaughn, quand même, y tire mieux ! »
Un peu qu’il tirait mieux, d’ailleurs « Les sept mercenaires » le prouvaient…
Quand sa mère vint le prendre, on se donna rendez-vous pour le jeudi.
Ma mère ne dit rien mais n’agréa pas franchement jusqu’à ce que Bernard lui dise poliment « Au revoir madame ».
Quelques années plus tard, il quitta l’école pour un travail d’apprenti mécanicien à la RATP toute proche et nous restâmes amis.
C’est lui qui, un après-midi d’été de sa dernière année d’école me confia quelque chose qui me fit considérer autrement mon prénom.
Bernard R. me confia tristement un jour qu’on était assis sur un banc du square Clignancourt, ce havre de paix quasiment bourgeois :
- Pfff… T’as du pot, toi.
C’était bien la première fois qu’on me disait que j’avais du pot.
J’allais au lycée, j’avais des devoirs, j’avais perdu un œil avec une fusée et ma mère m’achetait des habits choisis rien que pour me faire honte.
- Pourquoi j’ai du pot ?
- Ben tu t’appelles pas Bernard…
- C’est chouette Bernard ! Yen a plein !
- Ben justement… Toi au moins…
- Quoi moi ?
- Toi, ton nom « y fait classe », d’abord y en a pas beaucoup…
- Ah ?
- Ben t’es le seul que je connais…
Depuis, j’aime bien mon prénom.
Un jour Bernard a été kidnappé.
Une blonde et pâle Anglaise l’a trouvé à son goût et l’a emmené chez elle.
Elle lui a fait au moins un enfant.
Je l’ai revu une fois à Paris.
Il y a longtemps maintenant mais je ne les ai jamais oubliés.